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Safia Nolin : « Je souhaite à tout le monde de se crisser des hommes »

Safia Nolin : « Je souhaite à tout le monde de se crisser des hommes »

Safia Nolin cover
C’est une Québécoise qui chante sans détour « On ne sortira pas le monstre de moi », explore la noirceur de ses pensées les plus intimes et se met (littéralement) à nu à chaque phrase. En concert, elle vous prend aux tripes dès qu’elle ouvre la bouche, que ce soit pour mettre des mots sur vos blessures secrètes ou vous faire vous tordre de rire avec une de ces petites blagues dont elle a le secret. Bref, Safia Nolin est un phénomène, le nom d’une folk féministe sauvage. Nous l’avons rencontrée, et on a parlé no bra, tristesse, amours lesbiennes et acceptation de soi.

Il y a des artistes que l’on ne prend pas assez le temps de mettre en avant, et pourtant iels occupent des places particulières dans nos références. Je découvre Safia Nolin pour la première fois à une soirée À définir dans un futur proche en 2017 : dans l’atmosphère intime du petit théâtre de La Loge, je me prends une grosse claque. Avec sa guitare en bandoulière, sa voix bien particulière me transperce. Nous nous rencontrons pour l’interview qui suit en janvier 2019, elle vient de publier son album Dans le noir, mais le quotidien me rattrape, le temps passe. L’interview reste dans un coin… jusqu’à ce que l’on invite Safia Nolin à chanter au festival Elles Fest. L’occasion d’éditer cette conversation sans filtres est là. Elle arrive avec en prime une série de portraits réalisés par Romy Alizée dans les coulisses de la Cigale, avec sa chienne Pizza, juste avant la première partie de Pomme.

Manifesto XXI – Est-ce que tu as toujours pu affirmer autant ton féminisme ?

Safia Nolin : Non vraiment pas. Disons que faire de la musique, ça m’a comme pressée dans un moule, dans tous les sens. J’ai été obligée d’accélérer le rythme pour m’accepter moi-même parce que j’ai été propulsée dans le public, dans les opinions des gens… Je n’avais pas le choix. ça m’aurait pris beaucoup plus de temps sinon. J’arrivais souvent à des routes qui se séparaient et je choisissais la moins facile, ce qui a fait que je me suis affirmée plus rapidement. Je n’ai pas exactement changé, mais j’ai arrêté de me raser, de mettre des brassières… En fait, j’ai arrêté de me soucier de ce que les gens pensent, et rapidement.

C’est quelque chose qui parle à ton public visiblement !

Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui sont tannés, fatigués, d’essayer de remplir des cases. Puis comme j’ai des gens autour de moi qui m’inspirent, j’espère que moi j’inspire d’autres personnes.

Safia Nolin post

Je suis tombée sur ce post où tu réponds aux gens qui te disent « Tu pourrais faire un effort » sur ton look. Tu es encore confrontée à ce genre de remarques ?

Ça persiste oui. Quand je vais dans les médias c’est encore pire. J’ai toujours des petits messages, plus des centaines maintenant, mais quand même de temps à autre… J’ai eu plusieurs commentaires après mes passages à la télévision. Je suis absolument contre les brassières, c’est horrible. J’en ai porté toute ma vie, qu’on s’entende, et puis ça a été difficile d’arrêter d’en porter mais maintenant je trouve ça fou que les gens pensent encore comme ça. Je trouve ça horrible que les femmes doivent faire ça. J’en ai eu tellement… Jeune, je dormais avec ma brassière ! J’ai perdu beaucoup de poids, la gravité fait qu’au-dessus, mes seins ne sont pas super fermes et quand je me suis dit que toute ma vie j’allais devoir porter une brassière… Ben non. Ce n’est pas de ma faute. Pourquoi est-ce que je serais obligée ? J’ai arrêté et ça m’a fait du bien.

Ma musique est implaçable. Mes chansons ne feront jamais des pubs, et il y a plein de désavantages mais c’est très moi.

Safia Nolin

Ton précédent album s’appelle Dans le noir, la pochette est bien dark alors que tu as l’air d’être dans une période d’affirmation. Est-ce qu’il y a la lumière au bout du tunnel ? 

Oui vraiment, mais je n’avais pas d’idée. (rires) Je disais souvent « dans le noir », constamment, et j’en parle quelques fois dans les chansons. Ça marche parce que c’est la philosophie de ma musique de creuser dans la noirceur. J’avais sorti un film amateur en VHS, avec des choses filmées en studio. On a gardé ce style. C’est drôle parce que mon film préféré c’est Blair Witch Project et ça ressemble à ça. Je suis fan de films d’horreurs et de trucs hippies un peu de mauvaise qualité. 

