Nous avons croisé le chemin de Charline Mignot on ne sait plus trop comment, en cherchant des musiques sensuelles qui nous fassent rêver sur Internet.
Depuis, « La femme à la peau bleue » est un incontournable des playlists nocturnes. Rencontre.
Manifesto XXI – Tu es photographe et chanteuse. Mais en écoutant ta musique, je me suis surtout demandée si ton vrai talent, après tout, n’était pas l’écriture. Tu sembles aimer raconter des histoires et créer des ambiances. Quel est ton rapport à la narration ?
Charline Mignot : Je raconte des histoires dans mes chansons et dans mes photos, mais ce ne sont pas les mêmes. À travers ma musique, je raconte des choses assez personnelles, presque ma vraie vie, alors que dans mes photos j’essaie de questionner les autres et la société.
Est-ce qu’il y a des ponts entre les deux disciplines ?
Je ne sais pas trop. Je pense que s’il y a des ponts, ce sont des ponts inconscients. Les deux sont des médias différents.
Comment as-tu commencé la photo et la musique ?
J’ai commencé la photo tôt, à 12 ans environ. Je prenais ma famille, mes cousins, mes cousines en photo. Ensuite, je me suis intéressée à la photo de mode, et maintenant je pense que cela dépasse un peu la mode, justement.
La musique, j’ai commencé un peu par hasard. Je ne l’ai pas vraiment choisi ; j’ai rencontré mon manager actuel, Paul Andrieux, qui est aussi la personne qui a créé mon label, Profil de Face. Il m’avait tout d’abord demandé de prendre les artistes du label en photo, car il avait vu mon travail exposé à Lyon. Et ensuite, comme j’avais fait des petits trucs musicaux de mon côté, il a trouvé cela intéressant d’essayer d’en faire quelque chose.
Est-il difficile de choisir les thématiques de tes chansons ? Autrement dit, est-il difficile de parler de toi ?
Cela vient un peu de manière hasardeuse. Ce sont souvent des histoires que j’invente, des atmosphères un peu fantasmées. Ce n’est que par la suite, avec du recul, que je réalise que ces choses-là renvoyaient peut-être à une période particulière de ma vie.
Le cinéma a-t-il de l’importance dans ta composition ?
Peut-être bien. Je suis très attachée à la Nouvelle Vague. Je regarde du Godard, mais aussi, parmi les cinéastes plus récents, du Maïwenn. En effet, il y a un côté un peu dur et à la fois délicat qui m’inspire.
Je te parle de cinéma car dans tes chansons, tu crées effectivement des ambiances assez marquantes. Alors, je voudrais savoir comment tu crées ces atmosphères narratives, et aussi, quel est pour toi un film à l’ambiance bien définie ?
Pour moi, il y a tout d’abord une façon de dire le texte. L’ambiance vient de la voix, un peu grave, jouer sur les tons bas.
Quant aux films, il y en a plein. Le dernier qui m’a chamboulée était Carol. Ce n’était pas un film que j’aurais forcément vu à la base, mais l’affiche m’a frappée et une amie m’a dit que cela valait vraiment la peine, car elle n’arrivait pas à s’en remettre.
Je suis allée le voir donc, et en effet, j’ai été complètement retournée et j’ai dû me libérer de tout cela en écrivant.
En effet, quand je parlais d’ambiance dans ta musique, je pensais à une ambiance feutrée, assez élégante et douce, avec quand même un brin de noirceur. Un peu l’ambiance que l’on retrouve dans Carol.
C’est une histoire belle et dure. Les personnages sont à la fois fragiles et très forts. Cet équilibre-là me plaît.
Carol est aussi un film dans lequel, pour une fois, une histoire d’amour entre femmes se finit bien. Ce n’est pas le triomphe de la virilité, et ce qui est assez réussi, c’est cette espèce de neutralité vis-à-vis des sexualités, je trouve. Qu’en penses-tu, étant donné que tu questionnes le genre, notamment dans tes photos ?
L’homosexualité féminine était presque absente du cinéma, avant La Vie d’Adèle. Sauf qu’à la différence de La Vie d’Adèle, Carol n’est pas un film que l’on va voir par curiosité vis-à-vis des lesbiennes, il est moins voyeuriste. C’est un film honnête et beau, simple, et effectivement, le masculin est relativisé. J’aime le fait que ce soit poétique.
« La femme à la peau bleue », quelles images pour incarner cette chanson ?
