Le moins que l’on puisse dire c’est que 120 Battements par minute est ce qu’on appelle un film à la hauteur de son titre. Beau, saisissant, musical, mais aussi corporel, sensuel et politique, le troisième long-métrage du cinéaste français Robin Campillo a fait sensation au dernier Festival de Cannes où il a remporté le Grand Prix et le Prix Fipresci. Depuis, nous avons eu la chance d’assister à la projection du film au dernier Festival du Film de Cabourg où il a également raflé le Prix du Public et reçu – à juste titre – de longs applaudissements d’une salle fraîchement émue. En deux heures vingt, on suit le combat acharné des militants d’Act Up-Paris dans les années quatre-vingt-dix pour lutter contre l’indifférence générale à la question du Sida. Porté par une distribution remarquable et une bande originale envoûtante, c’est un film fort dont on sort difficilement indemne.
Du collectif au singulier, le film commence de manière chorale pour se concentrer peu à peu, tel un lent glissement, vers des trajets individuels. Les personnages rayonnent par leur énergie verbale et physique, leur combat pour s’aimer librement, pour exister, mais aussi pour danser nous semble toujours contemporain aujourd’hui. Scénariste, réalisateur et monteur de tous ses long-métrages, nous avons rencontré Robin Campillo afin d’en apprendre plus sur ses intentions et la fabrication de cette œuvre qui brille par son intelligence, son imagination et sa poésie.
Manifesto XXI : Pour commencer, pouvez-vous nous parler de la genèse du film ? Cela fait-il longtemps que vous aviez envie de réaliser un film sur Act Up-Paris ?
Robin Campillo : Au départ, ça fait très longtemps. Depuis les années quatre-vingt-dix, ça me trottait dans la tête de faire un film sur le Sida. En France, le Sida est apparu dans les années 1982, 1983, moi je suis rentré à l’IDHEC, dans l’école de cinéma en 1983. À ce moment-là l’épidémie m’a complètement bloqué, non seulement je n’arrivais pas à trouver ce que je pouvais faire de l’épidémie en film, mais en plus, cela m’empêchait de réfléchir vraiment au cinéma. Au début des années quatre-vingt-dix, je rentre à Act Up, je deviens un activiste. À l’époque je travaillais à la télévision en tant que monteur, pour un job alimentaire, et quand je suis rentré dans Act Up c’était un moment assez joyeux même si c’était un moment dur de l’épidémie.
C’est récemment que je me suis aperçu que je voulais faire un film là-dessus et que je tournais autour de cela depuis plusieurs années. Au lieu de faire un film sur les années quatre-vingt, un film triste où l’on subissait l’épidémie, j’avais plutôt envie de faire un film sur Act Up et le moment où l’on a pris les choses en mains et où l’on a appris à affronter de manière subversive. C’est comme ça que c’est né, cela fait longtemps que ça traînait : j’avais écrit un scénario qui était proche, mais je ne trouvais pas encore les mots.
Pouvez-vous nous parler un peu du processus de création du scénario ? L’écriture a été plutôt fluide et rapide ou longue et fastidieuse ?
Je trouve qu’écrire un scénario c’est toujours long et fastidieux. (Rires) C’est ma difficulté à moi, de rédiger. Autant je me fais facilement des films quand je marche dans la rue, autant rédiger, écrire un film, c’est toujours très pénible, comme j’imagine que cela peut être pour n’importe qui. J’avais une structure du film, mais je devais travailler sur cet équilibre entre comment faire avancer la fiction, avec le devenir des deux personnages principaux, et dévoiler peu à peu les clous du film. Et en parallèle, chaque scène a son foisonnement personnel, avec des éléments de l’époque, historiques et documentés. Il fallait qu’il y ait des personnages, et beaucoup, et voir la manière dont ils fonctionnent ensemble, ainsi que les différents enjeux et tensions qu’il y a entre eux, tout cela a demandé un travail assez précis et assez long.