La tristesse c’est une émotion qui n’est pas du tout valorisée socialement, et tes textes sont durs et introspectifs. Comment tu le considères ? C’est une force ?

Quand j’ai sorti mon premier album il y a quatre ans, c’était facile. Dans le processus du deuxième, ça a été plus compliqué parce que l’industrie est de moins en moins « indé friendly ». C’est compliqué pour une artiste comme moi, parce que ça ne se consomme pas comme le reste de la musique et de la vie… J’ai un compte instagram avec un bon following mais je pense que ça et ma musique, ce sont deux choses différentes. Il y a des gens qui me follow qui ne suivent pas ma musique du tout. Je pense à ce dicton « ta différence fait ta force », parfois je suis contente d’être comme ça, à d’autres moments je trouve ça difficile. C’est même pas que je suis différente, c’est que je suis incapable de faire autre chose, j’ai pas envie et puis fuck ! Les gens ne m’appellent jamais, y a plein de dates que je ne peux pas faire parce que ce sont des plateaux multi-artistes avec des chansons pleines de vies, et ben on m’appelle pas. Ma musique est implaçable. (rires) Mes chansons feront jamais des pubs, et il y a plein de désavantages mais c’est très moi.

Pourquoi fais-tu autant de reprises, et de chansons pop ? Sur ton instagram et dans tes albums ?

Je ne sais pas ! Je trouve que c’est un peu ridicule, ça fait adolescent. Je devrais peut-être arrêter mais j’adore. De la bonne pop c’est… Comment dire… C’est un bon dessert ! C’est bien calculé pour te faire des kicks de gras, de sucre… Y’a plein de formes de pop. Moi j’adore Katy Perry et Ariana Grande, ou de l’électro-pop avec plus de sentiments, qui me procurent plus d’émotions en tout cas. Je trouve que c’est l’fun à consommer et j’adore ça. 

Qui sont les gens qui ont influencé ton écriture ?

J’en ai aucune idée, c’est bizarre… Il y a des artistes québécois que j’aime beaucoup, comme Klô Pelgag, Philémon Cimon, Pierre Lapointe, des amies autour de moi, Les Sœurs Boulay. J’ai beaucoup lu Harry Potter, ça m’a certainement marquée. (rires) (Safia a le tatouage des reliques de la mort, ndlr) Non, je ne me rends pas compte de ce qui m’inspire pour l’écriture. Musicalement c’est facile, j’adore tous les bands folk tristes avec des guitares qui sonnent vraiment lourd, grave… Mais l’écriture j’avoue que je suis en blanc total de sources.

Ça a complètement changé ma vie de m’accepter en tant que femme lesbienne. 

Safia Nolin
Safia Nolin 1
© Romy Alizée

Qu’est-ce qui fait que tu es satisfaite quand tu écris une phrase ?

C’est vraiment abstrait. Je joue puis j’écris tout en même temps, je ne sais pas trop. J’ai de longues périodes où je n’écris pas puis je recommence à écrire l’année d’après. En ce moment je suis dans un mood où je ne me vois pas jouer une composition à quelqu’un. C’est un peu comme un truc de vivre des choses, puis m’asseoir et laisser arriver à maturité des chansons. Quand je me force, ça ne marche pas du tout. 

Tu as beaucoup de textes sur l’auto-censure et le jugement, du corps, de l’apparence. Les paroles de « Miroir »  (« Miroir, miroir / Je sais que c’est moi la plus laide »), c’est ce que toute meuf a ressenti un jour mais que personne n’a jamais dit. C’est un exorcisme pour toi ?

Tout le monde me parle de cette chanson. (rires) Mais c’est vrai oui, j’exorcise quelque chose. C’est sur que cette phrase-là, je la trouve intense à chanter. À chaque fois que je la chante, j’ai l’impression de sentir le malaise des gens. Il y a genre un malaise ambiant de 5 secondes qui flotte. Je pense que la phrase d’après elle ne sert à rien parce que les gens sont trop choqués que je vienne de dire ça. J’sais pas, ça fait un truc vraiment bizarre de dire ça. Mais moi ça me fait vraiment du bien, parce que je le pense vraiment, que j’ai pensé ça, et puis que je vais penser ça. C’est quelque chose qui a habité avec moi toute ma vie.

Le sentiment de la laideur tu veux dire ?

