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Vacances : Les queers peuvent-ils s’évader ?

Vacances : Les queers peuvent-ils s’évader ?

À l’heure où l’inflation et la solitude frappent de plein fouet les populations précarisées, comment avoir accès à des lieux calmes ? Comment lâcher prise et se reposer lorsque les LGBTphobies nous suivent à la trace, sans laisser d’ombre ni de répit ?

À l’heure où les agressions LGBTQphobes ne cessent d’augmenter en France et partout dans le monde, où l’inflation et la solitude frappent de plein fouet les populations précarisées, comment avoir accès à des lieux calmes, notamment lorsque les villes deviennent irrespirables en été ?

Chaque fois que je rêve de me reposer et de m’évader de mon quartier bétonné d’Aubervilliers, où l’air est particulièrement pollué, je songe à la beauté et à la douceur des Calanques marseillaises, et à mes souvenirs de longues marches à Sugiton. Puis me revient le bruit assourdissant de l’affaire Tonglet-Castellano. Cette affaire, c’est celle du célèbre procès d’Aix-en-Provence, jugeant les violeurs de deux touristes lesbiennes belges agressées lors d’une nuit à la belle étoile près de cette calanque.
En juillet 2021, un couple d’hommes gays dansaient sous la lune Corse, enivrés par la joie d’une nuit de vacances. L’instant d’après, ils recevaient une pluie d’insultes et de coups de la part d’une vingtaine d’hommes du village. Une affaire qui en rappelle bien d’autres, dont celle d’un couple d’hommes gays perpignanais violemment agressés en 2020, au cours de leurs vacances sur la Costa del Sol.

Alors est-il possible pour les LGBTQIA + de se reposer et de s’évader pleinement ?

Par s’évader je n’entends pas se vautrer dans le confort d’un hôtel all inclusive, mais bien se retirer momentanément d’un lieu où l’on se sent enfermé·e, retenu·e, qui à la longue nous fatigue et nous enlise. Ce désir d’évasion m’évoque, dans une bien moindre mesure, l’imagerie de la piraterie qu’utilise Fatima Ouassak et qui traduit une profonde aspiration des populations minorisés pour la liberté. Pour ma part, j’ai la chance d’avoir mes grands-parents qui habitent une maison landaise, chaleureuse et accueillante. Cette oasis familiale où m’abriter, nombre de mes voisin·es et adelphes LGBTQIA + n’y ont pas accès. Comme le rappelle très justement le journaliste Léo*, spécialiste des enjeux queers : « La moitié des ménages ne partent pas en vacances, dont les deux tiers pour des raisons économiques. Au niveau des queers qui sont pour beaucoup précaires, les vacances c’est un moment de travail (et qu’est-ce que cela fait de travailler pendant la canicule?), au niveau de l’accès aux propriétés privées, il y a évidemment des enjeux de classe sociale et concernant les territoires type « Outre-mer », les prix d’avion sont inabordables, pour les queers dont les familles vivent là bas, pareil c’est un isolement à cause des prix. »

À l’heure où les agressions LGBTQphobes ne cessent d’augmenter en France et partout dans le monde, où l’inflation et la solitude frappent de plein fouet les populations précarisées, comment avoir accès à des lieux calmes, notamment lorsque les villes deviennent irrespirables en été ? Comment lâcher prise et se reposer lorsque les LGBTphobies nous suivent à la trace, sans laisser d’ombre ni de répit ? Pour en avoir le cœur net, je suis partie à la rencontre de personnes queers qui m’ont racontées leurs difficultés à voyager, mais aussi l’échappatoire que représentent les vacances, pour sortir du marasme d’un quotidien parfois pesant, et pour se découvrir, loin du regard de ses proches.

…en flânant j’ai été saisie par le nombre de drapeaux LGBT affichés fièrement à l’entrée des bars et des cafés. C’était à la fois frappant et reposant de voir cette profusion des soutiens revendiqués dans l’espace public.

