À l’annonce de la fermeture pour départ à la retraite de la librairie féministe Violette and Co dans le 11ème arrondissement de Paris, un groupe d’éditrices, de libraires et de militantes lance une collecte de fonds. Objectif : préserver ce lieu emblématique pour la communauté lesbienne et féministe de la capitale.
Au 102, rue de Charonne, la petite librairie à la devanture fuschia proposait depuis dix-huit ans, dans ses rayonnages bien denses, un stock presque exhaustif de littérature féministe, queer et politique. Nous y trouvions des ouvrages célèbres comme des textes de niche : Virginie Despentes et ses best-sellers côtoyant de nombreux ouvrages et magazines auto-édités, comme PD la revue. La librairie ouvrait également ses portes à des expositions régulières. Ce fut un lieu de passage pour de grandes romancières et écrivaines. Léonara Miano, Gisèle Halimi, Maryse Condé ou Françoise d’Eaubonne sont venues rencontrer leurs lecteurices rue de Charonne. En fondant ce lieu pour la communauté lesbienne et féministe en février 2004, Catherine Florian et Christine Lemoine étaient des pionnières à Paris. Si les maisons d’édition voient aujourd’hui l’ouverture des rayons féministes comme un bon filon, à l’époque il n’était pas si évident d’imposer la légitimité d’un tel espace dans le milieu du livre.
Mais depuis 2019, les fondatrices souhaitent prendre leur retraite et ne trouvent d’abord personne pour reprendre le projet. Quelques propositions sont faites mais aucune n’aboutit, faute de soutien des banques, réticentes à financer un projet politique perçu comme « communautaire ». Des difficultés que les fondatrices avaient déjà rencontrées à la genèse de Violette and Co. Le 12 février 2022, la fermeture de la librairie est actée.
C’est suite à un post Instagram désespéré de l’une des gérantes que Léa Haurie-Hontas, organisatrice de la Marche lesbienne, et Loïse Tachon, active aux Archives lesbiennes, décident de s’investir dans la reprise de la librairie. Rapidement, des amies s’agrègent autour du projet. Leurs ancrages divers dans l’édition, la communication, l’édition et le monde associatif vont convaincre les fondatrices. « C’est la somme de nos compétences qui ont séduit Catherine et Christine » assure Léa.
« Pas de boss, pas de directrice »
La reprise du lieu s’organise autour d’une idée phare : le financement participatif. Pour sauver Violette and Co, les repreneuses veulent s’appuyer sur la force de la communauté qui y est attachée. Ainsi, aucun investisseur privé ne pourra s’immiscer dans la direction de ce nouvel espace. L’association Violette and Coop* voit le jour en janvier 2022 afin d’organiser la collecte de fonds. Cet argent permettra la création d’une librairie coopérative au statut de SCOP. « Dans ce monde capitaliste, seule la reprise sous la forme d’une coopérative permet une structure horizontale, affirme Léa Haurie-Hontas. Ainsi il n’y aura pas de boss, pas de directrice. » Toutes logées à la même enseigne au niveau des responsabilités comme au niveau décisionnel.
Inspirée par des initiatives comme le bar lesbien autogéré La Mutinerie ou la librairie LGBTQ+ Les Mots à la bouche, la coopérative s’est présentée comme un modèle évident pour les repreneuses. Cette structure collective et cette méthode de financement sont directement tirées des stratégies en usage dans les milieux queers : on lance une cagnotte pour mobiliser la communauté afin de venir en aide aux personnes transgenres qui doivent faire face à d’importants frais d’opérations comme pour racheter une librairie de façon indépendante.
Les repreneuses sont claires : elles souhaitent s’inscrire dans la continuité de l’esprit politique initié par Catherine et Christine. Le collectif prévoit aussi l’ouverture d’un bar sans alcool, imaginant un lieu inclusif même pour les plus jeunes, un espace queer en dehors d’un cadre festif. Pour le rayon jeunesse, Loïse Tachon a des rêves de grandeur : augmenter l’offre pour les jeunes adultes, surtout en matière de mangas. Les albums pour enfants présentant des histoires avec des familles monoparentales ou non-blanches trouveront aussi pour sûr une place dans les rayonnages de Violette and Co à la réouverture.
« Mais on a encore besoin d’argent ! » Après la première victoire il y a deux semaines, l’atteinte du premier palier de financement (40 000 euros) qui permettra le rachat du fonds de commerce, la priorité désormais est de trouver un nouveau local après que l’ancien ait été vendu. Idéalement dans le quartier d’origine de Violette and Co, et qui soit accessible aux lecteurices à mobilité réduite. Un vrai défi à Paris. Pour cela, la cagnotte vise les 120 000 euros. Les repreneuses rappellent que pour (ré)ouvrir une librairie avec une sélection aussi pointue que fut celle de Violette end co après presque deux décennies, il faudra former à nouveau l‘intégralité du stock de livres. En effet, avant la proposition de reprise de Violette end Coop, les fondatrices avaient déjà entrepris de renvoyer les ouvrages aux distributeurs. Les livres trop anciens, les zines, les revues et les magazines ont été récupérés par des archivistes LGBTQI+. Ainsi, les repreneuses ont chiffré la reconstitution du stock à 80 000 euros.
En bref, vous avez toutes les raisons de soutenir financièrement et à hauteur de vos moyens l’initiative des nouvelles Violettes !
Mise à jour le 5 avril : Le premier objectif de la campagne de dons est atteint, l’équipe officiellement repreuneuse du fond de commerce de la librairie. Des soirées de soutien sont organisées à Paris : tombolat et DJ sets jeudi 07/04 A la folie et soirée stand-up vendredi 15/04 au Point Éphémère.
*Les membres de Violette and Coop :
Hermance Humbert a complété un master de Design for Art Direction du London Communication College (UK), et un DNAP. Elle est plasticienne multimédia, designer, graphiste. Co-organisatrice et membre du collectif de visibilité artistique Supersaphique.
Lysa Damon a fait des études de Lettres Modernes en parallèle d’une formation en informatique. Aujourd’hui, elle est développeuse web et met ses compétences d’informatique au service des causes qui lui tiennent à cœur.
Élise Mahes a travaillé dans l’édition scolaire et jeunesse, en cultivant son goût de l’illustré qui l’a ensuite menée à une première expérience de libraire à la Fnac aux rayons BD et mangas.
Olivia Sanchez a fait ses débuts en librairie pour ensuite se diriger vers le monde de l’édition. Elle est actuellement éditrice aux Beaux-Arts de Paris éditions et est passionnée de livres d’arts !
Léa Haurie-Hontas est électricienne. Dans ses vies passées, elle a été éditrice mais aussi barista dans de nombreux coffee shops et présidente d’une association d’éducation populaire dédiée à l’éducation aux médias et à l’information pour les jeunes.
Loïse Tachon a travaillé dans l’édition d’essais féministes avant de reprendre des études en philosophie et études de genre. Elle est bénévole aux archives lesbiennes de Paris et consacre la plupart de son temps à sortir les lesbiennes du placard de l’histoire.
Louise Bihan-Saurin est une autrice indépendante lilloise. Après avoir co-organisé la marche lesbienne de Paris en 2021 et la pride lilloise qui a suivi, elle s’est consacrée à l’écriture. Elle s’engage auprès de différentes associations comme La Clameur PSC ou Utopia 56.
Également dans l’équipe :
Lucile Regourd est chargée de communication dans le milieu associatif. En parallèle de ses études d’entrepreneuriat, elle a été bénévole dans une dizaine d’associations, féministes ou œuvrant auprès des jeunes.