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Un oeuf « cocotte » avec Flavien Berger à l’occasion d’un Contre-temps

Un oeuf « cocotte » avec Flavien Berger à l’occasion d’un Contre-temps

Voilà déjà un mois que l’on écoute Contre-temps chez Manifesto. Le matin, au réveil, avec des yeux de brouillard devant ses œufs brouillés (« Pamplemousse »), durant la journée, que peuple toute l’activité d’un monde qui croît (« Brutalisme »),  à chaque jour qui se suit et se ressemble (« Deadline »), et le soir, au retour d’une journée harassante (« Castlemaure »). On croit même l’avoir entendu dans des contrées incongrues, là où on n’imaginait pas l’entendre (« 9×9 »). Voire même durant des pratiques génésiques (« Contre-temps »)…

C’est le mooooment

Il semblerait qu’il soit difficile de séparer la musique de Flavien Berger du concept d’habitude. Il le souligne lui-même : pour Leviathan, le symbole du disque était le 8, une boucle infinie. Ici c’est le 9, une sorte de boucle qui prendrait un raccourci.

Bref, l’idée de répétition se retrouve dans sa trame narrative et musicale. Pour les Inrocks, il ajoute aussi  « Découvrir les choses et casser les habitudes ». Les casser oui, lorsque l’on considère l’habitude comme une absence d’existence. Comme dans les routines mornes d’un quotidien froid.

Il faudrait maintenir le caractère organique de la pensée, pour éviter de la sacrifier au mécanique. Comme selon Charles Péguy, qui dénigre la répétition en lui assénant un coup de butoir dans Le Dialogue de l’histoire et de l’âme charnelle : le meilleur des tableaux de la série des Nymphéas de Monet n’est pas le 250ème, mais bien le premier.

Le premier nénuphar sera le meilleur parce qu’il est la naissance même.

L’habitude est à l’étonnement ce que la vieillesse est à la vie : une fatigue progressive. Mais étonnamment, on explique aussi que l’entrainement est la meilleure des sources pour la création. Flavien ajoute pour Profondeur de champs « C’est grâce à la répétition que tu peux commencer à créer des paysages ». 

La notion d’habitude chez Flavien se résume en trois paliers successifs. Le premier est celui de l’accoutumance. il s’agirait d’une forme d’endurcissement (au froid à la chaleur) ou d’indifférence à la satisfaction, lorsque le désir s’étiole pour ne plus être. Celle-ci pourrait s’apparenter au contenu du disque, notamment dans « Brutalisme », « Deadline » et « Contre-temps ».

Le deuxième se lit sous le prisme de la routine, autrement dit dans le fait de respecter des horaires stables, des habitudes d’hygiène… Il s’agit de pratiques de notre agir volontaire. Pour France Inter, Rebecca Manzoni discerne dans Contre-temps des « banalités de nos vies cadencées ». Cette deuxième habitude s’assimile à la forme du disque, dans la manière de structurer les sons, dans la technique d’ajout des bruits du quotidien.

« C’est le premier disque que j’ai fait le matin en allant au studio et le soir en sortant du studio et en rentrant chez moi. Et une forme de routine s’est installée dans la création du disque. En un an et demi, on a le temps de se regarder travailler. Je suis très exigeant envers moi-même et ce n’est pas parce que je fais de la musique que c’est cette musique-là que je vais sortir. J’ai beaucoup travaillé sur ce que je voulais faire : un album plus doux, un album qui parle du temps. Au sein de cette année et demi, il y a certaines choses qui sont arrivées très tôt, et d’autres très tard. »

Enfin, pour clore, le troisième échelon est celui du savoir-faire. La plus haute habitude. La routine est la condition de possibilité du savoir-faire, mais cette dernière la sublime, car ce conditionnement est toujours en train de se faire, dans un perpétuel retour-à-soi, toujours en mouvement. Il ne s’agit pas d’un simple retour au même, mais d’une répétition qui progresse par échelons, plus ou moins espacés. La répétition n’est qu’un moyen en vue d’une fin.
C’est une vigilance de l’instant, qui transforme la routine en capacité. Perdre une habitude est volontaire, alors que perdre une capacité ne l’est pas.

