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Vikken. « La joie et la nuit ne sont pas antinomiques »

Vikken. « La joie et la nuit ne sont pas antinomiques »

Producteur et DJ naviguant dans un univers techno, nocturne et parfois nihiliste, Vikken a sorti son premier morceau chanté annonçant un EP à venir au printemps. Dans « C’est OK », il a fait le choix du français et assume une certaine forme de désenchantement, mais sans jamais abandonner les luttes qui animent sa création.

2020 fut une année désastreuse pour la culture, pour les artistes émergent·es en particulier, pour les artistes queers par-dessus tout. Une année qui a témoigné de l’ignorance de notre gouvernement quant à la condition des LGBTQIA+ en France et la vision consumériste que le macronisme a de l’art. Le titre de Vikken prend un sens nouveau, il sonne comme un hymne à la désillusion… qui finit toutefois par susciter une rage créatrice, novatrice, une envie de résistance. Depuis le temps que nous suivons Vikken dans ses pérégrinations, après qu’il a fait nos nuits et nos fêtes, nous avons pris le temps de dialoguer avec lui au grand jour.

Pour les personnes queers, la fête c’est bien plus que la fête. C’est un moment pour se retrouver, se rencontrer, s’aimer dans un espace le plus secure possible.

Vikken

Manifesto XXI – Vikken, la première question qui me vient spontanément, c’est « comment ça va » ? Après une année aussi lunaire, comment tu t’en sors ? « C’est OK » est le premier extrait de ton futur EP… N’est-il pas difficile de composer sans public ?

Vikken : Écoute ça va, même si ma vie a bien changé. Je prévoyais en 2020 de faire mes premiers concerts/cachets avec mon nouveau projet. Tout ça est évidemment tombé à l’eau comme beaucoup. C’est triste mais j’ai du coup pris ce temps pour bien penser mon projet, faire des reworks/reprises que je n’aurais pas créés sans ça. Bref je me suis adapté.

Et oui, c’est difficile de composer sans le public. L’électro, la techno, sont des musiques faites pour être dansées, qui perdent un peu de leur sens écoutées posé·e dans son salon. Le public, le club, c’est le test final de ta compo. Un DJ set permet de mettre ton morceau dans la clé, avoir une date butoir, observer en direct la réaction des gens.

Quelles sont, à ton avis, les conséquences des restrictions mises en place par le gouvernement sur les personnes queers ? N’est-ce pas liberticide ce qu’il se passe avec la fermeture des clubs et des lieux associatifs ?

Pour les personnes queers, la fête c’est bien plus que la fête. C’est un moment pour se retrouver, se rencontrer, s’aimer dans un espace le plus secure possible. Donc dur pour le moral, dangereux pour nos libertés. Preuve que nos gouvernants n’ont encore aucune idée de comment vit une personne LGBTQIA+, de quelle est notre condition en France aujourd’hui. On est dangereusement isolé·es.

Tu composes quelque chose et puis ce quelque chose tombe dans un moment où le public peut se l’approprier d’une certaine manière, et en transformer le sens.

Vikken

En écoutant « C’est OK », j’ai perçu un certain nihilisme. D’où t’est venu le besoin de te réconcilier avec ton pessimisme, si je puis dire ? Est-ce que ce qui s’est passé cette année a nourri ton inspiration ?

Pour le coup, le morceau a été écrit et composé l’année dernière, fin 2019. Il était inspiré d’autre chose… mais le sortir aujourd’hui lui attribue un nouveau sens. C’est souvent comme cela dans la musique. Tu composes quelque chose et puis ce quelque chose tombe dans un moment où le public peut se l’approprier d’une certaine manière, et en transformer le sens. C’est un peu magique. Cette année, la réaction à l’écoute de mon morceau a été « ah oui, gros mood 2020 » (rires).

Avec « C’est OK » je voulais surtout parler de moi. De comment parfois je vois le monde, certaines situations. Je préfère être réaliste pour ne pas être déçu.

Avant ma transition, je chantais. Quand j’ai transitionné, j’avoue que je ne savais plus quoi faire de cet instrument. Et puis, va savoir, les mystères de la création, j’ai fini par me dire que je pouvais peut-être le faire.

Vikken
Vikken © Marie Rouge

Qu’est-ce qui t’a amené à la chanson ?

Avant ma transition, je chantais. J’avais beaucoup travaillé ma voix. Quand j’ai transitionné, j’avoue que je ne savais plus quoi faire de cet instrument. Je ne le connaissais plus, je ne voyais pas comment l’utiliser. J’avais fait une croix sur le chant. Et puis, va savoir, les mystères de la création, j’ai fini par me dire que je pouvais peut-être le faire.

Pour l’histoire, en 2019 je me suis vraiment consacré à la prod et j’ai beaucoup travaillé dans un studio. Je faisais des vraies journées de travail, tout a été remis en perspective. Vers la fin, j’ai commencé à composer des choses qui n’étaient plus vraiment de la techno. Des choses mélodiques qui ne cherchaient pas forcément à faire danser. Peut-être que d’une certaine façon je suis entré dans une phase plus sophistiquée.

