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Vanda Forte : « la fête est aussi une réponse à l’oppression »

Vanda Forte : « la fête est aussi une réponse à l’oppression »

DJ, producteur·ice et chanteur·se du duo Caïnو Muchi, Vanda Forte est un·e artiste aux mille casquettes. Farouchement engagé·e auprès des luttes féministes, queers et décoloniales, tout son art est un combat pour porter la voix des opprimé·es. On a échangé avec iel, quelques semaines avant le festival Le Bon Air à Marseille, qui lui offre cette année l’occasion de présenter deux de ses projets, un dj set le vendredi, et un live A/V le samedi.

Du 17 au 19 mai 2024, Le Bon Air revient pour une neuvième édition à la Friche Belle de Mai, avec une programmation jour et nuit qui vient puiser dans ce qui se fait de plus innovant sur les scènes électroniques actuelles. Cette année, l’iconique festival marseillais met à l’honneur trois artistes résident·es en leur offrant plusieurs temps forts et la possibilité d’y inviter des guests de leur choix.

Aux côtés de l’Allemande Helena Hauff et de la Britannique SHERELLE, c’est Vanda Forte qui représente la scène marseillaise en ébullition. Un·e artiste dont les engagements traversent tout le travail, qu’il s’agisse de ses dj sets expérimentaux riches d’influences électroniques et traditionnelles, de ses performances live captivantes au sein du duo Caïnو Muchi, ou encore de ses nombreux projets collectifs, dont Vagina Rocks avec lequel iel met en avant des artistes minorisé·es, organise des ateliers en non-mixité et planche sur un label en préparation.

Également fervent·e militant·e pour la cause palestinienne et les luttes décoloniales, læ producteur·ice marocain·e, installé·e en France depuis plusieurs années, nous parle de ce que toutes ses facettes artistiques lui permettent d’exprimer, de l’importance de la scène pour faire passer des messages, et du rôle politique de la fête et de la musique même en ces temps sombres.

La fête est aussi une forme de lutte. On a aussi besoin d’extérioriser nos colères par la danse. Parfois le voir même comme une thérapie pour mieux résister et militer.

Vanda Forte
© Gemma Muse

Manifesto XXI – Comment envisages-tu ta résidence avec Le Bon Air ?

Vanda Forte : Cette résidence avec Le Bon Air Festival est l’occasion de développer plusieurs facettes de mon projet en tant qu’artiste, et d’exprimer mes valeurs par mon travail. Moi j’ai choisi d’y mettre en lumière deux projets distincts : vendredi, je présenterai un set à 1000% Vanda Forte, ce côté fleur plutôt doux qui vient se mélanger au côté forte, avec une rage, tel un cri, une manière de représenter les opprimé·es, à l’image de mon combat en tant qu’artiste racisé·e en France.

Puis samedi, avec le live de Caïnو Muchi, le cri sera clairement celui de celleux qui souffrent de génocide en ces temps. On n’en parle pas assez, et nos scènes sont aussi un espace pour s’exprimer sur ces sujets. Par ma voix, j’ai toujours aspiré à porter celles des personnes invisibilisées. Je ne suis qu’un canal de diffusion dans ces moments-là. Et même quand j’écris, ce n’est pas vraiment moi mais souvent une seconde main qui prend la parole, qui connaît les opprimé·es et leur parle tous les jours pour transformer leurs récits en poèmes, que je chante ensuite sur les instrus de Caïnو Muchi.

Qui est l’artiste que tu souhaites inviter à jouer avec toi, et pourquoi ?

J’avais le souhait d’inviter Identified Patient en b2b avec moi le vendredi car il représente ce brassage de plusieurs influences dans les musiques électroniques que moi-même j’expérimente et mets en exergue. Malheureusement, nos calendriers n’étaient pas en harmonie pour que ça puisse se faire et se travailler. Job est en pleine préparation de son nouvel EP, et moi aussi je travaille sur un EP et d’autres projets, notamment Vagina Rocks que j’ai choisi de développer cette année avec un projet de label qui voit le jour, mais aussi l’album de Caïnو Muchi qui sort à la rentrée.

Comme j’invite déjà mon acolyte Sinclair à jouer avec moi sous Caïnو Muchi, on peut implicitement dire que c’est l’artiste que j’ai choisi pour partager la scène. Notre histoire a commencé à Marseille il y a six ans et c’est symbolique pour nous de faire LBA Festival ensemble sur une grande scène avec notre projet live A/V, en compagnie de l’artiste visuel Malo Lacroix. C’est d’ailleurs un autre aspect qui m’intéresse : pouvoir faire passer des messages par le biais du visuel.

Tu représentes la force locale des artistes résident·es de cette édition, pour toi qu’est-ce qui fait la particularité de la scène marseillaise ?

