Pour les sœurs Julia et Anna Tarissan, l’envie de travailler ensemble remonte à l’enfance lorsque gamines elles jouaient à créer le plateau de tournage du film de Julia avec Anna en chef costumière. Suburbs Territory renoue donc avec cette envie. À l’occasion de cette sortie, nous avons discuté avec les deux sœurs.
Les images sont issues d’une série argentique d’Elliot Sitbon.
Si les vidéos de Julia Tarissan, avaient attiré notre attention pour leur conception déjantée et la maîtrise d’un humour subtil et esthétisant, ici le langage change pour céder la place à un univers moins criard sans perdre en absurdité. C’est l’histoire d’une tribu d’outsiders au sein de laquelle débarque un inconnu pour des raisons mystérieuses. Chaque personnage revêt un rôle précis dans cette danse initiatique, rôle mis en exergue par une réflexion attentive au vêtement.
« Pour moi, la conception d’un bon personnage, particulièrement dans une vidéo où ils ne peuvent pas s’exprimer avec des mots passe par la construction d’une identité visuelle très forte. » explique Julia.
Dans un futur proche, ce clan de marginaux arpente une jungle urbaine 2.0. Tourné aux pieds du fameux Chou de Créteil, le film fait de l’architecture, filmée sans artifices, un vrai personnage.
« J’ai cherché un lieu qui aurait le bon équilibre entre la nature et l’architecture. C’était clair pour moi que ça se passerait en banlieue parisienne, j’adore l’ambiance et l’esthétique hyper changeante qui y règne. Je suis passée devant la cité des choux en m’entraînant à conduire une après-midi avec un ami et ça a très vite été une évidence ! La scène de la course-poursuite entre les garages était parfaitement adaptée à ce lieu. »
Tel un documentaire, le film est empreint d’une gravité qui flirte subtilement avec l’humour. Le clip est un mélange de genres spontané. Entre pub de mode, documentaire, clip de musique et court-métrage de fiction, Suburbs Territory possède le charme kitsch et décadent de l’esthétique post-internet.
Julia Tarissan semble, malgré elle sans doute, introduire en vidéo un esprit punk d’un nouveau genre, marqué par un goût prononcé pour la vérité brute de l’image, la recherche d’une beauté délicate dans la laideur apparente et une touche non maîtrisée d’indiscipline. Les costumes s’accordent à ce parti pris.
Tirés des collections d’une étudiante diplômée de Duperré, Constance Tabourga, et d’une d’ESMOD, les costumes de cette tribu du futur proche sont basés sur le recyclage de matière et sur l’idée du « siamois » portée par Xinchy Design. « C’était parfait pour l’esthétique qu’on voulait donner à nos personnages désertant la société et pour le petit clin d’œil au « travail avec ma sœur » ainsi qu’à l’un de mes persos préféré qui est « le siamois » » explique Anna Tarissan.
Des coupes déstructurées, des dimensions oversize, une recherche autour des costumes tribaux, Anna Tarissan construit un uniforme du guerrier urbain, nourrie de références sportswear et anti-fashion. Pour ce faire, elle recourt évidemment à l’esthétique street, fonctionnelle et détaillée de marques parisiennes comme Racket, Andrea Crews ou l’Art de l’automobile.
Le film est aussi une réflexion sur l’appartenance à un clan marquée par les vêtements. Explorant la notion de camouflage, l’habit doit protéger mais aussi exalter les différences de chacun des membres de cette famille par un look hautement personnalisé, empreint de do it yourself. La ligne directrice est la débrouille, comme le prouvent les matières choisies entre toile de jute, anciens sacs et beaucoup de maille.
Le maquillage est un accessoire à part entière, explique Anna Tarissan. « On l’a vraiment pensé comme une pièce en plus, un accessoire à rajouter à chaque personnage. On avait une maquilleuse mais l’idée était de rester un peu dans le brut avec des aplats de couleurs inspirés d’anciennes tribus africaines. Ça devait avoir l’air d’être simplement réalisable par les membres de la tribu entre eux. »
« Travailler avec ma sœur c’était un jeu d’enfant ! On se connait tellement bien que quelques mots suffisent pour qu’on se comprenne. » nous dit Julia. « Je lui faisais complètement confiance pour construire des personnages super complets et percutants. On a une notion très proche et personnelle du style qu’on a construite au fil des années, je pense que ça saute aux yeux quand on nous voit ! »
Le film se clôture par l’intégration de ce personnage nomade qui finit par devenir un membre de la famille par un rituel initiatique signifié par ledit maquillage.
Le glissement est alors subtil de la construction d’un outfit propre vers l’adoption d’un style influencé par le groupe. Observateur distant, le spectateur assiste à une danse mêlant mode, cinéma, art et anthropologie abordant sous une forme nouvelle le thème de l’intégration.