« Toute la vie » : la honte des Enfoirés

Cela fait très longtemps que je ne suis plus Enfoirée dans le cœur. Je ne sais plus exactement quand ça a commencé, quand je n’ai plus aimé les artistes qui s’y produisaient, leurs chansons ou leurs discours, que je trouvais que leurs spectacles devenaient poudre aux yeux, quand remplacer Alain Souchon par Matt Pokora me faisait rire jaune… Soit, mais ça, ce n’est qu’une question de goût.

Aujourd’hui, je ne suis plus une Enfoirée. Je me sens vexée et humiliée par le discours donneur de leçon qu’on entend sur toutes les radios. Attention, j’éclaire les lanternes, car je sens déjà les lancers de couteaux ; je ne suis pas là pour critiquer les Restos du Cœur ou la création de cette association. Je viens critiquer leur dernière chanson « Toute la vie », entendue à la radio de bon matin, et qui m’a mise en colère pour le reste de la journée.

Le concept : un groupe d’adolescents, de jeunes adultes se confrontent aux Enfoirés dans un battle de paroles  pour critiquer et dresser un portrait du monde actuel. Je vous laisse découvrir le lien de ce ramassis de conneries (pardonnez l’expression, je suis dans l’incapacité de l’exprimer avec d’autres mots).

TADAAAAAAM ! Bienvenue dans la fiction des Enfoirés, ce monde déconnecté de la réalité et moralisateur. Cette chanson, en plus de soulever nombre de questionnements, nous prouve une fois de plus qu’ils sont clairement à côté de la plaque.

Tout d’abord, premier questionnement : quel portrait de la jeunesse dressent-ils dans cette chanson? Un objectif : se plaindre. Ils commencent par nous faire passer pour des pleurnichards à la critique facile prêts à échanger « leur jeunesse » contre « ta caisse ». Prends ça dans les dents jeunesse matérialiste. Rien que cette phrase devrait convaincre les plus sceptiques.

De plus, il est vrai que la situation actuelle de la jeunesse fait trembler et effraie. J’ai, comme beaucoup de mes camarades de classe, passé mon lycée et mes années de fac à entendre que la majorité des emplois n’ont aucun débouché, qu’il y a trop de monde, pas assez de places pour tous à cause de l’allongement de la durée des études ou de la crise qui a frappé de plein fouet notre génération. En clair, choisis bien ton avenir, deviens médecin ou prof, mais pour le reste, c’est foutu. Plus de 23% des 18-25 ans sont au chômage (et beaucoup d’entre eux le sont avec un Bac+5, ne l’oublions pas, c’est à dire parfois plus diplômés que leurs parents mais avec moins de chance de trouver un emploi correspondant à leur niveau d’études).

Face à eux se dressent les Enfoirés, génération du Baby Boom (incarnée par Tal et Jean Baptiste Maunier = meilleure blague depuis 1982) qui les jugent, les prennent de haut et répondent à leurs inquiétudes par « C’est pas grave, t’es jeune, tu as toute la vie » (et là, on ne peut clairement pas en vouloir aux jeunes de scander « ça veut rien dire »). A croire qu’ils ne comprennent pas, ou ne veulent pas entendre, le discours porté en face par la jeunesse actuelle. Mieux encore, ils se défendent en disant:  » On s’est battus on a rien volé », « tout ce qu’on a il a fallu le gagner ».

On a l’impression de faire face à un combat entre enfants, un bis-bis carotte à l’ancienne. Les arguments dressés par les Enfoirés face à cette jeunesse sont sans fondements et complètement coupés du monde. La question est, qu’est-ce qui leur a pris ? Pourquoi? Qui sont-ils pour oser venir dire aux jeunes « bougez-vous le cul »? Faites-moi croire que Patrick Bruel et Lorie ont dû un jour lutter pour trouver un job ou se sont retrouvés à construire un dossier Pôle Emploi. De plus, quand ces jeunes parlent d’écologie en scandant « Vous avez raté, dépensé, pollué », les Enfoirés leur répondent « Je rêve où tu es en train de fumer? ». Paye ta diversion.

Si on part sur une courte analyse, ils creusent le fossé entre les générations. Dans le discours comme dans le choix des images, notamment avec les quelques plans d’écriture. Les jeunes écrivent avec des bombes de peinture alors que les Enfoirés, eux, s’expriment au stylo plume. On croirait voir le cliché habituel d’une vieille sitcom de France 3.

Surtout, en quoi cela va-t-il servir le combat de Coluche qui est de lutter contre la famine et la pauvreté dans les rues de notre pays? Les Restaurants du Cœur et leur armée de bénévoles aident depuis des années les petites gens les plus démunies. Parmi ces personnes dans le besoin, se trouvent des jeunes, des adolescents. Comment oseront-ils passer la porte de ces associations et aller demander de l’aide après le discours tenu par ces pseudos stars déconnectées du monde?