Je voyais de la voix là-dessus. J’ai demandé à Florent Mateo, de Virile. J’adore sa voix, on avait déjà bossé ensemble. Un jour où on travaillait dans le studio, Franky Gogo, qui jouait aussi dans Virile, et qui m’avait justement prêté le studio, nous a écoutés. On a commencé à chanter ensemble. Et là, Franky m’a dit : « Il faudrait que ce soit toi qui poses ta voix. » Une voix parlée, pas un texte chanté. Je n’y croyais pas trop. On s’est même un peu battus. Mais en me réécoutant, il s’est passé quelque chose. J’ai été bouleversé. Ce fut vraiment le hasard de la vie. J’ai redécouvert ma voix…

Je me suis enregistré alors que je parlais tout seul. J’aime beaucoup faire ça. J’ai des vraies discussions avec moi-même, à voix haute.

Vikken

Une histoire très intéressante, et qui semble continuer ton travail autour de la quête d’identité… À quoi s’attendre dans le reste de l’EP ?

« C’est OK » est un morceau un peu à part. Quand je l’ai composé, les autres morceaux étaient déjà construits. Pour celui-là, j’ai agi selon un processus un peu particulier : je me suis enregistré alors que je parlais tout seul. J’aime beaucoup faire ça. J’ai des vraies discussions avec moi-même, à voix haute. De ces quinze minutes de voix, j’ai retenu cette phrase… Elle me plaisait bien. Je me suis ensuite amusé avec des effets de voix, des bouts de textes. Donc ce morceau est un peu un collage dada… une discussion personnelle.

Le reste de l’EP est plus cinématographique. Ce sont des musiques un peu lyriques sur lesquelles je chante. De manière globale, quand je compose je distingue la musique et le texte. Tout part de la musique. Elle va m’inspirer quelque chose et là, les mots vont surgir.

On est très peu, en tant que personnes trans, à être visibles. Donc je ne peux pas ne pas être activiste.

Vikken
Vikken © Marie Rouge

Quelle est la date de sortie de prochain morceau ? Tu m’as dit qu’il va être relayé dans un contexte particulier, en même temps que le film que Dounia Sichov a tourné sur toi…

Oui, il va sortir au printemps, en même temps que le film-documentaire de Dounia Sichov duquel sont tirées les images du clip de « C’est OK ». Dounia et moi nous nous sommes rencontré·es il y a à peu près cinq ans. Elle a voulu s’engager dans un projet de film autour de mon expérience de transition. Mon histoire l’intéressait. À cette époque-là je n’avais pas entamé le processus, il s’agissait donc de quelque chose sur le long terme. Pendant ces années, on a enregistré avant, pendant, et il y a un an. On voulait donc faire une sortie conjointe du film et du second titre de l’EP, qui est aussi celui du générique de fin.

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Aujourd’hui, tu n’es pas seulement un artiste mais aussi un activiste. Malgré toi, tu es une icône, un symbole peut-être, pour les plus jeunes qui ont terriblement besoin de guides, de personnages auxquels se raccrocher. Comment combiner art et engagement militant ?

Pendant longtemps j’ai été très bien dans ce statut et j’ai été heureux d’incarner quelque chose de positif pour les autres. Je ne dis pas que je ne le suis plus. Mais souvent quand tu affiches une identité trans et que tu fais de l’art, on ne voit plus que ton identité trans. Et on oublie le reste. Ça peut être un peu frustrant. Il faut en parler, mais il est important que cela ne prenne pas toute la place : il faut qu’on arrête de se focaliser uniquement sur les symboles et regarder aussi le contenu, les histoires que je raconte. Je me définis néanmoins volontiers comme un activiste : on est très peu, en tant que personnes trans, à être visibles. Donc je ne peux pas ne pas être activiste.

Je pense que la joie et la nuit ne sont pas antinomiques.

Vikken

Quel sera le titre de ton EP ?

Joie. Il est vrai que j’ai parlé de nihilisme. Mais je pense que la joie et la nuit ne sont pas antinomiques. J’aborde des choses qui ne sont pas très joyeuses, mais on peut trouver une forme de joie tout de même au sein de la tristesse. Je me sens confortable et en sécurité dans la nuit.

Qu’entends-tu quand tu parles de nuit ?

Je ne peux pas dissocier la nuit de mon métier de DJ. C’est mon espace de travail. Elle m’a influencé dans ma construction d’artiste, c’est un endroit où j’ai passé beaucoup de temps à travailler pendant des heures pas possibles. Mais je vais être honnête : ça m’a aussi fait du bien de faire une pause de DJset, de prendre un peu de recul, pour mieux y retourner bientôt !

Un mot de la fin ?

Oui. Je voudrais surligner le fait que je suis en auto-production, je trouve cela important de le préciser. Et je voudrais remercier les femmes qui m’accompagnent dans mon travail, qui permettent à cette auto-production d’exister : Maÿlis, ma manageuse, et Mélissa et Aleksandra, mes attachées de presse.


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