Le Bon Air Festival revient du 26 au 28 mai 2023 à la Friche la Belle de Mai à Marseille, avec une nouveauté : trois artistes ambassadrices, TTristana, Lisa More et Goldie B, ont eu carte blanche sur une partie de la programmation. On a discuté avec elles de leur curation inclusive et audacieuse, au prisme des dynamiques culturelles marseillaises.
Après une année 2022 qui a vu affluer plus de 20 000 festivalier·es, Marseille s’apprête à fêter la 8ème édition du Bon Air. Du 26 au 28 mai 2023, plus de cinquante artistes sont programmé·es sur trois nuits et deux jours à la Friche la Belle de Mai qui se transforme en labyrinthe de la teuf pour l’occasion. Du toit terrasse au cabaret, en passant par les petit et grand plateaux ainsi qu’une scène secrète, la programmation met comme toujours à l’honneur des musiques électroniques aventureuses et pointues, entre techno rave, house mais aussi bass music, dancehall ou ebm.
On y retrouvera des têtes d’affiche internationales : la renommée Jane Fitz, la queen new-yorkaise Honey Dijon, la brésilienne Badsista, ou encore Darkside, le projet de Nicolas Jaar et du multi-instrumentaliste américain Dave Harrington. Mais comme chaque année, le festival met également en lumière la scène marseillaise dans toute sa diversité, avec Vanda Forte b2b Bernadette, le collectif techno queer Discordance, Lugal Lanbada et Arthur Campi de l’antenne locale de Lyl Radio, ou la rayonnante Mystique qui s’associe pour l’occasion avec la suisse Miss Sheitana.
Et pour la première fois, le festival a fait appel à trois ambassadrices locales, les artistes TTristana, Goldie B et Lisa More. Invitées à participer au comité de programmation de cette édition, elles ont même reçu une carte blanche pour composer entièrement le line up de la scène du cabaret. Ainsi, on aura l’occasion de découvrir chaque soir l’univers et les influences de chacune d’elles. À quelques jours du festival, elles nous en disent plus sur ce processus de curation et leur vision de la vie culturelle marseillaise.
Manifesto XXI – En tant qu’ambassadrices du Bon Air 2023, comment avez-vous élaboré votre programmation? Quel·les sont les artistes que vous êtes particulièrement fières de mettre en avant ?
Goldie B : Le processus de conception du line up a été collaboratif, impliquant des réunions et des discussions approfondies entre les membres permanents du comité de programmation et nous-mêmes les ambassadrices. Ensemble, nous avons travaillé à créer une programmation audacieuse et haute en couleurs, représentative de la culture club actuelle. Chacune d’entre nous a pu y apporter ses propres couleurs musicales, notamment par le biais de nos curations sur la scène du cabaret. Pour ma part, j’ai saisi cette opportunité pour mettre en avant la culture bass et UK sound dans laquelle j’évolue depuis plusieurs années. Je suis particulièrement heureuse d’avoir pu inviter des artistes tel·les que Coco Bryce, TSVI, La Dame, DJTB et Kumanope, qui représentent parfaitement le spectre large et ultra riche de cette mouvance musicale.
Lisa More : On a d’abord envoyé un gros rush de noms que nous aimerions voir sur le festival, autant de têtes d’affiche que de newcomers, puis le tout était d’être cohérentes en les plaçant de la manière la plus adéquate sur la timetable en respectant les directions artistiques et les parités. Quand est venu le moment de réfléchir à notre carte blanche sur la curation de notre scène, vu l’éclectisme de mes influences et de mon projet musical, j’ai dû me restreindre un peu en adoptant une esthétique particulière. TTristana est très spécialisée dans le post-club et Goldie B plutôt dans la musique UK, deux styles que j’aime aussi énormément, mais je me suis dis que j’allais partir dans une autre direction, pour apporter autre chose. Je tenais à jouer en b2b avec A Strange Wedding, qui a un univers deep tech sound-designé bien précis, donc j’ai construit le line up de ma scène en partant de cette esthétique-là.
TTristana : Nos identités sont plurielles. Musicalement je souhaitais défendre des couleurs post-club, mais je voulais aussi instaurer un line up qui soit 100% inclusif, en passant par le dj set, le b2b ou encore le live. Je voulais que ma stage soit éclectique dans les sonorités mais qu’elle reste cohérente : Mama Yha Yha fera l’opening avec un set bien techno/club, suivi d’un live ultra immersif de aya qui mélange collage post-club, grime, UK, bass music… Puis on enchaînera avec Badsista, productrice, musicienne et dj qui fait part de sa culture brésilienne dans ses sets, et un closing de Miss Jay, incroyable productrice dont je suis le travail depuis de nombreuses années et qui sera en b2b avec moi-même.
Souvent si on n’est pas mis·e en avant, ce n’est pas par manque de talent, c’est juste parce qu’on s’est toujours fait écraser par le patriarcat et qu’on n’a pas eu la visibilité qu’on méritait pendant longtemps.
Lisa More
En quoi s’agit-il d’une programmation engagée selon vous ?
TTristana : L’équipe du Bon Air a toujours fait part de son intérêt pour une programmation paritaire mais aussi inclusive. Là où je trouve ça malheureux, c’est qu’il est toujours important de le souligner en 2023 car il y a encore trop peu de femmes et de personnes queers et/ou racisées sur les line up de festivals. N’oublions pas que la genèse de ce que l’on écoute et produit aujourd’hui provient de la culture club et rave créée par ces personnes-là !