Je pensais aussi au montage, comment on passait d’une scène à une autre ; j’avais envie que la trame soit les réunions, qu’elles structurent le film comme un cerveau, et que les images des actions soient des images qui parasitent cette réunion. J’ai essayé d’être libre et en même temps de créer des structures qui bougent sans arrêt, qui se métamorphosent ; et ça, ça prend du temps à construire. La difficulté n’est pas que d’écrire, mais aussi de penser à tous les aspects esthétiques.
Mis à part quelques objets surannés comme les télévisions cathodiques, le film demeure extrêmement contemporain : comment avez-vous conçu l’actualisation du sujet ?
En général dans les films je n’aime pas trop le fétichisme des vêtements et des objets, quelle que soit la période dont on parle ; j’ai toujours tendance à vouloir faire du présent. Je trouve que le cinéma c’est un art du présent, je n’ai pas envie que les spectateurs se disent : « ah oui à cette époque-là, on portait les pantalons de cette taille… ». Ça ne m’intéressait pas, je préfère trouver un chemin entre autrefois et aujourd’hui, qui fait que les gens se reconnaissent, se projettent dans cette époque, sans que cela soit pittoresque. Par contre, le fait que je montre le fax, par exemple, était pour situer le film avant internet, c’était un élément très important pour comprendre l’époque. Ce n’était pas un détail, comme la question des vêtements, c’était là-dessus que j’avais envie de focaliser la différence entre aujourd’hui et maintenant.
Le film raconte une époque où l’on n’avait pas d’autre choix que de se rencontrer en chair et en os et où les gens ne s’envoyaient pas d’interminables posts sur Facebook où ils n’arrivent pas à régler leur compte. Je me méfie toujours des objets fétichisés de l’époque comme les trains, les fax ; il ne faut pas que cela soit un écran, que cela sorte le spectateur du film, du jeu des acteurs, de la métamorphose des personnages, qui moi me paraissent plus intéressants.
C’était important pour vous d’inscrire des véritables vidéos d’archives dans le film ?
C’est toujours un peu un risque de mettre des archives et que les gens comparent au reste du film. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de très fort émotionnellement, à ce qu’au moment où un personnage meurt dans le film, il soit rattaché aux images du passé, et qu’à un moment du film, on se rappelle que tout ce qu’on montre, là, avait un rapport avec la réalité. Même si on les voit très peu, même si c’est un peu des revenants, ils sont flous, ils sont dans la nuit ; pour moi c’était très important de convoquer ces morts au moment de la mort de Jérémie, et contrairement à ce que les autres pourraient penser pour moi cela ne rend pas le film plus réaliste, mais plus lyrique. Comme ce sont des documents qui passent à la télévision, on voit bien que ce sont des images d’autrefois, pas des vidéos, mais de la betacam, ces vidéo sont rattachées à une page de l’Histoire de France de 1848 où il y avait une identification de groupe, que je trouvais assez belle.
Le film est rythmé par les réunions hebdomadaires d’Act Up-Paris : comment avez-vous composé et capté l’énergie du collectif lors de ces scènes de groupe ?
D’abord, j’ai cherché des acteurs énergiques, des gens très vivants. Je voulais donner le sentiment que c’était des jeunes qui sortaient de boite, que chacun avait une force, une énergie propre. Lors du casting, le premier travail était de trouver des personnalités fortes : on a fait des répétitions pendant trois jours pour voir comment le texte leur convenait, et sinon je réécris le texte pour qu’il s’adapte à eux d’une certaine manière. Après, sur le tournage, la plupart des scènes ont été tournées en continuité : je ne fais pas d’interruption pour changer de cadre, je tourne à trois caméras. Dès qu’on arrive le matin, on fait une première prise très vite, trente minutes après qu’on soit installés ; même s’il y a la lumière et pleins de détails qui ne sont pas terminés, on tourne très vite pour que les gens soient dans cette énergie de la scène et qu’ils ne réfléchissent pas trop à ce qu’ils doivent faire, pour que l’on ne perde pas trop de temps.
