Entre révolte poétique et rave party, La Tendre Émeute est un groupe de musique-performance à géométrie variable et aux mises en scène dantesques. Leur inventivité hallucinée éclate le concert traditionnel, allant jusqu’à renverser l’interview classique, pour ne pas dire chiante, du questions/réponses via boîte mail.
Rendez-vous devant le siège de la CGT de Montreuil à 22h avec Jérôme Printemps von Zilw et Lucas Nuñez. Avec toute la rigueur d’organisation qui m’est propre, j’ai du retard. Un numéro inconnu m’appelle. Je ne veux pas répondre. Je suis à moitié en train de courir et je préfère éviter toute remontrance sur ma ponctualité. Je réponds au troisième appel car – 1 c’est peut-être important – 2 je ne suis plus une enfant. Mea culpa, tout est ok. C’est une douce voix qui me fait savoir qu’il faut, en fait, se rejoindre à la station service d’en face. Il s’agit de Martin Negro, l’assistant de Jérôme Printemps von Zilw. Un jeune homme au calme pastoral qui attise la braise du mystère, ne sachant finalement rien de plus sur ce qui allait se passer.
La Tendre Émeute, interview balade sur le périph from ManifestoXXI on Vimeo.
Nous embarquons dans une voiture pour un tour de périphérique : Martin au volant, Cour des miracles à balle et un talkie-walkie en main. Après quelques essais de talkie-walkie, on entend la voix de Printemps. J’entame ma première question quand il nous demande d’écouter l’EP encore plus fort. C’est à ce moment précis que je finis par accepter que je ne vais, à aucun moment, pouvoir mener cette interview. Ces deux interlocuteurs nous promènent au sens propre et figuré.
La compréhension est hasardeuse, tant pis–tant mieux. Le son est fort. Porte des Lilas, porte de Pantin, porte de la Chapelle : la balade monte d’un cran. Les sons sont hypnotiques ‘MAISON BLANCHE‘ et speedés ‘A GENOUX‘, accordés à la splendide brutalité des mots : la balade est devenue cinématographique. Ce ne sont plus des voitures mais une danse des mécaniques. Ça pulse, ça vibre, ‘NON‘. Fulgurances des mots, ‘VOTE NOIR‘. Porte de Clichy : l’interview commence, nous sommes désormais derrière leur voiture. Le décor devient mou comme si la musique pouvait ôter toute rigidité asphaltique. Tout est fluide : bitume, panneaux et néons se fondent. Il faudrait rouler encore plus vite.
Une rencontre nocturne à 53 km sur le périphérique parisien, par voitures interposées, devant-derrière, warning, et talkie-walkie. L’interlude se finit au jeté de questions par les fenêtres et au mégaphone. Oui ils ont un mégaphone, un gros mégaphone. Porte de Montreuil : nous sortons de cette voiture les yeux brillants, les sourires sont niais ; parce qu’effectivement, c’est toujours plaisant d’avoir une discussion transversale avec les types de la voiture d’à côté aux lunettes de vitesse orange.
Manifesto XXI – « Il y a place pour de grand galas de patinage dans nos cœurs malades d’amour. La Voix des foules est cassée. Alors l’Émeute se doit d’être Tendre. » Qu’est-ce que c’est ?
Printemps : C’est comme une course de Twingo sur le périphérique, une promenade en poids lourd sur une autoroute, un toboggan en tricycle, la musique très fort. Terminé.
La Tendre Émeute s’est formée en avril 2013, quoi/qui est à la genèse de ce projet ?
Printemps : À la genèse de ce projet, un musée d’art brut, le Museum of Everything. Le musée a fermé ses portes rue du Bac et conduit une messe. Pour la première fois La Tendre Émeute se rassemble.
Je vous demande d’allumer la lumière dans votre voiture. Terminé.
Je vous demande d’écouter la chanson numéro quatre, ‘A GENOUX’ sur le CD. Terminé.
