À l’origine, il y avait Fanny. Fondatrice de Clean your cup, elle constitue un réseau international d’ambassadrices qui identifient les lieux safe pour changer sa cup (ndlr : coupe menstruelle). Puis, il y a eu l’envie de plus, de raconter tous les tracas du cycle menstruel, et le média – Cyclique – est né. Alice, Katia, Lili, Eva-Luna, Marie, Anne et d’autres sont arrivées ; chacune avec un flow plus ou moins abondant sur le sujet des règles mais toutes solidaires des galères des unes et des autres en matière de gynéco. Sang Rancune sera leur moment, et celui d’une nouvelle façon d’aborder les menstruations en public. Sans rougir.
Le 10 novembre le Point Éphémère accueillera un événement inédit, qui rassemblera les acteur-ices d’une nouvelle donne en matière de féminisme, prévention et produits hygiéniques. Deux tables rondes, un open-mic, du VJing, des flash tattoos, des ateliers d’auto-gynéco, une marraine idéale – l’autrice Elise Thiébaut (Ceci est mon sang ; Les règles, quelle aventure !) – Sang Rancune ambitionne de changer les règles pour le plus grand nombre, pour que les souffrances du corps féminin soient vraiment prises au sérieux. Un projet porté par une une joyeuse bande de zouzs, unies par les liens du sang.
Manifesto XXI – Comment expliquez-vous le succès de l’événement qui est déjà très populaire sans avoir fait beaucoup de communication dessus ?
Fanny : Il y a une identité forte. Souvent les événements sur les règles ont des images fleuries, genre “petits papillons dans ta chatte” alors que là c’est beaucoup plus franc et assumé. Et des événements règles il n’y en a pas beaucoup. Ou alors c’est des choses très genrées et ça ne colle pas vraiment à notre vision politique.
Est-ce que vous le voyez comme un phénomène de génération votre façon de s’emparer du sujet ?
Alice : Je pense que ça suit un mouvement oui en fait. C’est pas comme si on inventait quelque chose, toutes les paroles se libèrent et celle-là en fait partie.
Fanny : C’est une question de génération de fait, mais c’est surtout contextuel. Depuis qu’il y a eu l’histoire de la taxe tampon et qu’on parle des règles à l’Assemblée, il y a eu un mouvement. C’était fin 2015.
Eva-Luna : C’est le fait qu’on en parle et que ce soit médiatisé. Je pense qu’avant il y avait des démarches dans ce sens-là mais ce n’était pas dit haut et fort. Là… on pèse en fait.
Anne : Eh, on est plus de la moitié de la population !
Fanny : Des gens sont à bout. C’est comme pour l’endométriose.
Ça explose parce qu’on en peut plus qu’on nous prenne pour des connes et qu’on nous dise que c’est normal d’avoir mal.
Alice : Le fait que l’on ait appris il n’y a pas si longtemps qu’il y a des pesticides dans les tampons, ça a touché tout le monde tout de suite. Ça choque : quelles est la composition, pourquoi il y a des produits taxés à 20 % ? Apparemment ce n’est pas de la première nécessité mais se raser la barbe oui.
Fanny : Le coca aussi. (rires) La loi est passée sur la taxation, on est à 3%. Mais les prix sont inchangés parce que les distributeurs ont augmenté leurs marges. (indignation générale)
Alice : Le fait aussi que la cup prenne de l’ampleur, ça propose une alternative et ça oblige à repenser les règles et la manière de repenser son corps. Dans la société, le corps de la femme est hyper sexualisé, tu es censée être bandante et point barre. Porte de la lingerie et point barre. Mais en fait il y a tout autre chose, et d’ailleurs mon corps m’appartient et je vous emmerde. Et tout ça fait partie d’un mouvement.
Qu’est-ce qui vous a amené au thème de la première table-ronde, « Les nouveaux enjeux des règles : santé, écologie et réappropriation de nos corps » ? La découverte des pesticides dans les tampons ?
Fanny : En fait on voulait faire une table-ronde plus généraliste, le premier thème auquel on a pensé c’est « Décoloniser le gynécologie ». C’est hyper important mais on s’est dit que ça toucherait peut-être moins de gens, c’est un sujet plus politique et on tenait à une conférence plus grand public pour commencer
Eva-Luna : Cette conférence brassera tous les sujets d’actualité, l’écologie, les ateliers d’auto-gynéco, les protections réutilisables.
