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Tristesse Contemporaine, une pop en écho à l’urgence de la ville

Tristesse Contemporaine, une pop en écho à l’urgence de la ville

Narumi vient de Tokyo, Maik de Londres et Léo de Stockholm. L’histoire a fait qu’un jour, leurs chemins se sont croisés à Paris et Tristesse Contemporaine est né. Mais c’est à Cisai-Saint-Aubin, au fin fond de la Normandie que nous avons rencontré « le trio le plus apatride de l’Hexagone » pour discuter de sa vision de toutes les esthétiques. Celles du cinéma, celles de la Beat Generation, celles de Londres, de Paris, de Stockholm et de Tokyo. En bref, celles qui façonnent cette musique brute, minimaliste, tranchante et magnétique, comme en écho à la froideur mécanique des capitales de notre monde contemporain.

Manifesto XXI – Vous venez tous de capitales différentes et portez un bagage très différent, qu’est-ce que ce qui vous réunit dans votre musique ?

Léo : On est probablement chacun inspirés de nos expériences personnelles mais musicalement on se sent proches de la musique anglaise de la fin des années 1980, début 1990. Cette période-là à Londres nous inspire énormément, c’est là que l’on trouve les goûts que nous avons en commun. On a beau venir de trois pays différents, on n’est pas forcément inspirés par la musique japonaise ou suédoise pour faire la nôtre. Après moi je pense que la musique en Suède est plus intéressante maintenant que quand j’habitais là bas.

Pourquoi ça ?

Léo : Ça fait bizarre de le dire parce c’est un peu oublié aujourd’hui mais la musique Suédoise avant et après MySpace est complètement différente. Avant, il n’y avait pas beaucoup de groupes qui perçaient vraiment et qui venaient de là bas. Il y a ABBA, Roxette, Max Martin… Même Max Martin, ce qu’il fait maintenant c’est vraiment classe mais à l’époque c’était presque l’une des raisons pour lesquelles je suis parti ! Il n’y avait que cette pensée majeure, ces gros artistes là, mais rien d’autre.

Narumi : Pourtant au Japon la musique suédoise était très populaire, avec des groupes comme Cardigans par exemple. Ça a beaucoup inspiré les musiciens japonais qui pour certains sont même venus enregistrer à Stockholm directement.

Léo : Oui mais pour moi c’était trop caricatural comme musique. Les raisons pour lesquelles ça marchait au Japon, c’est parce que les japonais à l’époque ne parlaient pas bien anglais.

Vous avez sorti votre troisième album Stop and Start en début d’année, comment se sont passés les six mois qui ont suivi ?

Léo : Ça va ! C’est passé très vite en fait. On va s’attaquer à la tournée française en octobre. On n’a pas trop pu tourner avant car on était tous occupés à des projets différents : Narumi accompagnait Jeanne Added sur sa tournée, Maik et moi on travaillait sur Camp Claude.

© Camille Vivier

Vous tirez votre nom d’un roman de Hippolyte Fierens-Gevaert, vous citez Bukowski… La littérature est un genre qui vous inspire ?

Léo : Oui, comme tout ce qui est issu du courant beatnik finalement. À une époque j’ai travaillé dans les livres anciens et je lisais beaucoup. J’étais très intéressé par l’histoire des livres en eux-mêmes, comme le fait de savoir pourquoi certains durent dans le temps alors que d’autres sont oubliés. J’étais plutôt un collectionneur de livres plutôt qu’un véritable lecteur.

Vous citez aussi Cassavetes dans vos inspirations.

Maik : J’ai un rapport particulier avec Cassavetes, ça dépend des périodes en fait. Une des premières fois que j’ai regardé un de ses films, et ça m’arrive encore maintenant, je me suis dit : « Mais bordel qu’est-ce que je viens de regarder là ? » C’était une grosse claque. Mais ça dépend aussi de la personne avec qui tu regardes ses films. Par exemple, c’est pas vraiment le truc de ma copine. Donc quand elle regarde un film de Cassavetes avec moi je commence à être mal à l’aise parce que je sais que ça la fait chier. Mais quand je suis tout seul, je ressens une grosse magie.

Narumi : On se sent aussi très proches des sujets qu’il traite. Le racisme, le féminisme… Il a un point de vue très féminin qu’il filme extrêmement bien. Il exprime le point de vue de femmes, ce qui est très rare dans le cinéma. Et il le met si bien en valeur qu’on en oublie que c’est un mec derrière la caméra, et ça c’est important. Dans la musique, c’est autre chose, c’est un milieu encore très macho, donc sa façon de voir les choses et de mettre en avant la vision féminine est assez exceptionnelle.

Vous avez d’ailleurs été programmés dans plusieurs festivals féministes. Quel regard portez-vous sur la scène féminine de vos pays respectifs ?

Narumi : Paradoxalement au japon, il y a beaucoup plus de filles à faire de la musique qu’en Europe. Il y a presque autant de filles qui font de la musique que de garçons.

Léo : En Suède, après cette période MySpace il y avait beaucoup de filles qui ont émergé, souvent sur des projets folk. Il y en a eu plein, ça cartonnait ! En fait Internet a montré qu’on pouvait construire une carrière sans passer à Stockholm, surtout quand t’es une femme. Avant Stockholm était une sorte de filtre, si tu marchais pas là bas tu ne pouvais pas marcher ailleurs. Avec Internet les artistes ont tourné aux USA, en France, en Angleterre. L’exemple le plus parlant de ce phénomène est sans doute Lykke Li, qui a explosé en dehors des frontières suédoises, mais il y a dix ans sa musique n’aurait même pas dépassé la capitale.