Au fur et à mesure de la prise, on améliore la place des caméras, on change de vêtements ; cela permet d’être toujours dans une énergie, car ce qui tue le cinéma ce sont les moments d’attente entre les prises, où les gens ne savent pas quoi faire etc. Et ça, j’essaie de l’éviter, parce que c’est très important que les gens ne perdent pas le contact avec l’affect. Quand je sens qu’il y a des choses moins bien, je refais un tel ou tel autre moment de la scène. En général je garde une certaine continuité et je laisse les gens libres, je leur dis où ils doivent aller, mais je ne mets pas d’indication au sol. Pour moi, le plus important c’est que les gens aient un peu de liberté.
Tourner à trois caméras n’a pas été un dispositif trop lourd pour ces séquences de groupes, où il y avait beaucoup de figurants ?
Sincèrement si je n’avais pas eu trois caméras, je n’aurais pas tourné le film. (Rires) Il y avait aussi trois perchmans, car dans un lieu aussi vaste, le perchman ne pouvait pas changer d’un personnage à un autre rapidement, donc ils se partageaient les rôles. Après ce qui est lourd, c’est d’abord financièrement, car trois caméras nécessitent trois premiers assistants, et tout devient très cher car on multiplie les postes. Par contre ce sont des tournages où il y a beaucoup de personnes, et quand on est réalisateur, c’est différent d’avoir vingt personnes sur un tournage que cinquante ou cent.
Là, avec les figurants, on arrive vite à cent-cinquante personnes, c’est assez difficile. Mais en même temps cela permet de tourner les scènes dans la continuité, sans interruption et de voir tout de suite la vie qui se mettait en place. Je voyais comment on pouvait passer d’une caméra à une autre, à quel moment c’était intéressant. Cela permettait aussi de structurer l’échelle, et après, on changeait les caméras de position pour obtenir d’autres effets de la scène que je voulais mettre en relief. Voilà en gros comment ça se passait.
C’est un film très dialogué, avec une certaine nécessité de faire entendre et de faire émerger les mots. Comment avez-vous travaillé à filmer la circulation de la parole ?
Je ne tenais pas à représenter les personnages de l’époque, mais leurs musiques, leurs voix. Parce que ce n’est pas un groupe comme les autres, ce n’est pas l’Assemblée nationale, tout simplement parce que c’était des gays et des lesbiennes, et qu’il y avait une manière de parler. Je voulais faire ressortir toutes les choses qui se passaient dans les discussions, c’est-à-dire la mauvaise foi, l’autodérision, la colère, l’inquiétude, la peur. Moi ce que j’ai trouvé extraordinaire c’est que dans une réunion, si la parole est si présente, elle est aussi parasitée par des chose plus intimes ou des ressentiments, comme les tensions qu’on ressent tout en ignorant les tenants et les aboutissants.
Comme je n’aime pas tout expliquer aux spectateurs, j’ai trouvé que cela serait intéressant que l’on perçoive ces moments de tension, de différent entre les personnages, et quand ils se disputent, on peut ressentir l’intimité qui rejaillit dans la scène. Pour moi, c’était émouvant de mettre en scène cette parole et de donner l’impression que l’on était plus intelligents à plusieurs. Comme si le discours se formait au fur et à mesure de la prise de parole, et comme si c’était une pièce d’archive qu’on manipulait et qui prenait forme de plus en plus. C’est cette métamorphose du discours au fur et à mesure de la prise de parole qui m’intéressait.
Parfois, l’humour dans ces scènes-là permet de désamorcer la tension dont vous parlez.
