Près de trois ans après son brillant premier album, Devotion, nous retrouvons l’artiste londonienne Tirzah pour un second disque, Colourgrade, sorti le 1er octobre.
Tirzah est de ces artistes dont la musique parvient à mêler sans mal délicatesse et brutalité. La délicatesse dans les mots, dans le déroulement méticuleux des sonorités ; la brutalité dans l’intensité spontanée et électrique qui se dégage de son travail. C’est ce qui ressort de son dernier album Colourgrade, une seconde expérience musicale qui laisse cette fois une place plus nette à l’expérimentation, qui prend le temps de se développer morceau après morceau, construisant une partition totale, se rapprochant presque du format de la mixtape. Quelques jours avant la sortie de ce nouvel opus, nous avons pu en discuter avec Tirzah.
Manifesto XXI – Peux-tu nous présenter Colougrade ?
Tirzah : Colourgrade a pris environ un an à être écrit, c’était une sorte de recollection d’enregistrements qu’on avait fait au cours de l’année précédente. On a travaillé ça au cours de sessions improvisées ensemble, avec Coby (Sey) et Mica (Levi). Je suppose que la différence avec Devotion c’est que nous avons pu partir de zéro, sans avoir de matériau sur lequel nous baser. Donc c’était excitant de commencer tout ça, et c’était excitant aussi d’avoir Cobey investi dès le début, comme avant l’on jouait essentiellement en live.
Comment s’est déroulé le processus de création sur cet album ? Comment ce trio Tirzah / Coby / Mica a-t-il émergé ?
En général avant le travail c’était Mica et moi. Cette fois on a enregistré aussi avec Coby, avec les pistes sur lesquelles il jouait, que ce soit les claviers ou les boîtes à rythmes etc., Mais c’était très similaire à ce qu’on avait fait avant, le processus que Mica et moi nous avions habituellement. Je fonctionne de la même manière pour avoir un corpus de travail, je sélectionne et organise les pistes d’une façon à avoir un processus créatif inhérent à celui-ci. Le processus d’écriture pour moi était le même qu’avant, la façon dont j’écris est exactement la même. Avec celui-ci évidemment, on avait les poèmes de Coby que l’on pouvait inclure. « Hive Mind » a été écrit par lui et moi, et « Tectonic » a aussi été écrit par Coby. Donc ici, il y quand même plus cette idée d’effort de groupe.
Qu’est-ce que vous vouliez transmettre ensemble avec cet album ?
De beaucoup de façons, les tracks racontent nos moments ensemble, c’est un mix de comment je me sens, mais aussi de comment Mica et Coby se sentent. Rien n’était écrit avec l’intention de dire quelque chose en particulier, mais on avait toustes des pensées et des émotions quand nous jouions. Après je pense que je me suis plus détendue, plus épanouie dedans pour être honnête. J’ai juste apprécié le fait de réécrire et de repartir sur quelque chose de totalement nouveau !
Comment c’était pour toi de créer avec cette période singulière ? La pandémie, ta nouvelle vie familiale, comment ces éléments ont changé ta façon de voir les choses au niveau de ta musique ?
J’ai eu de la chance, car quand ça a commencé, on avait déjà écrit le disque. Quand je dis que j’ai eu de la chance, c’est parce qu’il y a une chance dans chaque expérience, c’est ce que j’ai l’habitude de dire, que je sois chanceuse ou non (rires). Ce que je veux dire c’est qu’on n’a pas eu de complications liées à la pandémie. Pendant le confinement on se focalisait sur le mix, organiser et orchestrer l’album. Ce processus avait sa propre force créative et ses propres challenges. Je parle pour moi-même, mais le confinement m’a fait questionner beaucoup de choses justes parce que tu te retrouves dans un espace mental différent, dans un nouvel espace en général.
