« Une femme à la tête de 850 pompiers en Creuse » : un propos sexiste parmi la myriade de ceux épinglés par Rose Lamy, autrice du compte Instagram « Préparez-vous pour la bagarre » depuis mars 2019. Après un travail méticuleux de critique au quotidien, elle publie Défaire le discours sexiste dans les médias aux éditions JC Lattès.
Tout le travail de Rose Lamy vise à déconstruire les mythes sur lesquels reposent les violences faites aux femmes et la manière dont les médias français en parlent. Rencontre.
De la colère à un travail quasi-universitaire
Du féminisme de Rose Lamy émane d’abord la colère. Au départ, la création de sa page Instagram servait d’exutoire. Partager et expliquer son énervement vis-à-vis des propos sexistes tenus dans les médias lui fait office de thérapie afin de se faire comprendre. C’est pourquoi quand on lui demande comment elle fait pour vivre avec de tels propos sous les yeux en continu, elle nous rétorque : « Il faut recycler cette colère », référence à une chanson de Michel Cloup.
C’est à partir de ce carburant que cette communicante de 37 ans s’est lancée dans la rédaction de son livre, qui représentait un nouvel exercice. Ce dernier lui a permis de repenser le sexisme dans les médias : « À certains moments, je me sentais “folle” à retravailler tous les liens. Puis finalement non, je sais que je ne suis pas folle. Il y a un problème dans la façon dont on nomme les violences. »
Rien ne semble fou ou inaudible dans son travail de réflexion qui prend forme de manière assez instinctive à la lecture. Si bien qu’à la fin de sa participation au podcast « On ne peut plus rien dire », Judith Duportail lui glisse même qu’il s’agit « d’un boulot de thésarde qui se lit comme du petit lait ».
Ancrer sa réflexion sur les médias
Un des phénomènes identifiés par Rose Lamy est celui de la double invisibilisation, à savoir de l’action de l’agresseur et celle de la victime en tant que telle : « Il y a un phénomène d’invisibilisation des violences faites par les hommes qui passe par la diminution des individus victimes, par la disparition des hommes en tant que sujets, et la minimisation des mots : un meurtre deviendra un “crime passionnel”, et pour parler d’un viol on parlera d’un “dérapage”. Concernant les femmes, il s’agit d’invisibiliser leur humanité, de les rendre interchangeables et donc diminuer l’empathie pour elles. Fréquemment dans les articles qui racontent des violences intrafamiliales ou des féminicides, on va associer des verbes d’hyper-violence comme “étrangler”, “électrifier” avec des motifs relevant du banal, “des grumeaux dans la pâte à crêpes”, “ne pas réussir les mots fléchés”. Il se produit dans le cerveau comme une dissociation mentale, on ne parvient pas à bien interpréter ce qu’on lit. De cette manière, on nous empêche d’entrer en empathie avec les victimes de violences. »
Pour illustrer cette démonstration, elle nous partage un exemple concernant les questions d’agressions sexuelles : « “Un agriculteur dérape avec sa stagiaire” : on est sur une chronique judiciaire, le gars est jugé pour agression sexuelle avec circonstances aggravantes. On le sait, ce n’est pas sujet à interprétation, dans les faits il s’agit d’une agression sexuelle sur mineure. Quand on lit bien l’article, on se rend compte que l’agriculteur dit dans sa défense : “Je suis désolé, j’ai dérapé”… Et le journaliste le met dans le titre sans guillemets. Pour moi, cela pourrait relever de la faute journalistique, juste au niveau de la mission qu’il s’engage à tenir, ce n’est pas faire de l’information et ça interroge. »
Concernant la question de la neutralité journalistique, sa réponse est sans attente : « On nous bassine avec la neutralité… Dans son livre, Alice Coffin explique ne pas être sollicitée sur des sujets LGBT car elle risquerait de manquer de neutralité. Alors moi je le dis : ils ne sont pas neutres. Il y a un parti pris des journalistes et ils s’identifient aux mecs, s’ils le font c’est qu’ils pensent être capables de la même chose. »
Si on reformulait différemment les informations, « un homme a tué une femme », on saurait déjà d’où vient le danger.
Rose Lamy
L’autrice le répète souvent, son but n’est pas d’être virulente ou blessante, ni de causer du tort aux journalistes. Elle est bien consciente qu’il s’agit d’un problème systémique et que « les discours sexistes peuvent être véhiculés par des hommes comme des femmes ». Le tout est d’entendre et de comprendre les manœuvres de déresponsabilisation pour ne pas en souffrir : « Nous, les femmes, ça nous fait prendre conscience que l’on risque nos vies sans savoir d’où vient la menace. Si on reformulait différemment les informations, “un homme a tué une femme”, on saurait déjà d’où vient le danger. »
Pour elle, les mécanismes d’information sont majeurs : « Ce n’est pas être misandre que de dire que la majorité des condamnés pour violences sexistes et sexuelles sont à 98 ou 99% des hommes. Il y a pas mal de sources qui s’accordent là-dessus, c’est être rationnel de le dire. Tant que nous ne le disons pas, nous aurons toujours autant de difficultés à gérer cette violence. »
Un enjeu démocratique
C’est avec sincérité et sans aucune prétention, que Rose Lamy passe sur papier ses réflexions publiées sur Instagram depuis deux ans et demi. À ses yeux, comprendre et déconstruire le discours sexiste dans les médias est un enjeu démocratique primordial. Le fait de passer par un médium papier lui procure une nouvelle écoute.
À l’origine de ce projet, il faut remercier son éditrice, Jeanne Morosoff chez JC Lattès. C’est elle qui est venue la chercher pour la rédaction de l’ouvrage. « Je n’aurais jamais eu l’idée de faire un livre. Au départ, quand je me suis lancée dans son écriture, lorsqu’on me demandait ce que je faisais, j’étais gênée de dire que j’écrivais un livre… » En effet, pour l’autrice, « ce n’était pas prévu que je sois là ».
Certainement une des raisons pour lesquelles il n’était pas évident d’écrire le livre à la première personne pour Rose Lamy. « J’avais fait une première version qui ressemblait à une analyse de texte, le fond était bon mais c’était imbuvable. Mon éditrice m’a fait comprendre que ce ne serait pas possible… » Néanmoins, l’autrice en est consciente, l’expression du « je » est politique pour les femmes en général. Dans ses références, il y a bien évidemment le philosophe Paul B. Preciado, et une de ses interventions dans le podcast « La Poudre » dans laquelle il explique que dire « je » est un acte politique.
Avec Défaire le discours sexiste dans les médias, Rose Lamy affirme l’importance de son travail dans le champ médiatique et féministe. Ce livre atteste d’une époque où, malgré la mobilisation des femmes journalistes et des militant·es, certains titres de presse continuent d’être ouvertement sexistes sans que la majorité du lectorat relève le problème car « il en a toujours été ainsi »… or le vent est en train de tourner.
Image à la Une : © Tay Calenda