Vetements, jeune marque lancée en 2014 avec à la tête de son collectif de designers Demna Gvasalia, nouveau directeur artistique de Balenciaga, a une nouvelle fois fait parler d’elle lors de son défilé Automne/Hiver 2016 à Paris. Génie, « brisant tous les codes de la mode », aimé de Kanye West, anti-fashion… Nombreux sont les attributs dont les différents médias et journalistes l’affublent. La marque de prêt-à-porter prône la philosophie du « real clothes », du cool, de la vie quotidienne, de la rue, sans particulièrement suivre les saisons. Vetements, c’est la fin du rêve sur le catwalk, c’est le pragmatisme voire le cynisme. La marque clame l’anti-fashion, la disparition du créateur star derrière son vêtement, en atteste le travail collectif et le nom lui-même, simple, direct. Les vêtements sont ce qu’ils sont : de simples trucs qu’on porte pour ne pas être nus, interchangeables.
Le défilé Automne/Hiver 2016 suit totalement la continuité de l’esprit de la marque. Il est provocateur, voire agressif, et son mépris apparent du système mode est clairement affiché, jusque dans la silhouette des mannequins aux têtes renfoncées dans leurs cols. Le collectif a, comme pour ses précédents défilés, repris des pièces du quotidien qu’il a rendues oversized, grotesques, asymétriques. Il a utilisé les symboles contemporains, t-shirts à message, aux allures de vêtements de groupies, les parkas, le streetwear. Les matières sont quotidiennes : cuir, jean, jersey, parkas de polyester. L’unité des styles et des couleurs, à la fois sombres et colorés, est confuse, du fait du rejaillissement des personnalités des multiples créateurs. Tout cela dans le décor particulier de la cathédrale américaine de Paris, où le front row était tout proche des mannequins, comme un symbole de Vetements qui brise l’enchantement et la distance autour du catwalk.
Au premier abord, le défilé crie au mépris du système mode, de ses codes, à la réconciliation du normal avec la mode, au miroir du quotidien et au cynisme désabusé. Seulement plusieurs contradictions apparaissent, permettant la supposition d’une révolution fashion qui ne serait que poudre aux yeux. La marque, qui prône pourtant le quotidien, rend ses pièces grotesques et inaccessibles au nom de la révolution intellectuelle, telles les chemises à carreaux asymétriques ou complètement oversized, les épaules si larges qu’elles en sont burlesques ou encore un sweat deux pièces aux allures de burqa occidentale. De même que les mannequins, supposés interchangeables au même titre que les vêtements puisque portant menswear et womenswear sans distinction de genre, paraissent en réalité atypiques et éloignés de la réalité.
En proposant des pièces à message, Vetements nous offre aussi ses contradictions lettrées. Son sweat « justin4ever », faisant référence à un chanteur de la culture populaire (Bieber ou Timberlake là n’est pas le propos), censé rapprocher le monde de la mode du peuple symboliquement, donne plutôt l’impression d’un mec de la haute qui trouve ça cool de porter ironiquement un t-shirt si populaire, parce que c’est second degré et que ça le démarque.
Les modèles aux allures d’étudiants renfrognés et désabusés, blasés, agressifs, je-m’en-foutistes, sont à l’image d’une collection qui semble dire merde à un système qu’elle jalouse secrètement, tout comme ce sweat portant le message « You Fuck’n asshole ». La collection est contradictoire, à la fois s’écartant ostensiblement des codes traditionnels intellectuels mais s’y conformant dans la forme, sans réussir à aller jusqu’au bout de sa révolution. On peut en effet réellement se poser la question de la réalité d’une innovation du système, notamment en prenant en compte que la tête du collectif, Gvasalia, est lui-même rentré dans le moule traditionnel du star-system en devenant directeur artistique chez Balenciaga. La révolution ne peut pas être seulement dans les mots, elle doit être entière.