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Séparation des Daft Punk : pourquoi on peut bien parler de deuil

Séparation des Daft Punk : pourquoi on peut bien parler de deuil

Manifesto 21 - Daft Punk

La nouvelle est tombée : le duo emblématique Daft Punk se sépare après plus de 25 ans de carrière. L’information se propage à une vitesse phénoménale, et beaucoup de mélomanes expriment une profonde tristesse en apprenant la fin de l’aventure des deux robots. Pourtant, on ne parle pas de la mort de l’un d’entre eux. Se pose alors cette question : pourquoi le monde de la musique (et même bien plus) est-il bien en deuil après cette annonce ?

À l’âge de 5 ans, je tombe sur le clip de « Around The World » réalisé par Michel Gondry. C’est le premier souvenir musical que j’ai, et c’est à partir de ce moment-là que je comprends que la musique va m’accompagner toute ma vie. Les Daft Punk ont été à mes côtés pendant toute la construction de la personne que je suis aujourd’hui. Ma première analyse musicale en école supérieure portait sur le clip géant Interstella 5555, qui illustrait l’album Discovery (2001). D’autres exemples ? J’en ai encore plein. C’est pourquoi lorsque je suis tombé sur la vidéo « Epilogue » postée ce 22 février 2021, j’ai eu l’impression de perdre un mentor, une boussole dans ma vie.

L’annonce de la séparation des Daft Punk a bouleversé de nombreuses personnes, que vous viviez de la musique ou que vous ayez simplement des souvenirs rythmés par leurs tubes plein la tête. Pourtant, lorsque j’ai partagé mon sentiment de tristesse autour de moi, j’ai entendu beaucoup de réactions comme « non mais ça va, ils ne sont pas morts non plus » ou bien des « de toute façon ça fait des années qu’ils n’ont pas sorti de morceaux (voire de bons morceaux) ». Mais alors pourquoi sommes-nous autant à ressentir un puissant sentiment de deuil ?

Qui écoute les Daft Punk ? Tout le monde.

Du vieux puriste de la musique électronique pour qui il n’y a pas eu de bons tubes dance depuis « Music Sounds Better With You » à la grand-mère qui a dansé sur « One More Time » au mariage de ton cousin, la plupart de l’Humanité s’accorde sur un fait : les Daft Punk, c’est bien. Rares sont les artistes français à pouvoir connecter ainsi toute la planète. Lorsqu’en année de césure j’étais professeur de musique dans l’école d’un village au Népal, les enfants connaissaient et aimaient tous Daft Punk. À leurs débuts, ils étaient le fer de lance de ce mouvement qu’était la French Touch, que le monde entier nous envie. Ils sont le commencement de l’arbre généalogique qui a engendré des Justice, ou encore des Phoenix. Leurs sons étaient aussi bien convoités par le monde du hip-hop en France, avec « 113 fout la merde », qu’aux Etats-Unis, où on les retrouve dans le « Stronger » de Kanye West.

Durant ces dix dernières années, chaque nouvelle annonçant une sortie ou un projet dans lequel ils étaient impliqués résonnait comme un coup de tonnerre. Je me souviens du moment où les Daft Punk avaient annoncé leur morceau « Get Lucky » avec un extrait de 15 secondes. Le jour d’après, les DJs en club le passaient déjà en le samplant. Notons aussi que lorsque ce morceau est sorti, toutes les radios françaises le passaient : NRJ, Skyrock, Radio FG, France Inter… Avec lui, les Daft avaient réussi la prouesse de mettre tout le monde d’accord.

Un carrière sans le moindre faux pas

Outre les remixs et les multiples collaborations, Daft Punk, c’est quatre albums studio, deux lives, et une BO. Homework, sorti en 1997, a posé les bases de ce qu’allait être la musique à partir de cet instant, en allant de la house à la techno, et même avec une pointe de hip-hop. Le son Daft Punk était né. Pourtant, à chaque sortie des LPs qui suivirent, le public était déconcerté. Discovery devenait trop commercial pour certains, Human After All (2005) relevait du foutage de gueule pour d’autres. Aujourd’hui, le premier est leur album le plus iconique, le second a été compris au moment où il prenait sa place dans Alive 2007. Tous les albums des Daft Punk sont différents, mais relevaient d’une prouesse technique et s’imposaient – tôt ou tard – comme une œuvre culturelle culte. À chaque itération, ils évoluaient pour devenir une meilleure version d’eux-mêmes.

Beaucoup diront que les Daft Punk ont plagié de vieux morceaux, alors que l’on parlait de sample. Et ça le sample, le duo a toujours su le magner avec brio. Trouver la boucle parfaite, celle que tu peux répéter pendant cinq minutes sans t’en lasser. La recherche du défi les a poussé à composer la musique de la suite de Tron (et elle est tellement présente qu’elle pourrait être un personnage du film à part entière) ; et à se plonger dans les origines de la musique qui les ont inspirés avec leur dernier opus Random Access Memories (2013). Les Daft Punk n’ont jamais oublié d’où il venaient, qui étaient leurs « Teachers », mais ont toujours su aller de l’avant.

Mise en scène d’une tragédie et sortie impériale

Peu après la sortie de Human After All, les Daft Punk publiaient un film expérimental Electroma, où on suivait ces robots, qui souhaitaient être « humains avant tout ». Suite à la sortie de Random Access Memories, qui leur ont valu quatre Grammy Awards, ils composent des productions pour The Weeknd, sont présents lors du lancement de la nouvelle plateforme de streaming Tidal lancée par Jay-Z. Les Daft Punk ont rejoint les robots de cette industrie musicale qu’ils dénonçaient et qu’ils fuyaient auparavant. Une fatalité digne d’une tragédie grecque qui s’achève alors en février 2021 sur cet extrait d’Electroma où l’un des deux robots explose et où le seconde part vers un horizon lumineux sur un de leurs plus beaux morceaux, « Touch ».

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L’histoire des Daft Punk, est une fable qui se termine dans une grande noblesse et humilité. Une aventure cohérente tout du long, qui à chaque chapitre nous donnait une leçon, et de merveilleuses émotions. Et c’est l’annonce de la fin de ce rêve qui nous bouleverse. Malgré leur séparation, on sait tous·tes que Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo continueront sûrement leur carrière solo chacun de leur côté. Mais le symbole qu’ils incarnaient, ces casques dorés et argentés, lui, ne mourra jamais malgré leur séparation.

Merci pour tout ce que vous avez apporté à la musique, à la culture, au monde. Merci de m’avoir fait aimé la musique, de façon viscérale et vitale. Pour moi, et pour beaucoup d’autres, vous serez toujours Alive.

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