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Les versions live des classiques Disney ont-elles un quelconque intérêt artistique ?

Les versions live des classiques Disney ont-elles un quelconque intérêt artistique ?

Personne aujourd’hui dans nos contrées n’ignore le nom ni l’intrigue des classiques d’animation Disney, qu’ils aient été vus, revus religieusement, lus ou racontés, comme s’ils étaient éléments fondateurs de notre culture, de ce qui est censé nous rassembler aujourd’hui. D’une certaine manière ils l’ont été.

Il sera sans doute difficile à chacun de citer un exemple de ce qui est peut-être plus lié aux rêveries et fantasmes enfantins, de ce qui a plus accompagné la prime jeunesse de centaines de millions d’enfants, de Blanche-Neige à la Reine des neiges, que ces films.

Il m’est certes encore difficile d’admettre que Le Roi Lion ne fut pas une révélation qui s’adressait seulement à moi, mais aussi à tant d’autre juvéniles anonymes ; tout le monde à propos de Disney se sent plus ou moins concerné, et ce n’est pas un hasard si la firme d’industrie culturelle est passée aujourd’hui à un empire commercial majeur, précisément une des plus grandes multinationales au monde.

Les emprunts culturels de Disney furent multiples au fil des années, par des emprunts et adaptations de récits, contes ou traditions en provenance des cinq continents. Les héros et légendes étant éternels, l’usine à rêves put lancer la vapeur quelques décennies plus tard quant à la reprise de ses propres succès passés, avançant par exemple l’argument de technologies nouvelles pour permettre de les présenter en prises de vues réelles.

L’initiative peut être louable, et elle ne date pas d’hier : en 1996, la firme surprenait déjà avec son remake des 101 Dalmatiens, qui s’imposa et battit aux États-Unis un record à sa sortie pour le week-end de Thanksgiving. En termes de chiffres, la Alice au pays des merveilles version 2010 – malgré des critiques mitigées – rapporta plus d’un milliard de dollars autour du globe. Ces films fonctionnent, parce qu’ils s’adressent à un inconscient collectif acquis à leur cause, que les anciens enfants subjugués reviendront curieux avec leurs propres enfants et que leur marketing est toujours irréprochable.

Mais quand il s’agit du film lui-même, a-t-on une œuvre stylistiquement, esthétiquement cohérente ? Ce qui nous est présenté comme un film moderne peut-il également être qualifié de bon film ?

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L’ensemble des spectateurs pourra se poser la question sur l’histoire qu’il désire voir être racontée à l’écran : voulons-nous voir l’original modernisé, une histoire en relation avec l’original, ou un hommage/une suite à l’original ?

Les trois alternatives ont été tentées, au risque d’être piètrement faites, accessoires, et/ou effacées devant leur modèle. Qui se rappelle aujourd’hui du Livre de la jungle version 94, ou de la comédie musicale Popeye de 80 avec Robin Williams et Shelley Duvall ? Reprendre un grand classique n’est jamais chose facile, et la volonté de s’insérer dans la tradition du récit d’une histoire donnée se confrontera toujours à la comparaison avec la meilleure de ses versions. L’appât du rayonnement culturel de ces histoires n’intéresse pourtant pas que Disney, et les remakes ont pu attirer d’autres grands studios de production, s’avançant au nom d’une nouvelle adaptation de l’histoire originale.

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Robin Williams – Popeye

Tarzan sorti en juillet dernier est de ceux-ci : Warner Bros. est aux commandes avec 180 millions de dollars de budget, les recettes avoisineront le double. Quarante-huitième mise en scène du personnage créé par Edgar Rice Burroughs, ce mélange d’exotisme un peu facile et d’aventures fait encore se déplacer dans les salles pour finalement pas grand-chose. Le film n’est même pas beau, les animaux sont visuellement peu sympathiques, les décors sous-employés.

Rien n’impressionne vraiment, sinon peut-être l’intensité des clichés qui le traversent, tout est attendu que ce soit dans les dialogues, les beaux discours, le scénario, les personnages. Tarzan, pantin christique, est dessiné en artificiel fantasme mystérieux d’adolescente, dans un film qui définitivement ne fait de mal à personne ; si le boulot est à peine fait on trouve encore la caution écolo-friendly de rigueur.

C’est un exemple parmi d’autres d’une certaine recherche de l’hyperréalisme dans les images de synthèse, pas toujours heureux, tandis que les dessins animés ont toujours davantage laissé la part belle à l’imagination et l’instinct du spectateur.

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Il n’est bien sûr pas question d’entrer dans le « c’était mieux avant » ni dans la confrontation manichéenne de deux genres du cinéma, mais l’occasion est trouvée pour se questionner sur la manière dont un film est fait, dont une histoire est racontée à un moment donné. Si le film Cendrillon de 2015 est étonnamment fidèle à l’original, classique, et plutôt bon, le Livre de la jungle version 2016 semble parler de l’époque par le contraste qui se dessine avec son illustre exemple.

La version de 1967 brillait par sa profonde maîtrise du sens du rythme et du mouvement – ça n’avait pas à avoir l’air réel, tant que c’était vecteur d’émotion. Les personnages faisaient tenir l’intrigue par leur simple caractère, et ce qui ressortait de ces quatre-vingts minutes était ce sentiment de légèreté, d’innocence presque. L’humour visuel, le comique de situation ou de caractère dans le dessin étaient partout, pied-de-nez au sérieux de la question que posait l’intrigue (faut-il devenir un adulte ?).

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Au contraire, l’opus moderne est visuellement magnifique et rarement les animaux ont été aussi beaux à l’écran. Rapidement des différences apparaissent : tout l’aspect musical du premier fut transformé en de brefs clins d’œil dans celui-ci, mais plus largement c’est une dramatisation absolue du matériau initial qui apparaît à l’écran. Les animaux sont maintes fois plus imposants, les bagarres sont mises en avant, le ton est plus sombre ; l’humour lui est rabattu au simple comique de parole, à l’humour de punchline. Le film est devenu récit d’aventures avant d’être comédie familiale, avec l’inévitable musique dramatique normalisée ; il est peut-être même devenu « film pour enfants pour adultes ».

Voilà sans doute ce qui définit un film de divertissement à grand public aujourd’hui : un héros devenu plus ou moins torturé, où le rire s’est perdu, mais où la dramatisation permanente révèle sans doute une peur de ne plus savoir capter l’attention du spectateur. Les personnages n’ont plus leur caractère patiemment esquissé mais comme jeté au spectateur, tandis que les méchants toujours plus imposants se ressemblent un peu. Les studios agissent comme s’ils n’avaient plus de réelle confiance en l’imagination de celui qui pourrait s’approprier ces récits, ne laissant plus grand-chose au rêve et à la légèreté – le Alice de 2010 était-il vraiment audacieux au regard de l’original, ou même par rapport à ce que proposait Tim Burton déjà dans Beetlejuice ?

Quoi qu’il en soit, Disney prévoit à ce jour au moins dix-huit remakes de classiques maison, pour tous et pour tous les goûts, ce qui laisse optimiste pour une sortie inespérée de la mouvance « Batman de Nolan », pour enfin que l’obscurité post-moderne reprenne des couleurs, et que le plaisir du spectateur redevienne celui qu’eut Nicholson à interpréter le Joker : c’est-à-dire que le film pour enfant retrouve la noblesse, la légèreté et l’intelligence de ce qu’il fut vraiment.

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