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Un orphelinat désaffecté devenu musée à Istanbul

Un orphelinat désaffecté devenu musée à Istanbul

Dans le quartier d’Ortaköy à Istanbul, perché sur les hauteurs d’une colline derrière des hangars industriels, se trouve un endroit hors du temps. C’est dans ce lieu, un ancien orphelinat laissé à l’abandon depuis les années 1970, que l’une des expositions du festival FotoIstanbul s’est tenue pendant les mois d’octobre et novembre.

Le festival FotoIstanbul a pris le contre-pied des traditionnelles expositions « minimalistes », présentant les œuvres dans une enfilade de pièces blanches. Toute exposition est une mise en scène qui définit un itinéraire, un éclairage particulier ou une histoire, mais ici, le lieu ne sert pas seulement à montrer : il devient un objet d’art.

Non loin de là, vers l’embarcadère de Besiktas, une autre exposition présentée dans le cadre de FotoIstanbul joue sur la complémentarité entre les photographies affichées et le lieu où elles sont exhibées. Là, on trouve des images de guerres et de villes détruites par le séisme qui a touché la Turquie en 2011, et le lieu d’exposition n’est autre que des conteneurs portuaires identiques à ceux qui ont servi de refuge aux familles dont la maison a été détruite par le tremblement de terre.

Mais l’orphelinat d’Ortaköy a une telle aura qu’on ne sait plus vraiment si c’est le lieu qui sert les œuvres ou si ce n’est pas l’inverse.

Non, aucune histoire morbide ne s’est passée dans cet endroit. Son charisme est mystérieux, comme pour les bâtisses dont on dit qu’elles ont une âme. Quand on explore ce manoir qui a servi d’orphelinat pour petits garçons de confession juive dans les années 50, puis de maison d’accueil pour tous les orphelins avant sa fermeture, on sent une présence qui l’habite. Des pièces, comme les sanitaires ou les cuisines, sont encore reconnaissables, et des photographies collées aux marches d’escalier montrent les objets qui jonchaient encore le sol, comme des papiers administratifs et des ours en peluche, avant que le lieu ne soit nettoyé.

La particularité de l’endroit est qu’il n’a pas vraiment été réaménagé. L’exposition se déroule sur les vestiges bruts de l’ancienne demeure laissée à l’abandon. Les courants d’air traversent d’un bout à l’autre la maison, lui donnant son air fantasmagorique. Ici, fissures, humidité et chefs d’œuvre se confondent. Les vitres sont brisées, voire inexistantes, ou parfois remplacées par des bâches en plastique. Les murs laissent entrevoir les nombreuses couches de peinture superposées. Les fuites d’eau se faufilent entre les cadres des photographies et les moisissures vertes des plafonds n’ont pour concurrence que la rouille de la tuyauterie. Le lieu en décomposition devient un spectacle à part entière. Le temps et l’usure ont déposé leur marque sur chaque recoin, formant un tableau de couleurs et de matières unique. L’ancien orphelinat d’Ortaköy nous emmène dans une expérience à la croisée de l’exposition et de l‘urbex.

Le risque aurait pu être que les œuvres ne disparaissent derrière l’exubérance de la maison. Pourtant, c’est l’inverse qui se produit. Les photographies sont comme sublimées par cet endroit. Aucune sensation de lassitude ou de monotonie, comme ce que l’on peut ressentir lors de certaines expositions. L’atmosphère du lieu nous plonge dans un univers particulier tout le temps de la visite, alors nous sommes plus réceptif à ce qui est montré. L’exposition Museum project d’Atta Kim tient une place particulière, tant au niveau de l’espace qu’elle occupe, trois pièces au dernier étage, que de sa puissance intrinsèque. C’est comme si elle puisait l’énergie créée par le manoir à son profit tant elle ressort bien dans ce cadre pourtant si imposant. L’idée était justement de créer des images qui communiquent avec leur milieu pour le transformer en œuvre d’art totale.

Au fil des salles, on découvre des projets photographiques sur le thème annuel du festival « Lives of Others ». La « Vie des Autres », ça peut être la série After Syria de Sinan Kiliç et Serkan Colak qui confient des appareils photos à des enfants vivant dans des camps de réfugiés syriens pour qu’ils en rapportent des images sur la façon dont ils perçoivent leur quotidien. C’est aussi les individus et les scènes du quotidien qu’Anders Petersen arrache à la réalité des grandes villes dans City Diary et qu’il reproduit sous forme d’images jouant sur l’exhibition et le choc.

Inutile de dire que la force des images montrées lors de cette exposition est ce qui a permis de produire l’équilibre attendu entre le lieu de l’expo et les photographies affichées.

 

 

 

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