Alix

Voyager à sa propre découverte 

Alix a choisi l’Angleterre pour son séjour linguistique, avec une soif intense de rencontrer la communauté queer londonnienne. Ces trois mois à Londres ont permis à cette jeune étudiante de 19 ans, suisse et lesbienne, d’appréhender son identité en laissant libre cours aux rencontres et souvenirs, grâce à la profusion d’événements LGBTQIA qu’offre la capitale britannique. Jusqu’ici, Alix se sentait particulièrement isolée des autres personnes LGBTQIA +. Ce voyage qu’elle décrit comme électrifiant et libérateur lui a permis de mieux appréhender sa timidité, de tâtonner, pour mieux se trouver. La jeune femme a également visité Oxford, elle me confie son émotion lorsqu’elle découvre la ville : « en flânant j’ai été saisie par le nombre de drapeaux LGBT affichés fièrement à l’entrée des bars et des cafés. C’était à la fois frappant et reposant de voir cette profusion des soutiens revendiqués dans l’espace public. »

Pour Lucas, 36 ans, l’expérience du voyage pour les personnes LGBTQIA + demande quelques réflexes et précautions. Il a donc mis en place plusieurs auto-consignes pour chacune de ses visites. Premièrement, il ne mentionne jamais qu’iel est queer, prévient chaque jour un·e ami·e de son itinéraire, évite les vêtements ou les symboles qui pourraient être perçus comme queer, et enfin, il reste dans les grosses villes où iel se sent plus susceptible de trouver de l’aide. Il nous confie : « Lors de ces voyages, je me sens fatalement plus vulnérable. S’il m’arrive le moindre truc, je me retrouve dans un pays dont je ne connais ni les langues ni les coutumes ».

…dans notre groupe, une personne trans a vraiment dû faire des pieds et des mains pour avoir accès à son traitement, ces questions sont très compliquées pour les locaux.

Sandra

Comme Alix, Maurane (24 ans), voyage pour mieux comprendre son identité, mais sur un autre plan que sa queerness : celui de ses origines congolaises. Après avoir grandi en France, Maurane ressent le besoin de séjourner en Afrique centrale pour réfléchir à son héritage. Elle part donc vivre six mois en Ouganda, pays où l’homosexualité est condamnée à mort, puis au Sénégal où être LGBT est aussi criminalisé. Maurane me confie sa tristesse d’être prise entre le désir d’aimer ces pays, et la certitude qu’elle ne pourra jamais y être vraiment libre : « chaque fois que j’y passe du temps je me sens très bien, j’aime la culture, la langue, les plats, les danses… mais l’ombre de l’homophobie plane à chaque fois. Et en France, je suis juste épuisée par le discours ambiant qui blâme ces pays sans prendre en compte l’histoire du continent ». Un constat qui a renforcé son engagement anticolonialiste : « je n’oublie pas qu’à la fin du XIXe siècle le roi de l’Ouganda était bisexuel et que les colons britanniques ont imposé le christianisme, ainsi que l’homophobie. C’est depuis cette époque que l’homosexualité y est réprimée violemment, cette inscription historique me dégoûte tellement »

Enfin, j’ai échangé avec Sandra, qui a choisi Prague pour son échange étudiant, afin d’assister au célèbre festival queer Mezipatra, qui s’étend sur deux villes durant plus d’un mois. Au cours de ce voyage, elle assiste chaque semaine à un cours de yoga queer, et se lie rapidement d’amitiés avec les autres expat’ LGBTQIA + présent·es aux leçons. Sandra garde un souvenir très doux de cette expérience et repart avec une manière différente d’apprécier la scène queer : « contrairement à Paris où t’as 3000 événements queers par semaine, là c’est un mois et demi de festival et tu prends le temps de t’intéresser à chaque proposition ». Si durant cet échange elle n’a jamais perçu son lesbianisme comme une contrainte, le fait d’être une femme racisée dans un pays en écrasante majorité blanche, a parfois été pesant. L’expérience de voyage des personnes trans peut encore être plus compliquée : « dans notre groupe, une personne trans a vraiment dû faire des pieds et des mains pour avoir accès à son traitement, ces questions sont très compliquées pour les locaux ». Aussi, elle et saon ex-partenaire ont dû redoubler de vigilance quand iel est venu lui rendre visite : « avec mon ex on avait un passing de cis hétéro car iel est une personne trans masculine, mais on faisait quand même super attention ». Voyager en couple queer serait-il davantage contraignant ?

