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La mélancolie dansante de Theodora

La mélancolie dansante de Theodora

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Theodora a su trouver un exutoire dans son EP Obsession, sorti il y a peu. Mine de paradoxes, sombre, aérien et dansant à la fois, nous voilà immergés dans un monde incertain. Après un premier EP, Let Me In, paru l’année passée, Theodora explore plus profondément encore ses propres obsessions avec sa voix envoûtante. La frontière entre mélancolie et énergie puissante est cette fois encore plus subtile. D’une sonorité presque club à des nappes oniriques, le son nous transporte dans un univers changeant, déroutant et intime. Nous l’avons rencontrée à l’occasion de cette dernière sortie.

Manifesto XXI – Je voulais commencer par ton nom, Theodora, qui n’est pas commun. C’est ton vrai prénom ? Pourquoi tu as choisi de l’utiliser ?

Theodora : Oui c’est mon vrai prénom. Ma mère est grecque, donc mon frère et moi on a des noms grecs. J’ai hésité entre plusieurs noms, évidemment, mais c’est ce qui m’a semblé le plus honnête et le plus simple, et ce n’est pas un prénom commun en France. Ça apparaît plutôt comme un projet. C’est ce que je voulais faire d’ailleurs en enlevant l’accent sur le « e ». On ne sait pas trop à quoi ça renvoie et j’aimais bien l’idée que ça soit intrigant.

Il y a beaucoup de chanteuses qui gardent leur prénom. Pourquoi ?

Peut-être qu’il y a une envie de revenir aux sources de la musique, se montrer tels qu’on est vraiment, moins se cacher derrière un personnage. Même si je pense que Cléa Vincent et Fishbach, dont on parlait tout à l’heure, ont toutes les deux un personnage, ou en tout cas exacerbent quelque chose de leur personnalité quand elles sont sur scène ou dans leur projet. Mais j’ai l’impression qu’il y a une envie d’intégrité quand même en ce moment.

Tu ne crées pas forcément un personnage différent de ce que tu es dans la vie ?

Si, quand même. Déjà, je n’ai pas l’impression de porter bien mon prénom. Parfois il a plus de dimensions que ce que je suis dans ma vie. Je suis assez discrète, j’aime bien mener ma vie calmement, être une observatrice des choses. Par contre quand il s’agit de proposer un univers musical, j’aime bien me décupler, me transcender. Et là Theodora intervient. Pour le coup, même si j’ai une soif d’intégrité, il y a quand même une envie d’être un peu plus grande que moi dans le projet que je défends.

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Pour quelqu’un qui est observateur, plutôt en retrait dans la vie, est-ce que ce n’est pas difficile de monter sur scène ?

Si. Mais finalement, le fait d’avoir beaucoup joué de basse avec beaucoup de groupes m’aide beaucoup. Je suis toujours assez « traqueuse » mais ça s’arrange, et surtout je commence vraiment à prendre goût à l’idée de faire un vrai spectacle.

Comment tu vois ton vrai spectacle ? Je t’ai vue à Beaubourg, et il y avait tout un travail de VJing.

Disons que visuellement ça renvoie quelque chose. À Beaubourg c’était particulier parce que c’était une ambiance assise, plus comme une sorte de performance, quelque chose de suspendu qui ne ressemble pas vraiment à un concert normal. Mais il y avait quand même l’envie de faire un vrai spectacle. Dans la gestuelle, tout est amplifié, tout est dramatisé. Les chansons doivent être vraiment incarnées. Pas forcément dans les expressions du visage, mais dans les mouvements du corps. C’est un point sur lequel je travaille avec Zoé, qui joue avec moi. Pareil, les visuels ça concourt à quelque chose en plus du son.

Qui fait tes visuels ?

C’est Cassie Raptor. C’est une vidéaste qui fait de la 3D que j’ai rencontrée l’année dernière pour un spectacle à la Gaîté Lyrique organisé par Barbi(e)turix. On a joué avec Mensch, et il y avait des vidéos à 360 degrés toutes créées par Cassie. Elle a extrait des visuels qu’elle a trouvés sur internet et à partir de ça elle a fait des animations. Elle a vu hyper juste à la fois sur le projet de Mensch et pour moi, donc on s’est dit que ça serait bien de faire quelque chose ensemble.