Cette fois-ci, cette forme d’habitude ressemble à Contre-temps lui-même, dans la possibilité que Flavien Berger laisse à l’auditeur de s’évader, de prendre sa liberté, de telle sorte à ce que l’on acquiert une capacité : celle d’être à contretemps.

« J’ai fait de la musique tout seul pendant la moitié de ma vie. De 13 à 30 ans. Et j’ai sorti mon premier disque à 25 ans. Pendant plus de 10 ans j’ai fait de la musique sans la faire partager. C’était une pratique qui me réalisait moi pour moi-même. Sans de but de diffusion, ni de carrière. Je me disais pas que ça allait me représenter. C’est moi qui faisait de la musique, qui produisait des morceaux et qui les classait dans des dossiers. En faisant cette pratique, je me suis constitué un savoir-faire, autodidacte. Une palette qui est encore audible aujourd’hui dans ma musique.

Mon rapport à ma musique est libre, il n’est pas contraint, c’est-à-dire que je n’ai que moi à faire évoluer. Ce disque c’est un challenge. Tu parlais de répétition je trouve que ce disque est beaucoup moins dans la répétition que le premier par exemple. Parce qu’il y a moins de transe, moins de choses installées dans lesquelles on vient introduire d’autres éléments. Lorsque le cerveau a compris le pattern il est massé, il sait dans quel mode il s’installe. On devient de plus en plus confortable, et le moindre changement vient incliner chaque auditeur dans une direction ou dans un autre.

Alors que Contre-temps lui est plus dans un structure pop, dans la durée courte du morceau, et il dit autre chose. Lorsque je crée un morceau de 3’30 » avec des coupures il y autre chose que je vais chercher, une autre émotion, Ce qui est écrit est plus profond car j’ai beaucoup plus travaillé l’écriture. Profond dans le sens où il y a quelque chose en caché sous-jacent qui insinue des choses. »

Les familiers de la musique de Flavien Berger reconnaîtront dans son disque les longs développements, allitérations et permutations syllabiques. Les autres peuvent, quant à eux, découvrir les battements lexicaux qui martèleront progressivement leurs pavillons acoustiques.

L’ABCD’aire de Flavien Berger  

À la manière d’un Francis Ponge, duquel le Parti pris des choses est une bonne introduction de sa poésie, on a demandé à Flavien de nous rendre compte de son album de la manière la plus précise qu’il soit.

*Rétroglyphe : « Il s’agit d’un vestige d’une humanité passée qui écrirait pour le futur avec des mots qui parlent au présent. Cette écriture est en contre-forme, les rétroglyphes sont ainsi à l’envers. Ils s’inscrivent dans des endroits où l’on imagine pas qu’ils soient lus. Il s’agit de parvenir à s’adresser au soi du futur ou bien alors au soi du passé. Une fois déchiffrés, ils aident alors à comprendre qui on est, et qui on sera. »

Voyageur Golden record
Voyageur Golden record

*Album : « Il s’agit d’une proposition d’histoire ou de voyage, attachée à un format selon différents chapitres. Dans sa longueur, l’album permet des dynamiques de narration et permets ainsi d’atteindre des zones émotionnelles. Ces étapes sont nécessaires à l’album pour atteindre le point d’orgue de ce qui est dit par celui qui le fait et de ce qui est ressenti par celui qui l’écoute. »

L’album est une organisation dans le temps de différentes étapes de moments collectionnés

*Moment : « Tu écoutes le moment que tu écoutes et tu vis le moment que tu vis. » 

Le moment c’est la tête de lecture

« C’est prendre la substance de la musique et la substance de la vie. Il s’agit alors d’agripper le temps par son instantanéité et aussi par son impermanence. Le futur est toujours faux et j’ai tâché, avec Contretemps, de m’agripper au moment. De quelle façon ? En en parlant par la musique, car lorsque l’on écoute un morceau, on n’écoute pas le morceau suivant, on écoute CE morceau. Lorsque l’on écoute une seconde du morceau on écoute CETTE seconde. Et dire que « c’est le moment » ça permet la distanciation pour le voir dans sa globalité. Le comprendre. Le prendre avec soi. »

C’est la substantifique moelle de la musique. 