Justement parlons-en de cette chanson, qui a écrit ce texte ? Peut-on parler de vécu ? Je pense également au titre ‘MAISON BLANCHE’.
Printemps : Je vous propose de l’écouter d’abord très fort, ensuite nous répondrons à votre question. Terminé.
Printemps, c’est toi qui as écrit cette chanson ?
Printemps : En effet, les paroles ont été écrites Jérôme Printemps von Zilw. Il s’agit de quelque chose de très profond. Comment peut-on être PD, anarchiste et catholique? Chaque chanson de La Tendre Émeute trouve une source très profonde. Il y a quelque chose de tellurique au fond de la gorge de chacun de nos chanteurs. Dans une église, on pourrait très bien imaginer Marie-Madeleine crier : « On ne naît pas vierge, on le devient. » Il y a au fond de la gorge de chacun de nos chanteurs quelque chose de tellurique, une faille. Terminé.
Est-ce qu’on peut parler de la Tendre Émeute comme d’une révolte poétique, une comédie dramatique musicale ?
Printemps : Pour cette réponse, je vous propose de rouler à notre gauche. Terminé. Je vous attends.
On n’entend plus rien. Les talkie-walkies ont lâché. Ils sortent un mégaphone. On baisse les fenêtres.
Nuñez : Est-ce que vous nous recevez ? C’est bien, non ?! Je paaaarle.
Printemps : Nous aimons rouler la nuit autour de Paris, nous n’avons aucune envie de rentrer chez nous.
C’est quoi le comble de l’être pour La Tendre Émeute ?
Nuñez : Le comble de l’être pour La Tendre Émeute est d’exister dans La Tendre Émeute. Si tu es dans La Tendre Émeute, alors tu fais partie de quelque chose de grand et de tendre à la fois.
Printemps : Comment être à la fois au sommet de l’orgueil et au comble de l’humilité ? C’est un défi auquel nous nous essayons tous les jours.
Vos performances scéniques ont-elles une limite ? Y a-t-il toujours une mise en scène élaborée au préalable ou c’est beaucoup d’improvisation ?
Printemps : Nous prévoyons beaucoup mais nous sommes toujours surpris et dépassés par les évènements. Le public lui-même est une vague que nous invoquons et qui nous renverse à notre plus grand plaisir. En un mot, nous sommes des surfeurs inconscients.
« Non il ne faut pas », quoi ?
Printemps : Il ne faut jamais s’asseoir. Je répète, il ne faut jamais s’asseoir. Je répète, il ne faut jamais s’asseoir. Je répète, il ne faut jamais s’asseoir.
Nous ne sommes pas la police. Je répète, nous ne sommes pas la police.
Et faut-il aimer les matons ?
Nuñez : Nous n’avons absolument rien compris mais nous allons répondre quand même. Une fois, avec ma grand-mère, on est allés à la pêche et là mon grand-père a mangé toutes les Vache Qui Rit. Ensuite elle a préparé des merguez puis mon grand-père a mangé toutes les merguez. Si vous voulez, la prochaine fois nous irons à la pêche et peut-être que mon grand-père nous fera des sandwichs au thon.
Printemps : Attention à la sécurité routière. Je répète, attention à la sécurité routière, HAHAHAHA.
Alarme.
Avec un bel oxymore comme « La Tendre Émeute », je me demande, quel est votre plus beau paradoxe ?
Printemps : Elle est dure cette question, surtout quand on roule en cinquième. Ah, je sais : rouler très très très vite mais en cercle.
Il nous reste deux portes, c’est-à-dire quelques minutes seulement. Alors si vous me le permettez, nous voudrions vous remercier. Vous savez, c’est rare de connaître une aventure, toute petite, certes parisienne, mais une aventure quand même. Nous essayons de passer la seconde, puis la troisième, puis la quatrième, puis la cinquième. Merci et bonne soirée.
Prochain concert : 30 septembre à La Station–Gare des Mines.