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Toute la beauté et le sang versé : une claque féroce et lumineuse

Toute la beauté et le sang versé : une claque féroce et lumineuse

Toute la beauté et le sang versé est LE documentaire essentiel et impitoyable de ce début d’année. Il retrace la vie de la célèbre photographe Nan Goldin en explorant son œuvre, mais aussi son activisme dans la crise des opioïdes. La réalisatrice Laura Poitras nous offre une riche fresque aux allures d’Odyssée grecque.       

En 90 minutes, Toute la beauté et le sang versé retrace la vie de la célèbre photographe Nan Goldin. Née dans une famille juive de classe moyenne, elle grandit dans le Massachusetts. Elle commence à photographier son quotidien et la communauté LGBTQIA+ qui l’entoure en 1972. Son travail est ensuite exposé à partir des années 1980, notamment via son exposition « The Ballad of Sexual Dependency », présentée dans de nombreuses galeries et musées à travers le monde. Dans ce documentaire, Laura Poitras explore à la fois l’étendue de l’œuvre de Goldin, mais aussi sa lutte personnelle contre la toxicomanie et son activisme dans la crise des opioïdes.

Photographie de la série : The Ballad of Sexual Dependency, 1982-1995 présenté dans Toute la beauté et le sang versé
Photographie de la série : The Ballad of Sexual Dependency, 1982-1995

Avec un mélange d’archives, de photographies et d’images de la vie quotidienne de Nan Goldin, le film s’oriente sur le combat de la photographe contre la société pharmaceutique Purdue Pharma, responsable de la commercialisation d’un antidouleur addictif, l’OxyContin, qui a causé la mort d’un demi-million d’Américains. Au milieu des années 2000, Goldin est elle aussi victime de cette crise inédite, avant de devenir l’une des principales voix de la protestation contre la famille Sackler, propriétaire de Perdue Pharma. Pour médiatiser et alerter sur cette crise, Goldin a choisi d’axer son combat sur celleux qui se sont enrichis par la vente de l’OxyCotin : les héritiers de Sackler. Cette famille milliardaire, connue pour être les mécènes de musées prestigieux tels que le Louvre, le MoMA et le Guggenheim, ont utilisé cette « philanthropie » comme un moyen de blanchir leur nom et leur argent. En 2018, Goldin fonde l’association P.A.I.N (Prescription Addiction Intervention Now), qui à la fois lutte pour une prise en charge sans stigmatisation des victimes de l’OxyCotin et milite pour que les Sackler soient reconnus coupables de leur rôle dans cette affaire. Depuis 2019, les activistes de P.A.I.N ont multiplié les actions spectaculaires afin que les institutions artistiques acceptant les dons des Sackler rendent compte de leurs choix. Le film retrace ainsi les actions du collectif, leur persévérance ainsi que leurs victoires, notamment lorsque P.A.I.N réussit à faire retirer le nom « Sackler » des salles de musées ainsi nommées. 

Le public suit aussi la vie de Nan Goldin, entre ses blessures personnelles et le tourbillon créatif de sa production artistique. Par cette double perspective, le documentaire décrit avec justesse ce combat aux airs de David contre Goliath, entre une artiste issue des marges et une poignée de milliardaires.

Le public suit aussi la vie de Nan Goldin, entre ses blessures personnelles et le tourbillon créatif de sa production artistique. Par cette double perspective, le documentaire décrit avec justesse ce combat aux airs de David contre Goliath, entre une artiste issue des marges et une poignée de milliardaires. Par cet angle, la réalisatrice Laura Poitras interroge également le rôle des institutions artistiques, lesquelles nourrissent leurs expositions avec le travail des marges, tout en servant d’alibi aux responsables de la mise en danger des individus appartenant à ces mêmes marges. Outre cette boucle vertigineuse, la réalisatrice parvient à démontrer combien l’engagement de Nan Goldin contre Perdue Pharma s’ancre dans l’héritage de la lutte contre le sida. Le documentaire trace avec finesse un fil rouge entre la bataille de Goldin contre le sida — dont plusieurs de ses proches sont morts— et son combat en tant que survivante de l’OxyContin. C’est en effet au travers de son engagement contre le VIH dans les années 80, que la photographe a appris des modes d’action puissants. Cette lutte lui a ainsi enseigné des outils utiles pour se faire entendre d’un système faisant la sourde oreille face à une crise sanitaire. 

La réalisatrice présente ainsi Nan Goldin comme une figure d’Antigone face à la famille Sackler. Par la mise en abyme de deux visions du monde diamétralement opposées apparaît un grand écart social pointant les rapports de pouvoir qui traversent la société américaine.

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Pour mener à bien son opération, Goldin utilise également sa position d’artiste convoitée par les plus grandes institutions de l’art. La réalisatrice présente ainsi Nan Goldin comme une figure d’Antigone face à la famille Sackler. Par la mise en abyme de deux visions du monde diamétralement opposées apparaît un grand écart social pointant les rapports de pouvoir qui traversent la société américaine. D’un côté nous suivons une artiste documentant sa vie personnelle et dénonçant la stigmatisation qu’elle affronte en tant que femme bi, usagère de drogues et ex-travailleuse du sexe ; de l’autre, les Sacklers qui s’enrichissent sur la mort des populations vulnérables en lavant leur réputation par le mécénat. Malgré cet angle binaire, le documentaire ne tombe jamais dans la lourdeur ni l’artificialité, nous offrant ainsi un portrait décapant, rempli d’amour et de rage. Toute la beauté et le sang versé, propose une précieuse leçon de résilience à la fois intime et politique. A découvrir de toute urgence en salle de cinéma.


Relecture et édition : Apolline Bazin

Crédits photo : Nan Goldin

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