Voyager en couple queer implique donc une certaine charge mentale : faire attention à ne pas paraître trop proches, tergiverser sur le fait de s’outer à chaque nouvelle interaction sociale, vérifier subtilement auprès des locaux si certains lieux sont à éviter…

Séjours en couples LGBT et patatras

L’été 2022, je suis partie pour la première fois à l’étranger avec ma copine. Durant ce super séjour sur l’île grecque de Corfou, il nous est arrivé quelques déconvenues : alors que nous avions demandé explicitement des lits doubles, deux fois sur trois nous avons été “surclassées” en lits séparés. Et bien que l’île soit un lieu chaleureux, il nous est arrivé plus d’une fois de sentir des regards insistants en notre direction, couplés d’échanges potentiellement à notre propos, sans qu’on puisse en être sûres à cause de la barrière de la langue. Pour le journaliste Léo : « La différence principale quand on est un·e touriste ou un·e local·e, c’est qu’on ne connaît pas les formes d’organisations locales des communautés queers, ni le savoir expérimentiel de la géographie urbaine et des temporalités pour assurer notre sécurité et on n’a pas nos potes avec nous. » Voyager en couple queer implique donc une certaine charge mentale : faire attention à ne pas paraître trop proches, tergiverser sur le fait de s’outer à chaque nouvelle interaction sociale, vérifier subtilement auprès des locaux si certains lieux sont à éviter… Autant d’interrogations qui, pour les parents queers, s’additionnent à l’organisation des vacances en famille. D’autre part, les séjours en couple queer impliquent parfois des compromis. Joanna, journaliste trentenaire, s’était jurée de ne plus visiter des pays qui pénalisent l’homosexualité, et où les droits des femmes lui semblent pire que là où elle vit. Pour elle : « séjourner dans des pays où les locaux de sa communauté sont opprimé·es, ce n’est pas possible. Il y a suffisamment de pays où les LGBT peuvent vivre relativement en paix, ça suffit à me satisfaire sans avoir à me retrouver dans des situations si non dangereuses, au moins inconfortables ou révoltantes ». Cependant, sa compagne est marocaine, et retourne régulièrement voir sa famille, aussi Joanna a dû assouplir sa vision en ajoutant un  « sauf exceptions* à la règle ». Des auto-consignes qui, au regard du nombre d’agressions LGBTphobes au travail, en famille et en vacances sur le territoire français, nous montre la difficulté de tracer objectivement la ligne de ce qui est “safe” ou non.

Pour Laura, voyager est aussi l’occasion de créer des souvenirs communs et de rencontrer d’autres personnes queers. En couple lesbien depuis quelques années, le tourisme est aussi un moyen de sortir du quotidien et d’aller à la rencontre d’autres LGBTQIA +. Elle me confie : « on tente toujours de voir avant s’il y a un bar, une librairie, un lieu, un groupe Facebook local queer féministe (ou lesbien bien sûr mais c’est rare). Il y a peu, nous sommes parties à Copenhague et on est tombé sur le groupe ‘queer expat’, j’y ai mis un message pour demander s’il y avait un évènement organisé durant le weekend. Une personne m’a répondu et on a eu de la chance : l’événement était organisé par une asso locale géniale qui faisait un évènement en mixité choisie sans homme cis. Ce fut l’occasion parfaite d’échanger avec des queers et lesbiennes de la ville. L’ambiance était super, et on s’est aperçues qu’on fait face aux mêmes défis au Danemark et en France concernant le manque d’espaces dédiés »

Néanmoins, face à ces multiples contraintes du voyages en solo ou en couple queer, faut-il privilégier les vacances communautaires ? Mais surtout, et si au lieu de réclamer l’égalité touristique, nous inventions d’autres moyens de se reposer, qui soient aussi respectueuses de l’environnement et économes d’un point de vue d’impact sur la nature ?

Maintenant que j’ai connu la joie des vacances communautaires, c’est mort je ne peux plus m’imaginer voyager autrement. C’est comme l’hétérosexualité obligatoire, une fois qu’on en sort il y a plus de retours en arrière !

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Alix

Voyager en bande organisée

Le premier juin 2023, Alix a participé à la première édition d’un séjour saphique de trois jours, organisé dans un camping entre Paris et Lyon. Elle garde un souvenir magique des rencontres qu’elle y a faites, ainsi que du sentiment de sécurité et de plénitude quasi irréel qu’elle a expérimenté, entourée de femmes queers et de personnes non binaires. Une bouffée d’air lui donnant envie de renouveler l’expérience tout en renforçant son engagement : « bénéficier de ces espaces ça donne un truc pour lequel se battre, ça donne de l’espoir et envie de s’investir pour créer davantage de lieux qui nous sont dédiés. Maintenant que j’ai connu la joie des vacances communautaires, c’est mort je ne peux plus m’imaginer voyager autrement. C’est comme l’hétérosexualité obligatoire, une fois qu’on en sort il y a plus de retours en arrière ! ».