Oui, le sentiment d’être la fille laide. J’ai perdu ma virginité vraiment tard, à 23 ans. C’est extra tard ! J’étais tout le temps à la poursuite de l’homme de mes rêves, qui était un gars vraiment trop beau, que toutes les filles aimaient. Et puis à un moment je me suis rendu compte que je n’arrivais pas à accepter le fait que j’étais lesbienne. Parce que, attention, je crois que je n’ai dit ça qu’à ma meilleure amie, c’est vraiment puissant parce que c’est dark mais, j’avais pas envie d’être lesbienne par dépit. C’est tellement absurde, en fait c’est tellement naturel avec mon amoureuse. L’autre jour je me disais que c’est bizarre que des gens trouvent ça bizarre ma relation avec une femme tellement c’est naturel. Et puis que je me sens bien. Ça a complètement changé ma vie de m’accepter en tant que femme lesbienne. 

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Le mouvement féministe est très intense ici parce que les gens font encore face à plein de merdes. Moi je prends des choses pour acquises mais qui n’ont même pas encore commencé ici.

Safia Nolin
Safia Nolin 2
© Romy Alizée

C’est ce que Virginie Despentes dit dans son interview au Monde : « Être lesbienne c’est perdre 20 kilos. » 

C’est vrai, c’est fou. Je ne me suis jamais sentie aussi bien. Ça coïncide avec le moment où je me suis vraiment acceptée aussi. Avoir la confirmation que quelqu’un t’aime, ça t’aide aussi à accepter les affaires que tu aimes moins de toi. Et puis ça enlève la pression de devoir plaire à l’homme hétérosexuel. C’est fou comme je me sens chanceuse de ne plus avoir ça. Enfin je ne l’ai jamais vraiment eu. C’est ça qui est bizarre, toute ma vie j’ai cru que j’étais hétérosexuelle mais là je suis comme « Non » ! C’est un rêve. Je souhaite à tout le monde de se crisser des hommes. Comment on dit l’inverse de la misogynie déjà ?

La misandrie.

Voilà. 

Est-ce que c’est une différence entre la scène canadienne et la scène française justement ?

Oui, il y a une nette différence. Moi et Claire la première fois qu’on est venues à Paris, on s’est fait insulter deux fois dans la même journée. Dans le 11e, à cinquante mètres de sa porte. J’ai trouvé ça aberrant et ça m’a choquée. J’adore la France mais il y a des trucs que je trouve inacceptables, et dans cette industrie aussi. L’industrie de la musique c’est plein de vieux messieurs dégueu. Partout dans le monde, et faut pas penser qu’il n’y a rien au Québec, mais ici c’est vraiment intense.

J’expliquais ça à quelqu’un aujourd’hui : moi je suis très contente d’être avec mes copines féministes au Canada, je nous trouve cool, je trouve ça cool qu’on fasse plein d’affaires pour être féministes, pour être plus ouvert·e·s et pas racistes… Mais je trouve que les gens qui le font ici sont vraiment badass parce que c’est plus tough quand le reste du monde autour de toi est comme ça. Le mouvement féministe est très intense ici parce que les gens font encore face à plein de merdes. Moi je prends des choses pour acquises mais qui n’ont même pas encore commencé ici. À Montréal, le cat-calling (harcèlement de rue, ndlr) j’en ai jamais vu. Ça me fait vraiment réagir ces sujets-là, la misogynie, l’homophobie puis le racisme en France que je trouve, oh my god, palpable. 

Safia Nolin 3
© Romy Alizée

Ta chanson « France » elle veut dire quoi d’ailleurs ? 

C’est une chanson vraiment particulière. J’ai vécu ici avec l’amour puis après la mère d’une amie a eu un cancer. Je l’ai accompagnée (mon amie), sa mère était en centre de soins palliatifs, c’était intense (je trouve que lourd c’est négatif), et pendant que j’enregistrais l’album, je suis allée jouer cette chanson aux funérailles. Sa mère s’appelait France donc il y a un double sens… Je me comprends ! C’est une des choses les plus étranges que j’ai vu de ma vie, voir quelqu’un mourir. Il y a beaucoup de beauté dans tout ça, ce qui ne fait que confirmer qu’il y a beaucoup de lumière dans la noirceur.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de reprendre « Ta meilleure amie » de Lorie ? 

C’est une chanson que j’écoutais quand j’étais jeune. Lorie était très populaire autant au Québec qu’en France je pense. J’ai voulu rendre mon deuxième album de reprises plus accessible à la France et c’est pour ça que la moitié des chansons sont des classiques dans la francophonie au grand complet.

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