Showgirl, une performance kitsch à la gloire de la vie d’actrice

En 1995, le réalisateur Paul Verhoeven essuie une vague titanesque de critiques suite à la sortie de son film Showgirls. Entre un déficit béant au box-office et les diatribes alignées dans les colonnes éditoriales, rien ne laissait présager que son long-métrage pourrait un jour acquérir le statut de film culte incompris par son époque. Aujourd’hui, c’est Marlène Saldana et Jonathan Drillet, épaulé·es de Rebeka Warrior, qui s’offrent le plaisir d’adapter ce trésor exhumé, sur les planches.

Musique et théâtre sont-elles vraiment des disciplines distinctes ? Ne doivent-elles pas, lorsqu’elles cohabitent, s’accorder à partager le même espace, la même valeur ? On n’a que trop entendu les pianos pleurer et les guitares se distendre chaque fois qu’il a fallu créer une atmosphère angoissante sur scène, ou tirer quelques larmes à un public fébrile. Qu’à cela ne tienne, le procédé est efficace. Les larmes ont coulé, le cœur a battu. Mais sorti du contexte, le morceau en valait-il la peine ?

Quand elle compose la bande originale de Showgirl, Rebeka Warrior compose un EP. Un objet artistique indépendant, aussi léché que n’importe quel projet personnel. Sa musique est brute, réfléchie, irrévérente, texturée. Elle se reçoit par salves, fait rompre les barrages, les amarres, les clivages. Rebeka Warrior est partout à la fois – Sexy Sushi, Mansfield.TYA, KOMPROMAT – et s’aventure cette fois jusqu’aux planches. Encore une fois, rien n’est laissé en coulisses, la musique est jetée toute entière dans la gueule ouverte du public, attendant qu’on y plante les crocs. Marlène Saldana glisse sa patte dans les morceaux comme dans les manches de son grand manteau et endosse avec brio ce rôle de chanteuse-actrice, l’une ou l’autre, les deux à la fois. C’est sa voix qui conte l’épopée moderne d’une danseuse écorchée par la réalité de son rêve. 

Manifesto XXI - Showgirl, the play
© Erwan Fichou

Showgirl est un exemple de la pluralité des formes théâtrales et des disciplines engagées dans une création. Jeu, danse, chant, musique. L’intelligence de la compagnie aura été de les réunir, sans les aplanir. C’est une comédie musicale, une performance, une pièce, un concert. Showgirl brouille les lignes et c’est exactement ce qui fait sa réussite : la beauté du désastre, la netteté du bordel, la précision de la fête. Le mantra, c’est jouer pour gagner, c’est la destruction du bon goût et l’adoubement du kitsch. Jouant sur l’emphase, mais sans tomber dans le gouffre de la mauvaise parodie, Marlène Saldana délivre une prestation hilarante, touchante, puissante. 

La pluralité de cette création existe aussi dans la réécriture, largement affranchie de son original, qu’en font Marlène Saldana et Jonathan Drillet. Librement adapté du scénario initial du film de Verhoeven et suivant en apparence le parcours de son personnage principal, Nomi Malone, le spectacle dérive rapidement sur le véritable miroir de cette histoire : celle de son interprète, Elizabeth Berkley, dont la carrière fut injustement brisée par l’échec cuisant de cette seule production ; et celles de toutes les actrices, d’avant et d’aujourd’hui, submergées par les attentes irréalistes et irréalisables qu’on projette sur elles dans l’industrie du show-business. 

Pratiquement seule – sauf lors des quelques apparitions de Jonathan – mais entourée de tous ces personnages qu’elle incarne les uns après les autres, Marlène déambule dans ces décors bariolés. Ces objets scéniques opulents semblent être autant d’accessoires et partenaires de jeu. Elle se débarrasse des sourires débordants des comédies musicales façonnées à la bonne humeur de Broadway pour faire tourner la recette à un cynisme non moins hilarant. Et fait naître, sous les yeux médusés de l’audience, un Las Vegas tordant et rayonnant, chimérique et creux ou débordant de magnificence, artificiel ou bien glorieux et vivant, selon ses humeurs et ses avatars.

Avec la sortie du clip de « La Valise », le spectacle s’offre aujourd’hui une nouvelle dimension. On y voit Marlène, dans le décor du spectacle, faire du lip sync sous l’œil d’une caméra malicieuse qui brouille les couleurs. Comme une annexe, une bande-annonce ou un spin-off, cette vidéo donne encore du relief à cette performance multi-artistique. Jolie façon d’annoncer que Showgirl fait aussi ses bagages pour parcourir la France ; et donner un aperçu de ce qu’il vous sera alors donné de voir.

Voir Aussi
léa nana manifesto XXI

Showgirl
22 janvier 2022 – Poitiers – TAP
2 mars 2022 – Orléans – Scène nationale d’Orléans : Soirées performances
Du 5 au 7 avril 2022 – Reims – Comédie de Reims
20 et 21 avril 2022 – Caen – CCN et Comédie de Caen
29 avril 2022 – Roubaix – La Condition Publique : La Rose des Vents hors les murs
Pour les Parisien·nes, il faudra attendre 2023 pour une programmation à Chaillot… patience. 

© 2022 Manifesto XXI. Tous droits réservés.