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Romance : Le choix du cœur

Romance : Le choix du cœur

Manifesto21 - Romance
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Romance foule pour la première fois cette année les planches de la scène parisienne, avec son premier EP furieusement rock et évidemment pop : Paris-Prague – sorti sur le label Blue End Records. Quatre titres pour découvrir ce nouveau nom qui n’a pas fini de nous attendrir. Ce qui est sûr, c’est que rares sont les moments de repos, et que du premier titre au riff final de « J’irais à Prague », il n’y a pas de reprise de souffle possible. Focus sur la bande originale de nos prochaines soirées d’été, à écouter ici en exclusivité. 

Il y a celles et ceux qui clament que le rock est mort, et celles et ceux qui tonnent que celui de l’hexagone s’enlise, que la « langue de Molière » ne se conjugue pas aux guitares acérées et aux batteries triomphantes. Et puis il y a Romance. Nouvelle tête de la capitale qui réunit trois jeunes cœurs battants au rythme d’un sex drogue & rock n’roll bien plus moderne, quoique pas bien plus sage. Et puisque « quand trop de langues s’emmêlent, la vie est moins belle » (« J’irai à Prague »), iels font le choix de s’en tenir à la leur, la plaquant audacieusement sur leurs compositions téméraires, augurant de faire taire les détracteurs de cette association. 

Un larsen vibre. Une basse langoureuse emboîte le pas. Suivie de près par une batterie jouant deux pas en arrière, un pas en avant. Sur leurs talons, cette voix aussi anguleuse et familière qu’elle est surprenante. Dès les vingts premières secondes de l’EP, Romance fait ses présentations, sabre au clair. Un melting pot de rock acidulé et de pop décomplexée. À rideaux ouverts sur leur identité musicale, sans secret ni faux-semblant. Il est de ces groupes euphoriques dont l’énergie contagieuse ne tarde pas à infecter l’auditoire. La signature est honnête : romantique, pour sûr, et fuyant toute forme d’étiquetage. 

© Charlotte Mouly

Si Rennes n’affole pas toujours les foules sur les pelouses, c’est sur le terrain musical que celle que l’on nommait autrefois la Rock n’Roll City a placé ses meilleurs joueurs. Son rock bariolé et mâtiné de pop, aux textes d’amants maudits, toujours romantiques et toujours prétentieux; semble imprégner tou·tes celles et ceux qui s’y frottent, qu’iels y naissent ou qu’iels y passent. Et si Charles Crocq – ancien membre du groupe The Flashers, qui compose, suivi de près par Lise Lechopier à la basse et Pierrick Orfao à la guitare, pour les arrangements – a rejoint la capitale depuis plusieurs années, lui reste dans ses compositions des fragments de ce que le rock rennais fait de mieux. Et ces atouts s’allient à ceux qu’iels sont allé·es chercher, tou·tes les trois, dans les coins brumeux de Pigalle ou Bastille. Un rock moins propre, plus vacillant, plus brut et moins poli : un rock au vitriol. 

Le 05 mai dernier sortait le clip de « Cache – Cache », titre inceptif de l’EP, qui présentait alors le groupe. Le morceau résonne comme un hymne, péan célébrant le désir sans compromis d’un personnage « redoutable en affaire ». Derrière les stores d’un bar de la rue Saint-Maur, dans les effluves de cigarettes, les tintements de verres et les bruits de semelles qui collent, la caméra de Lise Lunel capte Charles, Lise et Pierrick -accompagnés, pour la vidéo, de Susana Pizarro à la batterie – qui s’agitent derrière leurs instruments pour un concert intimiste. Tapant du pied sur un sol de mosaïque les trois jeunes musicien·nes font étalage de leur charisme. Galvanisé·es par ce son bouillonnant d’insolence, jeunes cadres dynamiques, bourgeois·es cintré·es ou adolescents trop jeunes pour être servi sont réconcilié·es -transplanté·es, même- par ce titre dont la mélodie venimeuse reste dans les veines bien longtemps après l’injection. 

Et si le choix initial du scénario – le groupe joue et le public se met à danser – n’est pas inédit, il n’est pas non plus anodin. C’est que, si l’heure n’était pas encore aux festivals et autres moments de foules fiévreuses, ces trois drôles de zèbres sont assoiffés de scène, avides de public avec lequel hurler en chœur; et que le live restera certainement leur terrain de jeu favori. Dans les enregistrements de voix, parfois « sales », hérité d’un rock américain des années 2000, des hésitations qui s’éloignent du micro ou des syllabes sifflées et prolongées dans un souffle, Romance joue sur des effets habituellement réservés à la performance live. À l’écoute on pourrait presque les entendre, dans des rires à nuques renversées, déclarer qu’iels sont heureux·ses de (re)trouver la scène, elles·eux qui l’ont vue passer entre leurs doigts, la faute au virus qui se hissait alors, envers et contre toute la culture, en tête des charts. 

© Charlotte Mouly

Sous leurs airs détendus, Romance ne transige en rien et décline des compositions recherchées. Car si l’ivresse des soirées du Nord de Paris, l’humour et les rencontres servies par la « cité de l’amour » comptent parmi leurs nombreuses sources d’inspiration, la musique, elle, reste sérieuse et sacrée. Pas de compromis, ni de poire en deux, Romance veut croquer tout le fruit. La voix de Charles, escortée par les chœurs de Lise, alterne entre des scansions parlées-chantées, des cris tirant vers la complainte langoureuse que l’on se prend vite à répéter en boucle; et des mélodies serpentantes et toutes pleines de larmes pas si tristes. Entre des riffs bien trempés d’influence The Strokes – « Plus Comme Avant » – ou des changements d’intensités ardus mais maîtrisés – « Gare À Toi » -, iels prennent garde à ne pas produire une musique sage, plongeant vers tous les risques sans se mouiller la nuque. 

Et cette spontanéité, cette transparence des sentiments marque l’album comme le kérosène strie le ciel au passage d’un avion : en laissant un bout de soi derrière. Leur musique inspire les excursions spontanées poussées par le manque, les longues nuit à filer sur les coulures d’asphalte, les long-courriers qui voient le monde rapetisser avant que la terre ne s’écrase à nouveau sous leurs hublots, l’impuissance de l’humain face aux sentiments contraires. Tous ces moments d’euphorie, ces décisions qui n’ont rien de réfléchies : le choix du cœur qui l’emporte sur l’implacable logique de la caboche. Paris-Prague est un voyage. 

À la façon d’un roman initiatique, les quatre titres suivent les romances un peu foireuses, un peu bancales mais toujours passionnés, d’un personnage perdu entre le fantasme d’une histoire romantique impossible ou interdite, la mélancolie du soi d’antan et l’ambiance capiteuse des soirées passées dans l’air vaporeux des fumées de cigarettes. Seule issue pour échapper au mur vers lequel cette histoire semble courir à pleine vitesse : Prague. L’EP s’envole alors dans des mélodies plus amoureuses et tubesques, célébrant dans cet acmé l’utopie du triomphe amoureux. Avec Paris-Prague, Romance donne le la de sa carrière à venir, une note qui signe la promesse de refrains enivrants, de rythme tranchants et de projets toujours aussi tendres qu’effrontés.

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Image mise en avant : © Charlotte Mouly

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