Pourquoi tu penses que c’est important d’utiliser la vidéo, ou d’autres moyens d’expressions dans tes concerts ?

Je pense que je peux aussi m’en passer. On pourrait essayer de se suffire à soi-même, parce que c’est un artifice. Mais en même temps, comme on est deux sur scène avec une musique assez lancinante, j’ai l’impression que ça fonctionne bien. C’est vrai que plein de gens le font, Thylacine, par exemple. C’est souvent des gens tous seuls, esseulés. (rires)

Peut-être qu’on se rend compte qu’on ne peut plus seulement mettre un gars tout seul, les gens en demandent plus.

Oui. Parfois c’est gratuit, ou alors vraiment dans l’air du temps c’est-à-dire qu’il y a quelque chose d’hyper fashion que moi je n’aime pas spécialement. J’ai juste envie que ça aille bien avec la musique. Je préfère quelque chose d’un peu ringard qui raconte quelque chose plutôt que quelque chose d’ultra chiadé d’aujourd’hui, de 2017.

Pourquoi tu utilises le terme « ringard » ? Tu trouves que tes visuels sont ringards ?

Non pas du tout. Cassie n’est absolument pas ringarde, elle a très bon goût. Elle a une oreille assez dingue puisqu’elle sait traduire la musique en images. En plus, elle agit pendant le set avec un contrôleur. Elle est en live aussi, elle a une base d’animation et elle change les couleurs, les formes. Elle aussi est dans la performance. C’est une double qualité d’avoir ce sens de l’image et des médias.

Tu parlais de ne pas rentrer dans une tendance, dans une mode. Quel est ton rapport aux tendances actuelles ?

Je crois que tout le monde absorbe un peu les tendances, on ne peut pas s’en empêcher. J’essaie de plus en plus de me détacher de ça, d’être plus dans l’émotion de ce que j’ai envie de raconter. Même si c’est un peu hors tendance voire un peu ringard, pourquoi pas pousser ça encore plus loin pour le rendre plus cool que le cool. C’est une exploration.

Tu es quand même l’une des dernières qui chante en anglais.

L’une des dernières… Elles vont toutes tomber. Je suis une vétérante. (rires) J’ai une chanson en français déjà, je suis en train de flancher, ça ne va pas. Non mais attends, regarde The Unlikely Boy ou Sônge, ou Claude Violante. Mais les autres le font très bien, de chanter en français.

Tu trouves que c’est plus simple de dire des choses personnelles dans une autre langue ?

Disons que c’est plus détourné et que d’une certaine manière ça peut être plus fin. Même s’il y a aussi beaucoup de chansons que tout le monde comprend, avec les mots bateaux des chansons anglaises. Mais quand tu essaies d’aller un peu plus loin, c’est plus facile d’exprimer des choses très profondes. Le français souvent est presque un peu vulgaire quand il n’est pas bien manié. Après, quand il est bien manié, il n’y a rien de plus beau qu’écouter sa langue maternelle.

Mais il y a beaucoup de chansons où j’ai l’impression que c’est presque un viol de la pensée. J’exagère. Quand j’essaye d’imaginer un truc en français, tout me semble trop amplifié, hyperbolique. L’anglais est plus musical. C’est plus facile de faire sonner de l’anglais parce que les toniques ne sont pas pareilles. En français il y a une espèce de convention sur comment prononcer les mots. Même si c’est cassé par plein de chanteurs. Alors qu’en anglais tu peux te permettre de les avaler un peu, de les ouvrir plus, il y a plus d’amplitude.

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© Clément Vayssiere

Dans tes chansons il y a quelque chose d’assez sombre, lancinant. Pourquoi ? C’est un EP triste ?

