Trentemøller, compositeur et producteur danois dont la réputation dans le monde de la musique électronique n’est plus à faire, s’apprête à sortir demain (16.09.2016) un nouvel album, intitulé ‘Fixion’. Avec ce nouvel opus à la fois pop et expérimental, ambient et mystérieux, Trentemøller nous offre une fois encore une épopée musicale de haute volée.
Manifesto XXI – Tu sors bientôt un nouvel album, ‘Fixion’, peux-tu nous dire quelques mots sur sa genèse, l’idée principale que tu voulais explorer ?
Trentemøller : C’est drôle que tu me demandes ça, parce que quand je commence à travailler sur un nouvel album, je n’ai pas vraiment de plan, ou du moins j’essaie de ne pas trop y penser justement. Je commence juste à composer des choses. Je crois que j’ai travaillé sur cet album pendant un peu plus d’un an. Après cinq ou six mois, je pouvais tout doucement commencer à déceler une structure et un certain son. Je me suis rendu compte que je voulais des morceaux assez dénudés, comparé à ce que j’ai fait avant, qui ressemblait plus à de la musique de cinéma, avec beaucoup de couches différentes. Il y a toujours des strates dans ma musique, mais je voulais qu’elles sonnent un peu plus minimalistes, avec plus d’espace, d’ouverture. Je me suis beaucoup concentré sur les voix, et je voulais aussi explorer le jeu et l’expérimentation avec l’instrumental. C’était un peu ça le concept de l’album si on peut dire.
Manifesto XXI – Pourquoi avoir choisi ce titre, ‘Fixion’, pour cet album ?
Trentemøller : C’est quelque chose qui m’est venu assez vite car je pensais à créer de la musique, de l’art plus généralement, faire de la peinture ou autre… mais en particulier pour moi faire de la musique c’est quelque part essayer de construire mon propre monde, décrire des sentiments que j’éprouve. Très souvent, ce sont des vibes mélancoliques, et créer de la musique c’est aussi manipuler certains sentiments, c’est comme de la fiction pour moi, tu construis ce monde, qui n’est pas réel, mais qui a l’air réel en un sens.
Manifesto XXI – C’est orthographié comme ‘fiction’ mais avec un ‘x’, ça provient d’une véritable langue ou c’est un mot inventé ?
Trentemøller : C’est une création, c’était simplement une volonté de le rendre plus personnel, donc je l’ai épelé un peu différemment. Je voulais aussi jouer un peu avec ce qui est bien ou mal… c’était aussi l’idée dans l’artwork que je voulais quelque chose de vraiment reconnaissable, comme un portrait, mais un peu fantomatique, avec la difficulté de cerner ce qui est réel ou pas. On a jouté des effets à la photo analogique, et c’est un peu la même chose que ce que je fais avec la musique je pense, travailler avec les strates, avec ce qui est naturel, non naturel, l’électronique versus le digital… J’espère que les gens retrouveront cet aspect dans l’artwork.
Manifesto XXI – Avec qui as-tu travaillé sur cet album ?
Trentemøller : À chaque fois que je compose un album ou de la musique, c’est un processus très solitaire, je fais tout moi-même. les seules personnes avec qui j’ai travaillé sur cet album sont les deux chanteuses, Marie Fisker et Jehnny Beth (chanteuse de Savages). C’est quelque chose d’assez personnel car c’est de la musique sur laquelle j’ai travaillé seul, et d’habitude je suis timide sur son partage, souvent je ne veux la jouer devant les gens que lorsque j’en suis complètement satisfait.
C’est très naturel pour moi de travailler avec Jehnny. Elle est venue à Copenhague et a vécu chez moi pendant deux jours. On s’est rendus à mon studio, qui est tout près. Donc en gros on a fait deux morceaux en deux jours. C’était intense, mais aussi très agréable de travailler de cette manière, car d’habitude, quand je travaille avec des chanteurs, on utilise beaucoup Internet.
Quant à Marie je travaille avec elle depuis des années maintenant. C’est très pratique car on partage le même complexe de studios, donc je n’ai qu’à frapper à sa porte et lui demander « ça te dirait de chanter là-dessus ? ».
Donc ces collaborations ont été très simples, même si c’est toujours un challenge d’entendre soudainement des lignes de voix sur une musique que tu as composée, car ça devient différent de ce que tu avais imaginé. C’est aussi justement ce qui est beau, tu as soudainement une nouvelle donnée à laquelle tu n’aurais jamais pensé avant.
Manifesto XXI – Tu les as laissées composer les paroles ?
Trentemøller : Oui tout à fait, car pour être honnête, écrire des paroles ce n’est pas trop mon truc, même si bien sûr on débat des thèmes. Je demande toujours aux chanteurs avec qui je travaille de rester assez ouverts dans les paroles, plus dans l’abstraction que dans le déroulement d’une histoire, de manière à ce que les auditeurs puissent y injecter leurs propres histoires, visions.
Manifesto XXI – En dehors des paroles et des voix, tu as donc tout fait seul dans ton studio ?
Trentemøller : Oui, j’ai même fait le mixage moi-même, d’habitude je le fais avec quelqu’un d’autre, mais cette fois je voulais tenter d’avoir le contrôle tout du long. Par contre d’habitude quand je travaille avec un chanteur, j’arrive avec un instrumental fini, sur lequel on ajoute la voix, en faisant bien sûr quelques ajustements. Mais avec Jehnny on a vraiment construit la musique ensemble, donc c’était une nouvelle manière de travailler pour moi. C’était une belle expérience, et ça m’a obligé à lâcher un peu le contrôle (rires).