Comme Alix, de nombreuses personnes queers s’intéressent aux séjours organisés à destination d’un public LGBT. Ces dernières années, les croisières et les séjours campings très populaires aux États-Unis, arrivent en Europe. Mais le plus souvent, ces offres sont chères, à destination d’hommes gays avec un certain niveau et style de vie, et marquées par une forte empreinte écologique. Pour le journaliste Léo : « Il y a une forte relation entre homonationalisme et tourisme, avec en particulier un pays comme Israël qui se promeut comme le paradis des gays et du coup génère beaucoup d’argent sur le tourisme de gays blancs occidentaux, pour au final parquer des gays dans des villas derrière des murs et perpétuer son colonialisme. » Si ces alternatives festives constituent de véritables parenthèses enchantées pour certain·es, elles conviennent surtout à un public jeune, occidental, extraverti et doté d’un certain pouvoir d’achat.

Dans les milieux écologistes alternatifs, certaines personnes ne partent pas en vacances mais se déplacent beaucoup. Elles ont adopté une mobilité conviviale, activiste et festive qui n’est pas du tourisme mais est une manière de découvrir et partager des luttes et des prises de conscience, avec souvent une hospitalité gratuite

Rodolphe Christin

Par ailleurs, le tourisme en lui-même reste une industrie de consommation de masse qui agit comme un cache misère, servant à canaliser nos frustrations. Comme le souligne le sociologue Rodolphe Christin dans un article pour CQFD : « Le tourisme est une industrie de compensation : je souffre, je travaille toute l’année, donc je m’octroie ces quelques semaines de répit. » Le problème étant que ce repos se fait par un tourisme de masse et marchand, nécessairement au détriment de l’environnement et d’autrui. Néanmoins au sein d’une interview pour Reporterre, le sociologue souligne :  « Dans les milieux écologistes alternatifs, certaines personnes ne partent pas en vacances mais se déplacent beaucoup. Elles ont adopté une mobilité conviviale, activiste et festive qui n’est pas du tourisme mais est une manière de découvrir et partager des luttes et des prises de conscience, avec souvent une hospitalité gratuite ». La nécessité de sortir du tourisme est un constat que partage le journaliste Costanza Spina, auteur du livre Manifeste pour une démocratie déviante. A ses yeux, la solution pour un vrai repos ne peut se limiter aux séjours privés et au tourisme, et doit davantage passer par la création d’espaces de repos communautaires. Pour l’auteur : « Qu’ils soient au Québec, en Algérie, en Grèce, dans les campagnes espagnoles ou en Bretagne, dans la Creuse, dans le Luberon… au Frioul, sur la Plaine. Nous avons besoin de lieux pour transmettre, pour lire, pour archiver et nous asseoir au coin du feu, une fois la fête terminée, pour savourer ensemble le vide et le silence. Des lieux où désirer des nouveaux ciels, où transmuer nos aspirations en projets de vivre ensemble. Nos économies circulaires pourraient permettre la pérennité de ces lieux ».

Ce besoin d’espaces de respiration communautaires a notamment inspiré le collectif WET#2 qui organise pour l’été 2023 un week-end de 4 jours en Corrèze à destinations des femmes trans et des personnes trans féminines. Le collectif propose aux participantes de se retrouver au soleil autour d’ateliers articulés autour du soin, de jeux et d’échanges. Le séjour est à prix libre, et est financé grâce à une campagne de dons à laquelle je vous invite à contribuer ici. Mais la question du repos pour les LGBTQIA + ne concerne pas seulement les adultes, Mélina Raveleau et Thibaut Wojtkowski, l’ont bien compris. Après des années à travailler au sein de structures spécialisées dans l’accueil des jeunes, ils ont créé Toustes en colo qui proposent des séjours inclusifs et joyeux pour chaque jeune. Des initiatives salutaires, justes et enthousiasmantes qui, je l’espère, en inspireront d’autres.


*Les prénoms des personnes interviewés ont été modifiés.

Relecteurices : Apolline Bazin, Costanza Spina et Clément Riandey

Image à la une : Magda Vrabetz

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