La scène marseillaise pour moi est une scène familiale. On se connaît toustes un peu. Les ancien·nes aident les nouveaux·lles. Une synergie s’est créée entre plusieurs collectifs et artistes indépendant·es. Dans le milieu de la bass music par exemple, on fait pas mal de choses ensemble, on se soutient, on aime jouer ensemble aussi, que ce soit pour des événements ou juste lors de sessions entre nous pour décompresser. J’aime beaucoup la scène marseillaise mais notre plus gros problème, c’est qu’on manque de lieux d’expression. Nous avons la chance d’avoir un public très ouvert à tous types de propositions artistiques mais il nous faut aussi des lieux pour que ce public puisse rencontrer les artistes et qu’il y ait un réel échange. Je dirais que la particularité de la scène à Marseille, c’est : l’entraide <3

La musique est un symbole de résistance et peut être un instrument de lutte contre les oppressions. Pour moi c’est normal qu’être artiste soit associé à un engagement social, à avoir une opinion politique…

Vanda Forte

Comment se reflète ton engagement pour la scène queer et féministe ?

Mon engagement pour la scène queer et féministe passe par mon projet Vagina Rocks. J’organise des événements autour de questions féministes et queers en proposant des ateliers d’écriture et de mix DJ en non-mixité. Pour moi, ces ateliers sont là pour redonner confiance aux baby DJ. Comme je n’ai pas eu cette chance d’être accompagné·e dans mon chemin artistique par des professionnel·les, j’essaye d’offrir ça à des personnes qui se retrouvent dans cette même situation. On organise aussi des cercles de parole, des résidences et des expos. Cette année, le projet prendra plus de place. Nous avons été retenu·es pour une résidence d’un an à Artagon. Hâte de développer ce projet !

On connaît également tes engagements politiques, sociaux et décoloniaux. Quelle posture peut-on avoir en tant qu’artiste dans ces luttes ?

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Moi je garde toujours ma posture de militant·e peu importe où je vais. Je parle, je provoque le ou les sujets du moment. Cela suffit parfois pour amener à des remises en question. Par exemple, tout le live Caïnو Muchi tourne autour de ce qui se passe dans le Levantin, mais pas que : ça parle d’oppression en Afrique aussi, du combat des identités, de la culture SWANA [South West Asia and North Africa]. De cette manière aussi, on peut lutter. Profiter de la scène pour faire passer des messages. Beaucoup de styles musicaux sont nés des luttes de minorités, on ne peut pas négliger cela. La musique est un symbole de résistance et peut être un instrument de lutte contre les oppressions. Donc pour moi c’est normal qu’être artiste soit associé à un engagement social, à avoir une opinion politique…

Au-delà de ça, quand on raconte le quotidien d’une société, on rapporte des faits et non une position politique. Je pense à celleux qui me disent « arrête de parler politique » quand j’évoque le quotidien des Gazaouis par exemple, mais pour elleux, ce n’est pas de la politique : c’est leur quotidien, ce qu’iels vivent tous les jours.

Ce contexte peut nous faire avoir du mal à continuer à sortir et faire la fête. Comment parviens-tu à gérer ces dilemmes ?

Je pense qu’il ne faut pas voir cela comme un dilemme. En fait, c’est la même chose. La fête, c’est aussi une réponse à l’oppression. Aller en teuf n’empêche pas de soutenir une cause et vice versa. Le plus dangereux à mon sens, c’est d’aller faire la fête en la considérant comme un simple divertissement, un échappatoire, sans prendre conscience de cela. Quand je sors dans ces endroits, j’affirme mes positions, avec la musique que je joue, en parlant directement avec le public ou bien par mon expression vestimentaire. Il y a plusieurs manières d’être engagé·e dans ces espaces. La lutte se fait et devrait se faire partout. Si mon intention première quand je vais en festival, c’est que ces moments deviennent une extension des combats qu’on mène pendant la semaine ou lors des manifestations, il n’y a pas de mal à y aller. Même là-bas, il faut prendre la parole, que ce soit dans les loges ou sur scène derrière un micro. Personnellement je trouve que la fête est aussi une forme de lutte, une occasion pour faire passer des messages. Il ne faut pas être frustré·e et dur·e envers soi-même, en se disant « ah mais non qu’est-ce que je fous là ? Je ne peux pas danser alors que des gens sont en train de mourir », car on a aussi besoin d’extérioriser nos colères par la danse. On peut aussi soigner nos maux sociaux par l’exorcisme du corps, par sa vibration et sa mobilité. Parfois le voir même comme une thérapie pour mieux résister et militer.


Propos recueillis par Sarah Diep & Soizic Pineau

Photos : © Gemma Muse

Pour voir Vanda au Bon Air, ça se passe les vendredi 17 et samedi 18 mai à la Friche Belle de Mai, à Marseille. Toutes les infos sur l’événement ici.

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