Alors comment est venu le sujet de cette conférence sur le racisme et les violences dans la gynéco ?
Eva-Luna : J’ai lu un article sur les avortements forcés en Guadeloupe dans les années 70 (ndlr : travaux de Françoise Vergès). C’est un scandale qui a totalement été passé sous silence. Ça m’a fait réfléchir et je me suis dit que si on organisait un festival il ne fallait pas l’oublier. Parce qu’on est une équipe majoritairement blanche, et que si on restait de notre point de vue de blanches, on n’atteindrait pas notre objectif de parler à tout le monde. On a trouvé des supers intervenantes !
Comment on explique la nécessité d’un espace de parole spécifique sur les règles à quelqu’un qui ne serait pas du tout sensible au sujet ?
Alice : C’est déjà retirer tous les tabous et idées reçues sur le corps. Ce qu’est la sexualité aussi. C’est rendre la place aux personnes possédant un utérus et/ou concernées. Représenter la réalité, dire qu’est-ce que c’est et ne plus en avoir peur.
Eva-Luna : Le discours sur les règles est soit hyper infantilisant, soit hyper médicalisé. Au final les personnes qui ont leurs règles, ne savent pas grand chose dessus, comment le cycle menstruel fonctionne par exemple. Il y a beaucoup de problématiques, des choses qui sont tues et qui tuent. Comme l’endométriose.
Alice : Qui tuent et qui gênent. À l’adolescence quand le corps change pour beaucoup de jeunes c’est un méga chamboulement et on s’enferme dans un carcan de silence parce que ce serait sale. Nous on a quand même la chance depuis assez longtemps de pouvoir en parler, toutes. On a connu des cercles dès très jeunes, où c’était libre, mais ce n’est pas évident. C’est simplement rendre cela accessible et normal.
Fanny : C’est aussi responsabiliser un peu tout le monde sur le sujet. Quand t’es parent et que ta gosse a ses règles, souvent tu ne sais pas gérer. Tu lui files une serviette vite fait et tu t’en vas. Chacun se débrouille et c’est l’enfer. C’était comme ça chez moi. Les infirmières de bahut, on en parle pas, elles n’ont même pas le temps. Les enseignants n’en savent rien, les profs de sport sont en galère. À un moment il faut créer un dialogue avec les jeunes sur le sujet, que ce soit avec ceux qui ont leur règles et ceux qui vont les avoir, que ce soit moins terrible de se retrouver avec une tâche sur le cul et d’avoir trois ans de réputation derrière à passer pour la crado du collège.
Anne : Il faut que tout le monde se sente concerné aussi. Parce que les garçons qui disent que ce n’est pas leur problème, en fait si !
Alice : D’ailleurs si on a peur de nos règles quand on est gamines, c’est avant tout par rapport au regard des hommes. Entre copines on s’en fout en fait, on est les premières à demander si on a une tâche.
Pourquoi l’art a une telle place dans votre programmation ? Pourquoi c’est si important la dimension esthétique ?
Anne: Parce qu’on y est sensibles et que ce n’est pas une conférence médicale. On n’est pas médecins. Ça fait partie de nous et c’est une teuf aussi !
Fanny : C’est un événement à notre image. On ne veut pas que ce soit quelque chose d’ennuyeux.
Anne: Et il y a plein de femmes qui travaillent sur le sujet en art. C’est un média comme un autre le visuel, la musique… C’est une façon de communiquer comme une autre.
Fanny : On aimerait bien faire un événement juste artistique dans un second temps.
Quelles sont les œuvres et/ou lectures qui ont lancé votre intérêt pour les enjeux des règles ?
