Dans son dernier album le duo bruxellois Techno Thriller réinterprète avec une froideur poétique le Décaméron, récit de la tragique peste noire, écrit au cœur de la pandémie par le florentin Giovanni Bocacce au mitan du XIVème siècle.
Jusqu’à présent on connaissait surtout Techno Thriller à travers leurs productions enténébrées d’EBM et de techno-industrielle, avec lesquelles le duo réussit toujours avec brio et provocation, à ensorceler les foules lors de représentations multiples aussi bien dans les salles suffocantes que dans les festivals en plein air. Ces faits d’armes sont cependant antérieurs à la pandémie de Covid-19 qui est venue bouleverser le paysage culturel. Sans concert, cette période monotone semble être plutôt propice pour sortir un album concept. Et non des moindres, puisqu’il s’agit de récits de la pandémie de peste bubonique, l’un des fléaux du XIVème siècle, qui resta dans les mémoires par ses ravages (la maladie sévit jusqu’en Asie et en Afrique du nord, il est estimé qu’elle décima entre 30 à 50% des Européens entre 1347 et 1352). Une situation qui présente de légères similitudes anachroniques avec l’actualité sanitaire.
Pour ce troisième long-format – leur premier avec leurs acolytes du label Teenage Menopause Records –, Hoel Von Helvet et Léo Campbell ont donc choisi de réinterpréter en dix titres, avec leur goût pour la subversion, les dix jours du récit des sept femmes et trois jeunes hommes que forme le Décaméron de Bocacce, qui décrit en cent nouvelles, la propagation de la peste noire à Florence en 1352. Textes narratifs parfois susurrés de manière angoissante ou clamés avec une froideur théâtrale, sur fond d’instrumentation influencée par la musique médiévale à l’ombre de la mystique d’une confrérie occulte, où les synthés cabalistiques associés aux échantillons sonores et aux rythmes martiaux, funèbres, modèlent un résultat aussi ténébreux qu’envoûtant.
Parmi ces dix titres d’une libre relecture de l’ouvrage de Bocacce, on compte deux featurings placés au centre de l’album. Sur le premier, le liturgique « Les Chimères », c’est la chanteuse et productrice Naomie Klaus qui est invitée à chanter les chœurs de cette complainte aussi lancinante qu’ésotérique. Quant à « Leonore », la violoniste Tamara Goukassova, habituée à mettre son talent au profit de productions électroniques et pas uniquement, vient intensifier avec son jeu l’atmosphère lugubre rythmée aux textures métalliques des percussions sur laquelle la voix vient psalmodier.
C’est ici une production originale et une démarche artistique inédite que propose l’effronté Techno Thriller avec cette interprétation aussi ténébreuse que saisissante du Décaméron. Loin des récits édulcorés des confinements, cette mise en musique d’un classique littéraire en parallèle à la conjoncture actuelle est une idée des plus singulières, orchestrée de façon remarquable.
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Photo en Une : Artwork © Carole Mousset
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