*Onomatopée : « Lorsque je n’ai pas de mots surgissent les onomatopées. L’onomatopée est une étape importante car c’est le début de l’écriture, une sorte de genèse émotionnelle, dans le fait d’assembler des sons. C’est souvent le début de ma musique, lorsque j’ai des lignes mélodiques qui proviennent. Les onomatopées sont des sons mis à la suite les uns des autres. Et les sons sont des émotions. C’est pas parce que ça veut rien que ça va rien dire par la suite. Et c’est pas non plus parce que ça ne dit rien que l’on ne ressent rien. Il m’arrive aussi, comme dans « Pamplemousse », d’en faire en anglais. On écoute de la musique anglophone tout le temps, on comprend rien et c’est super facile de la singer, et c’est drôle. »

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Francis Ponge continue en reconnaissant que l’activité poétique provoque une sorte de jubilation provenant de ce qu’il appelle la surprise renouvelée devant un objet pourtant connu. 

« Oui, parfois ça m’arrive de m’émerveiller, dans une forme d’enchantement du réel. Et à ce moment précis j’ai l’impression qu’une sorte de voile s’ouvre sur une perception du monde, subrepticement. En l’espace d’une seconde, j’entraperçois ce qu’il se tramait derrière. Et ça devient l’évidence, c’est exactement comme ça que j’ai envie de le dire. Et je le note. J’agrémente par la suite ces moments de perceptions et je les intègre à d’autres choses plus ou moins concrètes et intangibles. 

Ça, je considère que c’est redécouvrir le banal selon une certaine perspective, en trouvant le bon angle. »

Auguste Puttemans- le voile d'Isis
Auguste Puttemans- le voile d’Isis

Redécouvrir le banal, c’est apprécier de nouveau, et ce pendant 4’35 », la simple vue d’une brique de jus de fruits. Bien que pour cet album Flavien ait fourni l’effort concluant de compresser ses titres pour un format plus habituel, c’est précisément dans sa musique que l’on s’aperçoit que la parole naît continuellement, et que le même thème peut être butiné de plusieurs façons différentes. Et c’est aussi parce que ça plaît que l’écriture tend à un éternel recommencement.

Rien, afin que tout dure, ne dure éternellement

Et après Léviathan et Contrebande, on retrouve Flavien Berger avec Contre-temps. Il semblerait qu’il n’ait pas épuisé sa vitalité féconde. 

« Lorsque je n’aurai plus rien à dire par elle (la musique, nldr), j’arrêterai alors. Il m’arrivera peut-être même de parler des mêmes thèmes dans mes futures chansons. Car on est constamment en état de changement. On n’est jamais la même personne que celle que l’on a été.  On est la somme de ce que l’on est seconde après seconde. Les choses changent elles aussi. Ma conception de l’amitié n’est pas la même que celle d’il y a dix ans, en tout cas je n’aurais pas les mêmes mots pour la décrire. »

Les mots on les adopte et on les quitte, ils nous obsède et on les rejette.

« Je considère le langage comme un filtre. Ce qui est important à mes yeux n’est pas tant les sujets que la manière dont on a d’en parler. Cette année je propose un nouvel album, mais j’ai un rapport particulier avec l’ancien.  J’ai peur de faire moins bien que ce que j’ai déjà fait. Pourquoi les premiers disques sont souvent si biens ? Comme avec Monet, en musique il y a ce lieu commun de dire que le premier album d’un artiste c’est souvent le meilleur, sauf exception. »

Monet- Impression, soleil levant
Monet- Impression, soleil levant

« Moi je voulais faire mieux. Mieux c’est faire plus fort, plus riche ou plus compliqué. Mieux dans le sens où je l’entends c’est réussir à m’écouter, réussir à entendre ce que je vais entendre. Ainsi il n’y aura jamais d’éviction de Léviathan si je parviens à garder cette ligne directrice. Contretemps n’a jamais détrôné Léviathan, et l’inverse aussi. Seulement il  y en a un qui est plus proche de moi aujourd’hui car il me représente plus actuellement. J’entends dans « représente » ni mon moi ni ma vie, mais plutôt la charge poétique et la charge sonique que je souhaite mettre dans cet objet-là, grâce à mes outils de production, de réalisation et d’écriture. 

Je pense qu’une création c’est une espèce de substrat du présent, il s’agit de la manière dont tu arrives à être au plus proche de tes intentions sincères. Voilà. »

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