Narumi : Peut-être aussi que comme c’est pas un grand pays, ces artistes ont une vision plus internationale de leur musique finalement, et du coup ça marche.

Léo : Oui et peut-être qu’aujourd’hui il y a une mise en avant de la scène féminine en Suède. Il y a aussi une histoire de quotas je pense. C’est un débat très actuel.

Mais les quotas imposés faussent la réalité, dans une certaine mesure.

Léo : Oui sans aucun doute… Je ne sais pas comment c’est géré mais ils essaient vraiment de pousser ce côté là, même au niveau international. Par exemple si aux Grammys il n’y avait aucune femme de récompensée, il y aurait de gros scandales aujourd’hui.

Quelle attache avez-vous à la France ?

Léo : On est tous venus pour des raisons différentes, et c’est ici qu’on s’est rencontrés. Notre lien avec la France reste la musique. J’ai d’abord découvert ce pays avec sa musique.

Narumi : C’était obsessionnel pour moi. Quand j’étais au japon j’étais déjà très intéressée et attachée à la culture française, avec la musique, le cinéma aussi. J’y suis venue et ça fait vingt ans !

Est-ce que les villes d’où vous venez ont des scènes underground qui se ressemblent ?

Léo : Pas vraiment, au Japon la musique est globalement très nationale. Et je ne sais pas si on peut vraiment parler d’underground puisque la scène japonaise est principalement très mainstream, très produite. Il n’y a quasiment aucun artiste japonais qui fait des tournées en Europe ou aux Etats-Unis.

Narumi : Mais il y a 30 ans, il y avait une scène underground beaucoup plus présente qu’aujourd’hui, avec Yellow Magic Orchestra qui a fait la première partie de Kraftwerk en tournée par exemple. À Tokyo il y avait toute une scène underground de courant new-wave des années 1980 mais qui était très inspirée de la musique anglaise. Personnellement il y a un groupe japonais qui m’a vraiment donné envie de faire la musique qu’on fait aujourd’hui, c’est Zelda, un truc post-punk très anglais, ça m’a beaucoup influencée.

Votre musique évoque la solitude urbaine, l’errance citadine, un truc très brut et mélancolique. C’est votre état d’esprit ?

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Léo : Oui, il y a de ça dedans mais avec à la fois un côté second et premier degrés. Rien qu’avec notre nom, par exemple. C’était un truc un peu pompeux de prendre un nom qui rappelle la grande littérature, la vieille France. Et je ne pense pas qu’on soit réellement tristes, mais la musique triste est souvent la plus belle. Et puis même, on n’a pas peur d’être triste, on ne voit pas ça comme une faiblesse ou comme quelque chose qu’il ne faut pas être. La tristesse est un état d’esprit, donc qui change forcément.

Maik : Quand tu vis dans une capitale, c’est assez lourd, même quand tu as de base un esprit très léger. Tu ne peux pas échapper au fait d’y vivre, de vivre si proche des gens, dans le béton, de te déplacer dans le métro, de te prendre la poussière des travaux, d’évoluer dans un environnement qui n’est pas lisse. Donc quand j’écris les paroles des chansons, cette expérience de la ville m’influence forcément parce que je vis en plein dedans.

Narumi : C’est la musique de ville. Prenons Lou Reed par exemple. Il disait que la campagne et les grands espaces en général l’angoissaient parce qu’il a grandi dans la ville, à New-York. Ça fait partie de lui et ça s’entend forcément dans sa musique.

Stop and Start semble être beaucoup plus minimaliste et froid que vos deux premiers albums, on y ressent presque comme une urgence. Qu’est-ce qui a changé dans votre perception de ce qui vous entoure pour le composer de cette manière ?

Léo : Oui, c’est vrai, je ne sais pas pourquoi mais je trouve cet album assez agressif finalement. Il y a une tension constante. Je crois qu’il y avait un certaine agressivité qu’on voulait sortir.

Contre quoi ?

Léo : On n’avait pas de cible précise en composant l’album. Tu vois, je te disais tout à l’heure qu’on ne voyait pas le fait d’être triste comme une faiblesse. En revanche avoir une cible précise comme motif pour faire de la musique, c’est faible. Il faut quelque chose d’un peu pur, une émotion pure. Ça a toujours été notre démarche.

Narumi : C’est comme pour un film qu’on aime. On ne va pas l’apprécier pour son synopsis mais pour les sensations qu’il dégage. En fait c’est ça, on a fait un disque de sensations.

Léo : Je ne vais pas parler pour nous trois parce que je pense qu’on perçoit les choses différemment mais personnellement je pense que je suis devenu beaucoup plus « confrontable » alors que j’avais beaucoup peur des conflits avant. Donc peut-être qu’au début, notre musique était plus dreamy car j’avais cette sensation-là, alors que maintenant j’aborde la musique avec un spectre plus large et dans lequel je peux beaucoup plus me lâcher émotionnellement.

Maik : Après je pense que c’est la France qui fait ça. Dans les sociétés en général, c’est peut-être devenu un peu plus dur d’éviter les conflits. Mais en Angleterre, en général on évite les confrontations, on s’efface plus facilement (sauf quand on est bourrés). Mais depuis que je vis en France je vais être plus prêt pour ouvrir ma bouche dans des situations, à gueuler quand ça va pas, quand on me double dans une queue je vais le faire remarquer et remettre la personne à sa place.

Narumi : C’est exactement pareil au Japon, du coup quand je fais remarquer à quelqu’un qu’il a pris ma place dans une queue on me prend pour une tarée !


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