Les Rencontres photographiques d’Arles ont encore une fois créé l’enthousiasme en proposant deux grosses têtes d’affiche : Annie Leibovitz, la photographe chérie des stars, et la pétillante actrice Audrey Tautou, dans une exposition introspective. Au-delà des attractions, Arles est aussi le moment où sont révélées les stars émergentes de la photographie : focus sur cinq talents prometteurs.
Gohar Dashti, artiste originaire d’Iran, fait état de la situation critique de son pays en mettant en scène l’intimité d’un couple dans un décor de guerre et de désolation. Cette photographe diplômée de l’université d’arts appliqués de Téhéran en 2005 travaille à partir de sa relation personnelle avec l’actualité et tente de montrer comment la grande histoire impacte le parcours individuel de chacun. C’est en Occident qu’elle trouve la reconnaissance en décrochant des prix et des expositions aux États-Unis, en Allemagne et en Grande-Bretagne.
Sa participation à l’exposition « Iran, année 38 » fait état de cette jeune génération iranienne de la classe moyenne, engluée dans un contexte politique d’un autre âge, qui court après un idéal de vie de couple moderne toujours hors de portée.
Iran, année 38, à l’église Sainte-Anne jusqu’au 27 août.
L’exposition « La Vache et l’Orchidée », consacrée aux photographies vernaculaires de Colombie, n’a pas cherché à montrer la réalité sociale du pays mais à dévoiler une partie de sa beauté, à la fois explosive et empreinte de sensualité.
La sélection était accompagnée des œuvres de l’artiste-photographe Guadalupe Ruiz, qui ne détonnaient pas du tout dans ce portrait de la Colombie populaire. Les femmes de Guadalupe sont fières, splendides, mais toujours avec un air résigné face à un destin rarement clément dans ce pays très touché par la violence.
Guadalupe Ruiz vit en Suisse depuis 1996, où elle a décroché un diplôme de l’École cantonale d’art de Lausanne. Elle a déjà reçu deux prix par la ville de Lausanne et continue son travail photographique sur son pays d’origine.
La Vache et l’Orchidée, à Croisière jusqu’au 24 septembre.
Le jeune photographe français David Fathi signe une des œuvres les plus touchantes et délicates avec Le Dernier Itinéraire de la Femme Immortelle. Il y retrace l’histoire d’Henrietta Lacks, une femme afro-américaine décédée d’un cancer des ovaires en 1951. Ses cellules avaient été recueillies sans son consentement et ont été les premières qui ont résisté à la culture in vitro, ce qui a permis, entre autres, le développement de plusieurs vaccins.
Le décès d’Henrietta a permis une avancée formidable de la médecine, mais sans jamais qu’elle ou sa famille n’obtiennent de reconnaissance. David Fathi a voulu reconstituer son dernier trajet, de l’hôpital au cimetière, mais prend rapidement conscience de la vacuité de son statut d’artiste blanc face à l’injustice subie par Henrietta. Une belle façon de revenir sur un épisode peu connu de l’histoire.
David Fathi a gardé son attachement pour les sciences de sa formation en mathématiques. Ses œuvres racontent toutes des histoires qui pourraient être des œuvres de fiction mais qui sont pourtant bien réelles : il a déjà reçu le Prix Levallois pour une exposition sur des histoires improbables autour des tests nucléaires.
Le Dernier Itinéraire de la Femme Immortelle, à Croisière jusqu’au 24 septembre.
Une pratique semble être de plus en plus à la mode dans le cinéma français. Celle du : « Je suis quelqu’un de simple et généreux, je vais donc partir sur les routes et rencontrer les vrais Français de la France profonde ». Au final, on a surtout l’impression de voir une mise en scène de l’altruisme des stars avec des gros plans sur leurs regards emplis de compassion pour la rude vie rurale (à voir : le sketch – excellent – du Palmashow sur le sujet).
Céline Levain met aussi en scène la France profonde : mais là ou certains ne voient que leurs reflets inversés, elle y voit la beauté et la montre dans des compositions qui rappellent les tableaux de la Renaissance.
Ses escapades à Cognac, dans un match de catch amateur ou à l’abbaye Sainte-Marie de Maumont, montrent des quotidiens, parfois simples, parfois flamboyants, mais qui sonnent toujours juste. Après avoir réalisé des séries de portraits un peu partout en France, Céline Levain est actuellement en résidence artistique en Charente.
Workshops in progress, à l’Atelier de la Mécanique jusqu’au 24 septembre.
Silin Liu
Silin Liu est sans doute une des rares personnes à afficher publiquement sa reconnaissance à Luc Besson. En effet, c’est la scène finale du film Lucy, avec Scarlett Johansson, qui lui a inspiré la phrase directrice de son œuvre : « I’m everywhere ». Comme l’héroïne bessonesque, Silin Lui se défragmente et prend place aux côtés des stars à différents moment de l’histoire.
Cette jeune pékinoise de 27 ans réfléchit à ce qui obsède la plupart des millennials : Internet et l’impact des images qui y circulent. Comment créer des images qui impactent ? Comment se construire sa propre image ? Comment exposer sa vie quand toutes les vies deviennent des œuvres ?
Silin Lui tente de répondre à ces interrogations à travers des expositions à la limite de la performance. Dans Appme, ses photos étaient exposées dans des téléphones utilisables par les spectateurs. Pour The Artist Is Online, sorte de version moderne de The Artist Is Present de Marina Abramovic, elle se filme en direct sur Internet et invite ensuite des inconnus à reprendre son compte et à faire de même. La réponse de Silin Lui aux angoisses technologiques n’est pas de se terrer mais au contraire de participer et de prendre en main ce nouveau médium :
« À une époque de saturation, par quoi peut-on encore être bouleversé ? Par les images pornographiques ? Je plaisante. Je crois qu’il est aujourd’hui difficile d’être bouleversé par une seule image. Mais prendre des photos pourrait encore nous stimuler… »
Extrait d’un entretien avec L’Express du 3 juillet 2017
I’m everywhere, à l’Atelier de la Mécanique jusqu’au 24 septembre.