Venez donc rencontrer la jeunesse actuelle, la vraie, celle qui a la rage, qui se bat, qui a conscience du monde dans lequel elle s’apprête à évoluer mais qui n’en perd pas pour autant son courage, ses rêves et ses espoirs. Nous ne sommes pas tous des impatients en colère, des capricieux en quête de fric. Au lieu de chanter ces raccourcis faciles et ces âneries, allez donc passer un mois dans les centres de distribution de repas vous confronter à tous ces jeunes que la société ne peut plus aider.

Malgré tout, je cherche derrière cela du bon sens (c’est quand même Goldman qui a écrit la chanson, il doit y avoir une blague là-dessous sinon je tombe des nues). J’essaie de voir s’il n’y a pas un message d’espoir planqué derrière tout cela, du second degré (en même temps, depuis quand faut-il réfléchir pour comprendre une chanson des Enfoirés?). Le constat est là, c’est peut-être maladroit mais le discours est présent, violent et sans fondements réels.

Vous n’avez en aucun cas le droit de mettre vos peurs et craintes sur le dos de la jeunesse. La jeunesse se bouge, venez donc jeter un œil! C’est beau, y en a partout, et dans tous les domaines!  Sinon, continuez de chanter cette chanson sur toutes nos ondes, et ne vous inquiétez pas, les jeunes d’aujourd’hui payeront votre riche retraite à défaut d’avoir l’espoir d’en avoir une un jour.

N’oubliez pas que la vraie générosité est silencieuse.

Et en aucun cas moralisatrice.

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  • La crise dont on parle ici est née autour de 1975. Depuis, le dossier de l’emploi des jeunes est resté ouvert à la première page. C’est dans les années 80, quand les Goldman et Bruel prenaient leur envol de vendeurs de ritournelles promises à des successions de reprises de reprises de reprises (ainsi en va-t-il de la « chanson française depuis cette époque, mais c’est là un autre sujet), que la situation s’est aggravée avec l’apparition concomitante des « nouveaux pauvres » et des contrats jetables -la précarisation de l’emploi- destinés aux jeunes et aux personnes non qualifiées et déclassées. C’est en 1984, lors d’une émission de télé aussi pathétique que mémorable ( http://television.telerama.fr/television/22-fevrier-1984-antenne-2-cree-l-evenement-avec-vive-la-crise,36438.php ) qu’un certain Yves Montand, acteur-chanteur-séducteur-fantaisiste jadis compagnon de route du Parti communiste, par ailleurs et par la suite tête d’affiche du tout premier opus des Enfoirés, s’est fait le propagandiste du néo-libéralisme naissant, système économique dont on mesure aujourd’hui les dégâts en termes de régression sociale, de rejet dans les marges d’une partie de la population, et dont la dynamique de Terreur à laquelle nous assistons impuissants n’est jamais que la conséquence monstrueuse – dans la mesure où ce système économique des plus inégalitaires s’est répandu comme une peste sur la planète entière par le biais de la mondialisation, et qu’elle a favorisé l’exploitation du tiers-monde par les grandes puissances.
    Est-on loin de la cause défendue par les Restaus de Coluche ?
    Non, justement. Et certaines mauvaises langues prétendirent à l’époque que Coluche, ami de Mitterrand et figure emblématique, avec Renaud, d’une certaine gauche qui se voulait proche du peuple tout en cultivant une certaine dose de populisme, avait créé les Restaus dans le but d’éviter des « émeutes de la faim » qui de toujours, ont constitué les prémisses des insurrections populaires.
    Je n’ai pas vu ce clip pathétique à l’époque de sa sortie, n’ayant pas la télé. Bruel et Goldman sont des artistes vieillissants qui, comme les élites médiatiques dont ils sont représentatifs, vivent déconnectés des réalités de la société.
    Leur vision de la jeunesse actuelle est par là faussée. Ils s’en tiennent aux clichés faciles entretenus par la propagande de ce qui n’est plus une République, mais un État policier impuissant et anxiogène, gangréné par la corruption et dont les dirigeants, majoritairement des bureaucrates de carrière, sont saisis par la peur dès qu’il est question des âpretés du terrain.
    Mais c’est vrai que le fossé des générations s’est accentué, et on le voit actuellement au travers de cette part considérable de la jeunesse qui vote FN les yeux fermés sans connaître la signification du mot fascisme, parce qu’il existe déjà un monde entre jeunesse des classes moyennes et jeunesse de ce qu’on appelle « les quartiers », et aussi, parce que la génération des anciens, les quinquas, les sexas d’aujourd’hui, a renoncé en son temps à la lutte, pour elle et pour les générations à venir.

  • Je suis entièrement d’accord avec tout ça . Je suis decue par goldman . Cette chanson est honteuse et les ceux qui en ressortent bêtes ne sont pas ceux qu on croit . Je suis outree…quelle décadence. Pardonnez mes propos mais il faut parfois dire les choses quelle atroce generation que celle de nos parents pour la plupart heureusement pas tous qui ne pense qu à son porte monnaie et a de la haine dans le coeur . Je vous plains.

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