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Romain Brau : « Ça m’a rendu extrêmement fort de croire en l’amour »

Romain Brau : « Ça m’a rendu extrêmement fort de croire en l’amour »

Comédien, mannequin et chanteur, Romain Brau joue son premier seul en scène jusqu’au 30 décembre. Un spectacle parfaitement maîtrisé qui marque une nouvelle étape dans la carrière de l’artiste de cabaret.

Si comme moi vous avez adoré le personnage de Fred dans la comédie Les Crevettes Pailletées (2019), foncez voir le spectacle éponyme de celui qui l’incarne : au Petit Palais des Glaces, Romain Brau conte et chante sa vie avec autant d’humour que d’émotions. Accompagné sur scène par la pianiste Leslie Bourdin, il raconte notamment le harcèlement scolaire dont il a été victime enfant. L’épisode a inspiré l’écriture d’un single « Suzanne », qui annonce un album pour 2024. Un nouveau cycle s’apprête à commencer pour Romain Brau. Il y a presque une décennie, il relançait la programmation du cabaret Madame Arthur avec Charly Voodoo et Monsieur K. C’est là que Romain Brau a pu s’inventer une présence solaire qui aujourd’hui ne demande qu’à rayonner toujours plus loin. Après le spectacle, nous avons marché dans Paris ensemble pour discuter de ses prochaines aventures. 

Manifesto XXI – Dans le spectacle, tu entraînes vraiment les gens d’une manière chaleureuse, ça semble venir de ton expérience à Madame Arthur. Qu’est-ce qui vient de l’école du cabaret dans ce spectacle ?

Romain Brau : On ne me pose pas souvent cette question mais elle est vraiment très importante, c’est l’ADN de mon profil d’artiste. J’adore les gens et j’adore jouer avec eux. Quand j’ai commencé Madame Arthur il y a 8 ans j’avais vraiment un string en poche, du rouge à lèvres et du mascara que les copines m’avaient prêté, et des faux talons Louboutin que j’avais achetés sur AliExpress… donc c’était pas très beau à voir. (rires) Je ne savais pas chanter, et j’étais très insecure. Je me sentais très mal d’être sur scène. J’ai relancé ce truc-là [Madame Arthur] par folie mais quand j’ai vu que j’étais dans une vraie adresse légendaire, d’un seul coup je me suis dit : « Mais Romain qu’est-ce que tu fais ? T’es pas du tout légitime. Il y a des gens qui chantent très bien et qui pourraient être sur scène. » 

Je ne me sentais pas à l’aise donc à chaque fois que des personnes parlaient, riaient au mauvais moment, ou regardaient leur téléphone, j’étais en rage. Ça me rendait dingue, je me sentais faible sur scène. Je me suis dit qu’il fallait faire une force de cette faiblesse. Mais comment ? Il fallait jouer avec le public. Dans une vieille interview, Bambi (grande artiste de Madame Arthur et du Carrousel, ndlr) explique que quand elle montait sur scène elle attendait que le calme arrive et elle chantait. Et il est arrivé de plus en plus vite, elle captivait les gens en quelques secondes ! Je me suis dit, pourquoi pas moi ? J’ai réussi à capter cette attention du public, soit en les regardant dans les yeux, soit en m’asseyant sur eux, soit en les prenant par la main pour leur faire comprendre que j’étais là pour eux et eux pour moi. Les collègues de chez Madame Arthur ne font pas toustes ça, mais moi j’en ai besoin. Le public est merveilleux, je l’aime et j’adore le prendre en moi. 

Après est-ce qu’on est travesti d’une certaine manière dès qu’on devient drôle ? Est-ce qu’on se travestit d’humour ? Je ne sais pas, mais c’est une belle formule.

Romain Brau

Dans un documentaire, le journaliste Gérard Lefort a dit : « L’humour c’est l’arme du travesti ». Qu’est-ce qu’il a de spécial l’humour travesti selon toi ?

Pour moi l’humour travesti n’existe pas. L’humour existe. Travesti, ministre, clochard, boucher… l’humour est universel. L’humour on le transpire si on est drôle et si on a envie d’être drôle. Ça nous aide à communiquer avec les autres et surtout à détendre les atmosphères. Évidemment quand on est sur scène, pour capter l’attention des gens, on les fait rire. Je ne dirais pas que c’est un humour spécifique, car je l’ai aussi quand je ne suis pas travesti. Après est-ce qu’on est travesti d’une certaine manière dès qu’on devient drôle ? Est-ce qu’on se travestit d’humour ? Je ne sais pas, mais c’est une belle formule.

Pour reprendre ce qui m’intéresse dans cette citation et qui résonne avec le spectacle, c’est à mon sens cette idée de transformer le stigmate ou l’expérience de mépris en une créature gouailleuse. Est-ce que ça te parle plus comme ça ? 

Alors oui l’humour est aussi mon arme, dans le sens où j’arrive à détendre le gens. Parce que le genre peut faire rire, dans le sens où comme c’est un sujet très profond ça peut faire sortir les gens des rails. Dès qu’on leur parle de leur sexualité ou de leur genre, les gens se rétractent. Ils ont peur, ils se sentent vulnérables quand on parle de ces sujets. Ça peut les rendre inconfortables donc c’est pour ça que le rire devient une arme.

Que ce soit pour une nuit ou une éternité, l’amour existe et c’est ça qui est beau.