Je pense que je pourrais peindre une femme en bleu, c’est d’ailleurs ce que l’on a fait pour la réalisation du clip, avec Alice Kong. Mais au fond, lorsque je me l’imagine, je préfère que cela reste indéfinissable.
Qui a fait le visuel de cette chanson ?
C’est moi. Pour « Mort / Fine » on avait pris des mains, alors pour « La femme à la peau bleue » on a voulu faire la même chose et là, effectivement, on a peint les mains d’une amie en bleu.
Parlons influences musicales. Qui aimes-tu en musique et pourquoi ?
J’aime certains noms de la scène émergente, comme Juliette Armanet ou Fishbach. Ensuite, j’aime Philippe Katerine ou bien Yelle, je trouve cela hyper drôle. J’écoute Brel, Gainsbourg, Barbara, mais aussi Eddy Mitchell. Mon père me réveillait en musique le dimanche, donc je ne pourrais pas citer toutes les influences mais c’est une ambiance musicale qui m’est chère.
Est-ce que tu penses qu’il y a des ponts entre ce que tu fais et des groupes comme De La Montagne par exemple, qui sont aussi dans cette quête d’ambiance et de narration ?
Oui, j’aime bien De La Montagne. Je pense que cela fait du bien d’écouter de la musique comme ça, pop, joyeuse, drôle. C’est ce que j’aime aussi chez Yelle, mais évidemment, c’est une écriture complètement différente.
Penses-tu que quand on est une femme et que l’on fait de la musique pop, légère, on est plus exposée aux critiques virulentes ? Je pense à Cléa Vincent, par exemple.
Je trouve que des femmes comme Cléa Vincent ont vraiment un truc à apporter. Elle a une voix très particulière, comme si elle avait un petit truc coincé quelque part, qui lui donne un timbre particulier. Et puis, ses textes ne sont pas si légers et naïfs que ce que l’on dit. C’est érotique, elle dit quand même « retiens mon désir ». Mais elle sait le dire délicatement. C’est beau.
En fait, je trouve que le machisme en musique est totalement débile et ringard. Un garçon a toujours moins de critiques. Une femme qui est méga canon, même si elle chante un peu mal, sera acceptée. On est sexualisées sans cesse. On pardonne plus facilement le fait de faire de la musique légère quand on a une tête de mannequin.
Vu qu’on parle de genre, qu’est-ce qui t’a conduite à t’interroger sur le genre ?
Quand j’étais au lycée, une amie m’a avoué être amoureuse de moi. J’étais totalement déstabilisée, je n’avais jamais été confrontée à cela. Elle m’a dit qu’elle avait eu peur de me le dire, car elle craignait que je ne veuille plus être son amie. J’ai trouvé cela horrible et bête. Alors je me suis penchée sur la question. Depuis, j’essaie de le transmettre en photo de manière ludique, en essayant de faire passer un message drôle.
Et si le public te considérait comme une icône LGBT ?
Cela ne me dérange pas, évidemment, mais je ne voudrais pas être que ça. Vendredi sur Mer est un personnage, ma vie intime n’a pas forcément de liens avec ça. Ensuite, je participe à des soirées LGBT, j’ai fait le before de La Chatte à Lyon, par exemple. J’en suis ravie. Mais je ne pense pas qu’on puisse me considérer entièrement comme une chanteuse LGBT.
Le milieu lesbien est en quête d’icônes, c’est pourquoi je pose la question. Cela n’a rien à voir avec la sexualité des artistes en question, d’ailleurs.
Oui, complètement. Je trouve honteux de demander à des artistes d’afficher leur sexualité, je me rappelle d’une interview de Jeanne Added où on lui posait la question. C’était gênant. Chacun dévoile ce qu’il a envie de dévoiler. Après, je parle de femmes dans tous mes textes. Et je l’assume, mais je ne parle pas que de cela, et il faut dépasser cet état d’esprit, je pense. J’aimerais que l’on n’ait plus à poser la question.
Pour conclure, j’aimerais savoir quelle est ta définition de la sensualité, étant donné que tes chansons sont, justement, très sensuelles ?
Difficile. C’est un peu comme les tue-l’amour. Il y en a qui aiment les poils, d’autres qui n’aiment pas. (rires)
Sinon, je trouve que le mystère reste quand même un atout majeur. Ainsi qu’une touche de froideur peut-être. Mais l’humour est très important aussi, ne pas se prendre trop au sérieux.
Tu ne crois pas qu’il y a quelque chose de sensuel dans la loose ?
Complètement. Une personne un peu ringarde et consciente de l’être peut devenir très attirante. Être bof, oui, ça peut être sensuel.