Ce qui m’a plu, c’est que cet humour passe principalement par les filles. J’étais content que Aloïse Sauvage qui fait Eva et Adèle Haenel qui fait Sophie amènent cette légèreté-là, qu’elles soient dans l’action ; le personnage d’Adèle s’occupe des relations publiques etc., et en même temps, elle le fait avec une espèce d’humour et une certaine légèreté, car Adèle a un côté tonitruant que j’aime beaucoup. Il faut ajouter que Act Up à l’époque était un groupe très joyeux : même si c’était très dur, il faut être honnête, les gens s’amusaient beaucoup à Act Up, et heureusement.
L’autodérision venait du fait qu’on savait aussi qu’on était de mauvaise foi sur certains sujets, qu’on en faisait trop. Il faut être honnête et reconnaître qu’on était aussi ça. Cela n’enlève rien, à mon sens, du discours et du débat qu’il y a eu à l’époque, au contraire. Ce qui se passe dans le film c’est ce qui se passait à l’époque, on ne pouvait pas être dans la tristesse et tout le temps dans la peur de cette épidémie, il fallait qu’on aie autre chose qui nous rassemble. J’ai l’impression que c’est la même chose pour le spectateur dans une salle de cinéma. On ne peut pas toujours être dans quelque chose de dramatique, il faut être aussi dans quelque chose de joyeux, de presque glamour.
J’imagine que vous n’aviez pas dirigé les acteurs de la même manière lors des scènes plus intimistes, notamment celles entre Nahuel Pérez Biscayart et Arnaud Valois ?
Cela dépend de quel moment du film. J’ai l’impression que dans l’intime on n’est pas le même personnage que dans le public. D’une certaine manière, je pense que quand on est en boite de nuit, on ne se perçoit pas les uns les autres de la même manière que quand on est dans la rue. Ce sont des perceptions des uns et des autres qui sont différentes selon l’échelle, et sur l’échelle d’un film, il y a ce côté où les gens se mettent littéralement à nu. Cela m’amuse beaucoup que ceux qui avaient un discours très politique dans les réunions etc. – par exemple Nathan qui ressort le même discours au lit, cette naïveté-là fait rire Sean qui lui dit : « là pour l’instant on baise ! »… –, que d’un seul coup, il suffit que celui qui est très militant, le radical du groupe, soit passé dans un lit pour que son discours ne vale plus rien. Cela m’amuse de voir que les gens ne sont pas homogènes, ils sont contradictoires et pas dans la même posture perpétuellement.
Pour moi, cela a à voir avec comment on traite les personnages d’un film : quand on écrit un scénario, on a tendance à rechercher la cohérence dans les personnages, alors que moi je préfère la rupture (rires), car cela me paraît plus réaliste. Cela me rappelle ce que je suis et ce que sont tous les gens, c’est-à-dire que nous ne sommes pas les mêmes aux différents moment de la journée, selon si on en groupe, seul, dans un lit etc., on n’est pas les mêmes quand on se réveille le matin, quand on est sous drogue, quand on tombe amoureux. Ce sont des mutations que j’essaie de montrer.
Vous avez fait beaucoup de répétitions avec les deux acteurs lors des scènes plus intimistes ?
Oui, je fais faire des répétitions torse nu, pour pas qu’ils soient gênés tout de suite par la nudité ; je veux qu’il y aie contact avec leur peau, mais je ne veux pas qu’ils soient tout de suite dans un truc embarrassant, je les mets à l’aise, et surtout je leur montre que la scène est une scène à jouer, que ce n’est pas juste le moment où il y a une tension érotique et où ils doivent se donner à fond. C’est une scène où ils se parlent beaucoup, où il se passe d’autres choses qu’uniquement les rapports sexuels. En même temps, le rapport sexuel est quand même là, mais il n’est pas très performant ; ça m’intéressait de montrer des côtés un peu foireux de ce genre de scène. Et à partir du moment où les acteurs comprennent que je ne vais pas faire un film pornographique (rires), qu’on ne verra pas grand-chose, mais qu’il faut jouer la pénétration etc., cela demande beaucoup d’investissement. Ils comprennent qu’il y a plein d’enjeux dans la scène, qu’il faut faire passer des sentiments très particuliers, très contrastés, et d’un seul coup, ils sont beaucoup moins inquiets.