Goldie B : La programmation se distingue par son caractère paritaire, ce qui est encore trop rare dans le paysage festivalier actuel pour mériter d’être souligné ! Elle met en avant des esthétiques musicales variées et novatrices, donnant une visibilité aux artistes et aux styles trop souvent marginalisés. Elle se distingue aussi par son engagement envers les artistes émergent·es, notamment en installant un dialogue artistique avec des talents plus établis.
Lisa More : J’ai beaucoup souffert de ce truc de remplir une case : quand il fallait une femme sur l’affiche, on me mettait dessus (souvent en warm up) et parfois sur des progs qui n’avaient rien à voir avec ce que je jouais. Ça prouvait bien que ces gens-là n’avaient pas diggé mon projet et qu’ils voulaient juste m’inviter pour avoir l’air engagé et inclusif, je trouve ça vraiment naze. Pour éviter de faire ça, il faut revoir ses habitudes d’écoute au quotidien et arrêter d’écouter les trois mêmes mecs qui dominent tel ou tel style qu’on aime, mais aller creuser en dénichant des talents de tous genres, toutes origines. Car souvent si on n’est pas mis·e en avant, ce n’est pas par manque de talent, c’est juste parce qu’on s’est toujours fait écraser par le patriarcat et qu’on n’a pas eu la visibilité qu’on méritait pendant longtemps. Je dirais que la programmation du Bon Air respecte la parité au mieux, en bookant des minorités de genre ou des personnes racisées, mais sans tomber dans quelque chose d’hypocrite pour cocher des cases, en s’intéressant réellement à la musique produite par ces artistes.
Marseille accueille de plus en plus de nouvelles personnes, au risque d’une certaine gentrification : comment s’ouvrir culturellement sans risquer de perdre l’identité de la ville ?
Lisa More : En continuant de mettre toujours en avant la scène locale et celles et ceux qui la font vivre depuis bien longtemps. C’est hyper important, parce que ce sont ces personnes-là qui font l’identité de la ville.
Goldie B : Effectivement, je pense qu’il est essentiel de soutenir notre scène artistique locale, celle qui est ancrée dans la culture de notre ville, qui s’en inspire. Par ailleurs, il me semble absolument primordial de faciliter l’accès à la culture pour tous·tes, en veillant à ce que les activités culturelles soient abordables et accessibles à tous les segments de la population. Cela peut inclure la mise en place de tarifs réduits, des programmes éducatifs ou des collaborations avec des associations locales, à l’image des actions culturelles que nous animons actuellement avec mon label Omakase Recordings au sein du collège Jean-Claude Izzo. Il faut intégrer la durabilité culturelle dans le développement de la ville, pour qu’elle puisse évoluer harmonieusement en préservant son caractère unique et son identité culturelle.
TTristana : Je ne suis pas contre l’expansion de la ville culturellement, je trouve ça plutôt positif que de nouvelles personnes arrivent ici et fassent profiter de leurs talents. J’ai fait partie de ces gens-là quand j’ai emménagé à Marseille donc je ne peux pas dire le contraire ! Même si ça fait maintenant de nombreuses années que je suis ici, je ne suis pas très patriote, pour être honnête. Marseille est une ville avec de belles opportunités, qui a toujours fait preuve d’après moi d’expérimentation dans la culture. Je ne vois pas pourquoi il faudrait voir l’arrivée de nouvelles personnes comme une perte de cette identité. Je le vois au contraire comme une opportunité de pouvoir accroître cette belle ville, que Marseille se réinvente à certains niveaux.
La scène musicale marseillaise actuelle est en pleine effervescence, mais il y a un manque notable et assez handicapant de structures adaptées pouvant accueillir et suivre ses artistes.
Goldie B
Une grande place a été donnée à la scène locale dans le festival, via des collectifs, des radios, des disquaires. Quel regard portez-vous sur la scène musicale marseillaise actuelle ? Quelles tendances se dessinent ?
Lisa More : J’ai toujours observé la scène marseillaise de loin et je la trouve merveilleuse, j’ai rarement vu une ville aussi riche d’arts en tous genres et qui pourtant se serre autant les coudes et ne crée pas de cases. Il n’y a pas une tendance, il y en a plein, c’est hyper inspirant et enrichissant.
TTristana : Je ne vais pas vous mentir, je ne sors pas beaucoup, je suis très casanière ! (rires) Mais j’ai écho de ce qui se passe ici, je vois bien que la scène locale s’agrandit encore et encore, avec les webradios Lyl et Ola, les soirées Styx [curatées par Mystique et Guerre Maladie Famine, ndlr], Dreamachine, Error.tpg… Je peux juste souligner qu’à l’époque de mon collectif PailletteS, on manquait déjà de structures, et c’est toujours le cas aujourd’hui, cinq ans après… Il est temps je pense que de ce côté-là les choses bougent.
Goldie B : Oui, la scène musicale marseillaise actuelle est en pleine effervescence, mais il y a un manque notable et assez handicapant de structures adaptées pouvant accueillir et suivre ses artistes. Le nombre de collectifs et d’initiatives ne cesse de croître, avec toujours plus de propositions innovantes. Je pense qu’une dynamique positive de dialogue et de création est en cours au sein de la communauté artistique et qu’elle nécessite aujourd’hui le soutien des institutions et des acteur·ices professionnel·les du secteur.
Le Bon Air Festival, du 26 au 28 mai 2023 à la Friche la Belle de Mai, Marseille
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