Manifesto XXI – Comment as-tu choisi le premier single/clip qui serait dévoilé ? (‘River In Me’)
Trentemøller : Pour moi c’était assez simple, car c’était un des morceaux les plus rapides de l’album, j’ai pensé que ça pourrait à la fois bien coller pour la radio et donner un bon aperçu de l’album. C’est une chanson assez courte et simple, et tu rentres rapidement dans l’esprit de l’album, donc c’était assez naturel pour moi de choisir ce single. Le second est avec Marie Fisker au chant (‘Redefine’).
Manifesto XXI – Comment as-tu choisi le réalisateur de ces clips ?
Trentemøller : C’est une autre histoire car, pour être honnête, je ne suis pas un grand fan de clips. Je pense que c’est parfois un peu dommage d’avoir les images servies sur un plateau. Je pense qu’une des belles choses dans la musique est cet effet comme quand tu lis un livre : tu peux visualiser tes propres images, utiliser ton imagination. Parfois les clips dictent un peu trop ce que tu devrais ressentir. Donc j’ai travaillé avec cet artiste, Andreas Emenius, qui a aussi réalisé la cover avec moi. Il réalise toutes les vidéos de l’album car j’aime beaucoup son travail, et je lui fais confiance pour comprendre et interpréter ma musique. Il a les mains libres pour réaliser ce qu’il ressent.
Manifesto XXI – Peux-tu nous en dire un petit peu plus sur le ‘Fixion tour’ organisé autour de cet album ?
Trentemøller : On ne fait que sept concerts en septembre, dans des petites salles, juste pour tester la musique. L’album sort le 16 septembre, on donne quatre concerts en Europe, puis trois aux USA. Mais plus tard on revient en Europe pour une grande tournée, où on va aussi jouer dans des salles plus grandes. On revient à Paris en février, et en mars on fait une tournée aux États-Unis. Donc en septembre c’est plus pour tester la musique, car je pense que c’est plus sympa, à la fois pour moi et pour les gens, qu’ils viennent à mes concerts après avoir pu se pencher sur l’album un peu plus d’un week-end. C’est la raison pour laquelle on revient en février, en espérant que d’ici là les gens aient pu écouter un peu plus l’album, qu’ils connaîtront les chansons… Mais j’ai aussi hâte de voir la réaction des gens en septembre face à ce nouvel album. Paris est notre tout premier show… Je pense qu’on sera un peu nerveux, mais ça va être bien.
Manifesto XXI – Pourquoi Paris en premier ?
Trentemøller : Car Paris a toujours été parmi nos meilleurs concerts, il y a toujours eu beaucoup de monde à venir, c’était vraiment naturel pour nous d’entamer la tournée par cette ville.
Manifesto XXI – Combien de musiciens sont sur scène avec toi ? C’est le même groupe que pour les précédentes tournées ?
Trentemøller : C’est quasiment le même groupe qu’avant. On est cinq sur scène, on a juste remplacé l’une des deux guitares par une basse, avec Marie au chant. Comme tous les chanteurs ne peuvent pas m’accompagner en tournée bien sûr, Marie chante ses morceaux mais aussi toutes les autres voix. Mais on a dépensé beaucoup de temps et d’énergie pour faire de ces morceaux ses chansons. Elle a vraiment fait du super boulot, je suis très fier d’elle. Elle a teinté les morceaux de son propre univers, et les a fait sonner comme du Marie Finsker.
Manifesto XXI – Qu’est-ce qui a changé pour toi entre tes débuts dans la musique et maintenant ?
Trentemøller : C’est une très bonne question car bien sûr de nombreuses choses se sont passées entre temps… Quand j’ai commencé à faire de la musique, rien que penser à ce que des gens écoutent ma musique paraissait lointain. Je le faisais juste pour moi, et c’est aujourd’hui encore la force qui me pousse, principalement car j’adore faire ça. Mais bien sûr j’ai aussi envie que les gens écoutent ma musique, c’est une partie naturel du processus. À mes débuts, particulièrement à Copenhague, je devais me battre pour pouvoir donner des concerts, tout le monde s’en fichait de ma musique. Ça m’a pris dix ans pour trouver mon son et avoir vraiment confiance pour monter sur scène et jouer devant des gens. Peu à peu j’ai connu un certain succès, j’ai commencé à jouer hors du Danemark… Mais au fond, c’est la même chose qui me pousse qu’au début, rien n’a véritablement changé en moi, mais toute la structure autour de moi, particulièrement les tournées – maintenant j’ai un tour manager, un ingé son, lumières… – à l’époque je faisais tout moi-même, et c’était dur car je suis surtout bon à composer de la musique je crois, je ne suis pas du tout un bon businessman ! Donc toute la structure label, tournée… maintenant des gens travaillent pour moi, et c’est fou d’y penser d’ailleurs… je peux me concentrer sur la musique.
Manifesto XXI – Veux-tu ajouter quelque chose pour finir ?
Trentemøller : J’ai vraiment hâte de rejouer, Paris est vraiment une de mes villes préférées pour jouer – et je ne dis pas ça car j’y suis en ce moment ! – c’est vraiment cool de jouer ici, je ne sais pas, les vibes… on dirait que beaucoup de gens comprennent ma musique. Quand j’ai commencé à composer c’était plus électronique, et quand ma musique a changé pour devenir… moins électronique disons, particulièrement au Danemark, certains anciens fans ont été déçus. Mais en même temps, notamment en France, des gens ont continué à me suivre, et certains bien sûr n’aiment pas ce que je fais aujourd’hui par rapport à avant, mais on a aussi gagné de nouveaux fans. J’ai l’impression que Paris est très ouvert d’esprit.