Il faut faire attention que la scène ne soit pas purement érotique ou pornographique, que cela ne soit pas juste une performance sexuelle, ni un moment un peu guimauve où ils se font des caresses interminables ; il faut être dans un entre-deux où l’un et l’autre se considèrent, se voient vraiment comme s’ils se voyaient dans une autre scène, qu’ils ne soient pas dans une intimité qui serait un autre monde. C’est un dosage assez compliqué, mais que je trouve passionnant à trouver.
Vous être scénariste, réalisateur et monteur sur tous vos films. Le montage de 120 Battements par minute est à la fois réaliste et onirique, parfois il brasse des souvenirs, des flash-back dans la continuité du présent (que cela soit à travers le son ou l’image) : avez-vous donc une petite idée du montage dès l’écriture ?
Oui, complètement, et sur ce film-là encore plus que sur le précédent. Je pense en termes d’articulation, notamment lors des scènes d’avant qui parasitent ceux d’après, comme quand on passe de la scène de la boite à la scène érotique dans le lit. J’adore l’idée qu’un film soit comme un labyrinthe et qu’il perde le spectateur, qu’on se demande comment on est passé d’un endroit à un autre, comme s’il y avait une sorte d’arnaque dans le récit. En plus on a tellement habitude en France de prendre le spectateur pour un enfant qu’il faut prendre par la main pour l’amener d’un point A à un point B ; pour moi c’est hyper agaçant. Il faut admettre que c’est bien que les gens ne comprennent pas tout, que cela crée du trouble et pas de la certitude. Je réfléchis beaucoup au montage car je sais où je veux aller, mais je reste ouvert parce que sur le tournage je me permets plein de choses comme je tourne à plusieurs caméras ; et donc après je vois ce que ça donne au montage.
Le tube de Bronski Beat, Smalltown Boy, est un hymne emblématique des LGBTQ, à quel moment du processus de la création du film vous avez songé à inclure cette chanson ?
J’ai pensé d’une manière assez simple. C’est historique, Jimmy Somerville est un grand ami de Didier Lestrade, qui a fondé Act Up-Paris, et je crois même qu’il a donné de l’argent pour créer le groupe. Il a fait un concert en 1992 au Cirque d’Hiver à Paris, au profit d’Act Up, et moi je suis allé à ce concert, c’était extraordinaire. Quand il a chanté Smalltown Boy, il avait un effet d’élan de groupe qui était très fort. Ce que je trouvais beau, c’est que cette chanson soit sortie au début de l’épidémie, en 1984 ; c’était un hymne assez joyeux sur l’homosexualité, et parallèlement, ça arrivait à un moment où l’épidémie commençait à tuer.
Je suis arrivé à Act Up dix ans après le début de cette épidémie. Au départ, je voulais mettre en scène le concert lui-même, j’ai essayé de contacter Jimmy Somerville pour qu’il accepte de chanter sur scène, il n’a pas voulu, il ne voulait pas faire du cinéma, peut-être qu’il se trouvait trop vieux, alors je n’ai pas insisté. Par contre, il nous a donné accès aux bandes multipistes d’origine ; ce qui a permis d’une part à mon compositeur, Arnaud Rebotini, de faire un remix, et d’autre part, j’ai pu m’amuser à faire en sorte que toute la musique s’en aille pour qu’il ne reste plus que sa voix, comme s’il était là, comme si lui aussi s’incarnait dans le film, comme si c’était un fantôme qui devenait très présent. Pour rappel, c’est une personne homosexuelle, qui a eu des amis qui sont morts du Sida. Cela me touchait profondément d’utiliser cette chanson qui représente un ami, mais aussi une personne qui a toujours été forte dans la communauté et qui s’est investie physiquement dans cette lutte.