Et évidemment oui, il y avait un nouveau membre dans la famille juste au moment où tout cela a commencé donc j’étais profondément immergée là-dedans. Mon esprit était principalement à cet endroit, et je m’accrochais à cet album en me posant des questions sur tout cela. Tout ce qui se passait dans le monde c’était compliqué, tu avais juste envie de tout lâcher à un moment, « quel est le but de tout ça ? » (rires). Mais dans cette crise il y avait la beauté de la musique en général, ça a été une forme d’élément médicinal sur lequel se reposer.
Tu parlais d’effort de groupe dans une de tes réponses précédentes. Tu as l’air très entourée, on le voit notamment dans tes clips comme sur « Hive Mind ». Comment te sens-tu vis-à-vis de cette notion de « chosen family » ?
Je pense qu’il y a toujours eu un sens de « kingship », les artistes gravitaient immédiatement autour de moi, Mica, Coby, cette forme de groupe, avec le label et tout. Ça ramène ensemble beaucoup d’artistes qui partagent une ouverture sur le monde, sur la musique et sur l’expérimentation, toutes ces choses que j’aime en étant entourée de ces personnes… Même si on a eu moins de moments pour tout ça ces derniers temps.
À mon sens ta musique est à la fois très naturelle et en même temps sophistiquée, comment amènes-tu cela ? À l’inverse de Devotion, j’ai trouvé cet album plus expérimental, je ne sais pas si c’est le mot, mais plus « brutal » d’une certaine façon.
C’est drôle car je sens que Colourgarde est une sorte de vraie représentation de la façon dont on a toujours écrit de la musique. Comme Devotion se basait sur des matériaux déjà existants, on devait tout construire autour de ça, et chaque chanson pouvait exister seule d’une certaine façon. Avec cet album, on pouvait faire plus une forme de projet, et construire un album comme un tout. Donc oui c’est probablement une représentation honnête de comment l’on construit notre musique. J’aime le fait que tu dises « brutal » (rires), car on a eu une approche nouvelle. Ici, on a aimé inclure des éléments considérés comme « laids », des choses qui se passaient dans la pièce à un moment donné.
Tu as une esthétique visuelle bien particulière dans tes clips, ou sur tes covers. Une esthétique que l’on a retrouvé entre Devotion et Colourgrade. Je me demandais comment tu faisais ces choix ?
Sur l’aspect visuel des pochettes, des vidéos, on avait des discussions et je laissais la main, pour voir ce qu’on voulait de moi au niveau de l’intention, il fallait un sentiment derrière la musique, comme ça on pouvait avancer avec. On rassemblait nos idées et elle (ndlr, Leah Walker, la photographe) fonçait directement avec ça. C’est ce que j’aime beaucoup dans son travail, je lui fais vraiment confiance pour faire tout cela. Pareil pour une autre amie à moi qui a fait « Tectonic », c’est une artiste dont j’avais vu le travail vidéo il y a de nombreuses années (ndlr, Fleur Melbourn). Pour « Hive Mind » Leah Walker et Rebecca Salvadori ont travaillé ensemble, j’ai compris que j’étais entre de bonnes mains avec elles ! Avec l’artwork c’était aussi un mix entre Leah et moi, mais plus mené par moi en quelque sorte.
Tu as en tête des artistes qui t’inspirent ? Ou de simples recommandations musicales qui ont pu te toucher dernièrement ?
Oh il y en a tellement ! Après il n’y a pas eu d’artiste spécifique pour cet album. En ce moment j’aime beaucoup Hause Plants, je crois qu’ils ont sorti un album récemment. Il y a un track sur lequel tu peux entendre le vent dans le micro, ça sonne comme si ça avait été enregistré dehors.
Comment s’annonce la suite pour toi ?
Il y aura juste une petite tournée en 2022, donc l’année prochaine, en Europe et peut-être aux USA. Je n’ai jamais tourné là-bas donc ce serait vraiment une expérience si ça se confirme !
Tirzah sera en concert au Café de la danse le 18 mars 2022.