Bien sûr, le fond de la tarte est un peu triste mais le but c’est que ça soit de la musique mélancolique qui danse, qui donne envie de vivre. Je pense que la musique c’est ça : sur une tonalité très triste, tu peux donner hyper envie de vivre, de faire, de désirer, de quitter. C’est hyper vivant. C’est ça que j’essaie de faire. Sur un fond triste, transformer la chose, me transformer moi et mon émotion parce que quand j’écris je suis un peu triste, mais pas toujours, et que ça devienne une énergie.

Ce ne sont quand même pas des ballades, c’est assez deep.

J’aime bien les paradoxes. Quelque chose d’assez violent, et d’assez délicat dans ce que ça raconte. Quelque chose de triste qui devient brutal, ou l’inverse. J’aime bien essayer de manier les deux. Parce qu’on ressent des choses contradictoires. Souvent quelque chose appelle son contraire, et j’aime bien mettre les deux ensemble et voir ce que ça donne.

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Tu te vois faire de la musique de club ?

J’aime bien faire des remixes. C’est quelque chose que j’aimerais faire plus. J’aime bien faire des chansons où ça se passe de chant. En ce moment je travaille sur des nouvelles chansons avec SAGE. C’est des chansons très douces qui n’ont rien à voir, c’est pas du tout clubbing, beaucoup plus dépouillé, et c’est bien aussi. Tant que ça évoque quelque chose, que c’est sincère et vibrant, tu peux tout te permettre.

Qui sont les autres projets pour lesquels tu travailles ?

Il y a Barbagallo, pour qui je suis bassiste, qui est un projet de variété psychédélique. C’est hyper cool. Avec Pi Ja Ma, aussi. Sinon je joue avec Ricky Hollywood. Il est génial. Il m’a un peu fait découvrir toute une partie de la scène indé française. C’est très riche. Même si ça n’a rien à voir avec ce que je fais, je m’y retrouve complètement.

Tu as découvert quoi par exemple ?

Déjà via Barbagallo, j’ai découvert Pond qui est un des side-projects de Tame Impala. J’ai aussi rencontré Dodi Et Sherbini avec qui j’ai un peu bossé, qui est super. C’est des ramifications d’artistes qui ont tous des obsessions, qui travaillent à leurs obsessions, mais il y a quand même une couleur qui ressort de cette scène-là.

Tu as dit « Ce sont tous des gens qui travaillent sur leurs obsessions », ton EP s’appelle Obsession, tu tiens à ce mot ?

Je pense que tout élan d’écriture ou de composition part un peu quand même d’une obsession. Il faut que ça soit irrépressible pour que je m’y mette, sinon je ne le fais pas, un truc urgent. Un truc qui est malheureusement inassouvi, ou regrettable, ou parfois pas du tout, juste un désir de faire. C’est souvent un état un peu obsessionnel. Une pensée, une idée, une personne. C’est à ce moment-là où tu déballes tout, tu n’as pas besoin de la déballer à la personne et tu le fais dans la chanson.

L’obsession je la vois comme un moteur de la création. Parfois c’est une obsession pour ce que tu as lu ou vu, des chimères, des trucs qui n’existent pas vraiment. Ça te met dans un état particulier et il est assez fort pour que tu aies envie de le retranscrire. C’est ça qui est génial dans l’obsession.  Au bout d’un moment l’obsession n’a plus vraiment d’objet, c’est juste un état assez chouette. Dans la vie courante, comme j’ai cette tendance-là, j’essaie de toujours fermer la petite boite de Pandore sinon c’est impossible de vivre normalement. J’essaie de le cantonner à la musique mais je n’y arrive pas toujours évidemment.

Tu es une obsédée en fait ?

Sexuelle ? Mais qui ne l’est pas enfin ? On l’est tous un peu mais on arrive à le dissimuler.

Tu travailles un album en ce moment ?

Oui je travaille sur des nouvelles chansons. Je pense qu’au bout d’un moment ça deviendra un album, peut-être l’année prochaine. À Beaubourg, ça a été filmé par Dodi El Sherbini. Il a fait une chanson qui s’appelle « L’éternel retour », c’est vraiment incroyable. Il fait des vidéos et des clips aussi, et il m’a filmée en VHS. Il a monté deux chansons qui seront des clips. Ça donne quelque chose de particulier, c’est pas du tout lisse.

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