La musique du film est donc signée Arnaud Rebotini, également auteur de la bande originale dans votre précédant film Eastern Boys. Comment s’est passée votre collaboration cette fois-ci ?
Très bien. Ce qui m’a plu chez Arnaud, c’est que c’est un compositeur qui a une large palette de composition, il a autant fait de la techno, house, électro, que des trucs rock, et en plus il a été DJ. Il connait très bien cette époque car il a commencé en 1993, 1994, il a des synthés de l’époque chez lui, donc à un moment donné c’était très difficile de pas faire avec lui. (Rires) Contrairement à moi, il a une grande conscience des mouvements musicaux. Il me disait parfois : « en 1992 on n’écoutait pas encore ça, mais plutôt en 1995 », moi j’avoue j’étais un peu paumé. (Rires) Il avait une vision très fine de tout cela et je lui faisais confiance. Je lui ai demandé de composer le thème principal neuf mois avant le début du tournage car j’en avais besoin, notamment à la scène finale, où les acteurs ont dansé sur le véritable thème. Cela leur a permis de se projeter très fort dans le film.
Les scènes de Gay Pride et de danses ont une place importante dans le film, elles semblent ritualisées, hors du temps, presque cathartiques… pouvez-vous nous dire deux mots là-dessus ?
Je crois que vous avez à peu près tout dit ! (Rires) C’est vrai que cela semble hors du temps. On peut fantasmer là-dessus, que les clubs sont une sorte d’antichambre de l’éternité, ou quelque chose comme ça, et c’est extrêmement naïf. Les gens ressentent que c’est un lieu qui protège tout en étant un peu mélancolique. Je ne trouve pas que les boites de nuit sont un lieu 100% joyeux, je trouve qu’il y a vraiment un plaisir à perdre ses repères, et en même temps, dans une boite, on a l’impression de tomber amoureux très vite, on peut fantasmer très vite, il y a un côté où on est tous un peu des fantômes. Et ça me rappelle un truc que j’ai essayé de montrer à la fin du film, comme s’ils étaient entourés de phénomènes lumineux qui apparaissaient et disparaissaient comme des étoiles, je trouvais qu’il y avait un côté merveilleux.
Les scènes de clubbing sont différentes au fur et à mesure du film. Une de ces scènes est joyeuse quand Nathan arrive dans le groupe, et cette scène joyeuse se termine avec l’apparition du virus qui débouche sur un moment métaphorique avec les poussières, les particules dans l’air. La seconde, c’est après qu’il soit tombé amoureux, la scène est très colorée et joyeuse. La troisième c’est quand Sean commence à tomber malade et où on voit qu’il ne prend pas beaucoup de plaisir, et il y a celle où Nathan se retrouve seul en écoutant Jimmy Somerville, qui amène une grande mélancolie ainsi que le fleuve ensanglanté. La dernière est un peu une danse de mort. Vous dites que c’est cathartique : oui, il y a presque quelque chose de gospel dans cette danse finale. À un moment donné je ne voulais plus qu’entendre le bruit des corps seulement et la pulsation de la musique.
Le titre du film fait référence au tempo idéal pour danser ?
Oui ! (Rires) C’est le tempo de la house music, c’est 123 ou 125 je crois, je ne connais pas trop. En même temps c’est aussi le battement de cœur quand on tombe amoureux – on ne tombe pas forcément à cent-vingt mais dans tous les cas, il y a l’impression que les choses s’accélèrent, qu’il faut aller vite, qu’on est un peu à bout de souffle. Ce sont les sentiments que je voulais retrouver dans cette pulsation de la house qu’on écoutait beaucoup à l’époque, qui est aussi pour moi un peu la musique originale de cette épidémie, avec un truc à la fois joyeux et inquiet. 120 battements par minute, cela évoque des choses aussi merveilleuses que tomber amoureux et des choses aussi terribles qu’avoir peur. Cette expression recouvre tout cela.
Date de sortie 23 août 2017