Fanny : Avant de créer Clean your cup, j’ai créé un collectif qui s’appelle Fluides qui travaille donc sur les fluides corporels. Ma rencontre avec l’artiste Aphrodite Fur ça a été une révélation pour moi. C’est une amie aujourd’hui, ce qu’elle faisait m’a beaucoup touchée. Elle a une œuvre magistrale qui s’appelle Le livre de sorcellerie amoureuse qu’elle a écrit tout au sang de règles où elle ré-écrit tout le temps les mêmes mots, les mêmes traits et ça redescend comme un orgasme. Tout au sang menstruel et à la plume. Elle le présente sur un prie-Dieu, t’enfiles des gants en velours pour tourner les pages. Ça m’a beaucoup fait réfléchir. Quand on m’a présenté la cup pour la première fois c’était super intense aussi, j’avais 27 ans et personne ne m’en avait jamais parlé.
Alice : Moi c’est deux bouquins, Le secret des femmes. Voyage au cœur du désir d’Elisa Brunn, qui a décomplexé tous les sujets liés au corps féminin et la sexualité. Et un bouquin qui explique comment guérir toutes les maladies qu’on peut avoir dans le vagin Manuel de gynécologie naturopathique à l’usage des femmes, de Rina Nissim.
Anne : Moi ça vient d’un magazine trouvé dans un lounge Air France, où une gynécologue racontait avoir mis toutes ses économies dans l’étude du sexe féminin. Elle disait en gros, « Le point G, arrêtez de triper : ça n’existe pas ». Et c’était la révélation, j’étais baba. Le blog de Mirion Malle aussi, « Commando culotte ».
Qu’est-ce que vous pouvez nous dire sur les sponsors de l’événement ? Il n’y a aucune grande marque de protections hygiéniques.
Fanny : Notre sponsor principal c’est Luneale qui est une marque de cup sans tige, sans colorant, sans phtalates. La fondatrice a un discours très intéressant et c’est une identité très cool. Lamazuna c’est une marque qui fait du zéro déchet, ils font aussi bien des serviettes de démaquillant lavable et des serviettes lavables. Fempo c’est des culottes menstruelles. C’est assez complémentaire.
Dans quelle mesure des lobbys luttent pour que les habitudes de consommation ne changent pas ? Certains articles sont très critiques sur la cup par exemple.
Fanny : Procter & Gamble, Johnson & Johnson mettent la pression oui et paient des études sur la dangerosité de la cup. Elise Thiébaut a vulgarisé tous les articles scientifiques intéressants, notamment sur son blog pour Mediapart. Ce qu’il y a de sûr aujourd’hui c’est que porter une protection hygiénique intravaginale pendant plus de 6 à 8 heures peut potentiellement développer une bactérie à partir d’un staphylocoque doré.
Dans les années 80, il a y eu le scandale Rely. C’était une marque de Procter & Gamble qui a tué 97 personnes avec des tampons super absorbants. Les tampons à l’origine c’était du coton et en fait avec les modes de production industrielle, c’est devenu de la viscose imprégnée de Javel et de trucs anti-bactériens hyper acides pour la vulve. Les femmes les gardaient une semaine tellement c’était absorbant. Sécheresse vaginale, mycose à répétition, et syndrome du choc toxique.
Anne : La fameuse goutte qui est sur les paquets de +++ c’est une arnaque trouvée à l’époque, ce sont les tampons les plus absorbants donc ceux qui posent le plus de problèmes. Quoi qu’il arrive il faut prendre les produits avec une goutte et ne pas taper dans les autres. Comme pour les filtres à café. Si on ne blanchissait pas les tampons, ils auraient la couleur des filtres non blanchis.
Apolline sera sans doute étonnée de me voir de poster un commentaire, mais elle m’a interrogée en décembre 2015, bientôt trois ans. (lien en site web). Mon intervention peut certes, sembler sujette à interrogations, mais elle est dans le RESPECT le plus total. Car si elle se souvient de moi/nous (de plus en plus et de mieux en mieux moi Hélène maintenant d’ailleurs), c’est parce que j’avais évoqué entre autre, la honte de la taxe tampon à 20%. Et depuis, j’ai découvert la coupe… oui je sais, cela peut surprendre mais c’est vrai. Apolline peut j’en suis sûre, se porter garante que je suis à fond derrière vous les filles, pour votre démarche. Mais il y a encore énormément de travail pour changer les mentalités, surtout masculines, et c’est loin d’être gagné. Alors BRAVO à toutes !
PS : Si Apolline veut me contacter directement, ce sera avec plaisir que je lui répondrai. Car j’ai BIEN évolué. 🙂