Romain Brau
© Nathan Selighini


Dans le texte de « Suzanne » il y a cette phrase très forte qui est « L’amour est mon empire romain ». A quel point cette place de l’amour est déterminée par ton expérience de solitude jeune ?

L’amour je l’ai connu très tard. L’amour des parents je l’ai compris dans les yeux de ma mère parce que je l’ai sentie présente à des moments où j’étais triste enfant. Ma mère me faisait rêver mais mon père me faisait peur parce que j’étais très mauvais à l’école et qu’il me disait tout le temps que ça n’allait pas, que j’étais nul. Mon grand-père qui était boxeur me demandait si j’étais dur ou mou, je lui répondais que j’étais mou et fier de l’être mais il ne comprenait pas et il voulait faire de moi un « vrai mec ». Moi j’étais une petite fille dans le corps d’un petit garçon et ça ne marchait pas. C’est quand j’ai commencé à me transformer à l’adolescence que je suis sorti de ma coquille et que j’ai été repéré par des agences de mannequin, que j’ai commencé à plaire. Là j’ai vu ma sexualisation. 

Je chante « l’amour est mon empire romain » parce qu’aujourd’hui j’ai transformé le mal-être de l’enfant, la sexualisation de l’ado, en l’homme et la femme forte que je suis. En acceptant mes deux genres, j’ai compris qui j’étais et j’ai réussi à m’aimer, donc évidemment j’ai réussi à aimer d’autres personnes. Ça a vraiment été la base pour moi, de me lâcher dans le cœur des autres, d’y croire. Que ce soit pour une nuit ou une éternité, l’amour existe et c’est ça qui est beau. Le jour où j’ai compris ça, c’est devenu mon « empire romain ». C’est vraiment quelque chose d’antique, de solide, de rêveur, plein de mythes et de folies. Ça m’a rendu extrêmement fort de croire en l’amour.

Peux-tu me parler de ton travail avec le photographe Nathan Selighini sur la pochette du single ? 

J’ai voulu travailler avec Nathan parce que depuis toujours j’adore découvrir des gens qui commencent un art. Quand on commence on est plein de maladresses, d’efforts et d’artistique. Ce sont généralement des endroits très forts et fragiles, c’est une époque qu’on regarde toujours en se rappelant combien on a été créatif·ve. Aussi, je suis bien plus vieux que Nathan qui n’a que 25 ans et je trouvais ça intéressant le côté grand frère – petit frère. 

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J’avais envie de montrer que ce qu’on vit quand on est enfant – la société qui peut nous agresser par des mots ou des regards – existe toujours à 40 ans. Quand on est drag queen, travesti ou juste très efféminé, au moment où on sort dans la rue et on se soumet au regard des autres, on se met en danger. 

Romain Brau

Pourquoi est-ce qu’on voit des bras d’hommes poilus sur cette image ? 

Je lui ai demandé cette image avec des bras très allongés parce que « Suzanne » c’était les menaces dans la cour de l’école et ces menaces existent encore. On peut marcher dans la rue, avoir envie de rentrer à pied le soir pour ne pas payer un taxi 30 balles ou juste pour prendre le temps et on voit ces gens qui nous croisent et on se sent faibles… Une porte qui s’ouvre, une voiture qui passe ou une insulte et on sent que la soirée pourrait mal tourner. 

Comme la menace existe toujours j’avais envie d’être mis en scène comme un petit écolier dans sa chemise blanche avec la raie sur le côté et des crans très raffinés. J’avais envie de ces mains un peu velues pour symboliser la masculinité toxique. Une main me maquille parce que c’est elle qui autorise quand est-ce que je peux le faire, alors que non c’est à moi de décider. La main qui ouvre ma chemise, c’est la main d’un désir mais qui est violent… J’avais envie de montrer que ce qu’on vit quand on est enfant – la société qui peut nous agresser par des mots ou des regards – existe toujours à 40 ans. Quand on est drag queen, travesti ou juste très efféminé, au moment où on sort dans la rue et on se soumet au regard des autres, on se met en danger. 

© Nathan Selighini

Qu’est-ce que tu peux dire de ton travail sur l’album ? « Suzanne » est un premier titre très solennel, qu’est-ce qu’on va retrouver comme intention dans les rythmes ? 

C’est drôle parce qu’en commençant ce spectacle on n’avait pas du tout l’idée de faire un album. Puis on a vu ce que ça créait dans l’audience et on a commencé à nous demander quand est-ce que vous sortez l’album du spectacle ? Un rêve ! Mais certaines chansons appartiennent au spectacle et n’appartiennent pas à un album. On a commencé par « Suzanne » parce que c’est la genèse, et on a fait quelque chose de voluptueux un peu comme une musique de film. J’avais envie de rendre hommage au cinéma. Il y a encore plein de musiques qui doivent être écrites. Je travaille avec des artistes comme Dorian qui écrit pour Mika, Etienne Daho, Sylvie Vartan par exemple. Il m’a fait une très belle chanson qui s’appelle « Fais moi un dessert » qui parle d’érotisme et de cuisine… On s’est vraiment amusés, il y aura entre 12 et 13 titres dont 2 ou 3 du spectacle. Il y aura « Brûlez-moi », « Danse moi » et peut-être « Dieu like moi » on va voir. C’est une autre énergie en tout cas, plus festive, plus chaude, plus actuelle.


« Romain Brau » au Petit Palais des Glaces tous les vendredis et samedis soirs jusqu’au 30 décembre.

Image à la Une : © Nathan Seleghini

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