L’enseigne est discrète, le nom qui y figure tend pourtant à se faire connaître. Le showroom, précieux écrin au cœur de Beyrouth, est une subtile alliance de modernité conservant un esprit oriental. C’est ici que s’est établie Sandra Mansour. Exigeante, son parcours est à la mesure de son projet : brillant. Après avoir étudié le business puis les Beaux-Arts en Suisse, c’est au Liban, chez Elie Saab, qu’elle découvre la création avant de terminer sa formation en France : elle est diplômée de l’Istituto Marangoni. Sandra Mansour c’est l’oriental sans fastes, la mesure exacte entre l’opulence et la pudeur, des créations somptueuses que s’arrachent les blogueuses du monde entier, de Linda Tol à Leaf Greener.
Fraîchement revenue de Paris où elle présentait ses créations, on craignait qu’elle ne soit overbookée et peu encline à répondre à nos questions, elle se révèlera fraîche et spontanée. La rencontre est sincère, la jeune femme nous dévoile ses inspirations et détaille certaines de ses pièces. Plus qu’une interview, Sandra Mansour nous offre une leçon de mode.
MXXI – Quel est l’esprit de la marque Sandra Mansour ?
Je ne crois pas avoir d’ADN réellement établi, pas encore du moins. Disons qu’il se construit au fur et à mesure que mes collections se succèdent. Le projet de la marque est de marier l’héritage libanais avec les influences occidentales, mais pas que. Les voyages et l’art m’influencent aussi beaucoup.
MXXI – Parle-nous de ta relation avec la mode…
J’ai toujours été très exigeante concernant mes vêtements, que je choisissais d’ailleurs avec attention. C’est ma mère qui m’a transmis sa passion pour le choix des matières. Le cuir, les cachemires, mais aussi une fascination pour la texture et la qualité.
MXXI – Comment es-tu passée des Beaux-Arts à la création ?
Longtemps j’ai été convaincue que je deviendrai peintre, en fait je dessinais tout le temps ! Après deux ans d’études de business puis deux ans aux Beaux-Arts à Genève, j’ai réalisé un stage chez Elie Saab.
Mon background c’est la peinture avant le stylisme. Chez Elie Saab j’ai découvert la possibilité de donner de la matière à mes créations, en faire des imprimés, des broderies, et pouvoir le porter. Cela m’a donné envie d’en apprendre davantage sur l’aspect technique de la création, comment rendre portables ces créations.
MXXI – C’est cette envie de te perfectionner qui t’a menée à intégrer l’Istituto Marangoni ?
Je crois beaucoup au destin, que les gens entrent dans ta vie pour une raison particulière et te montrent ton chemin. Un ami m’a parlé du programme intensif d’un an dans cette école, cela m’a poussé à postuler le lendemain même, et ce à trois semaines de la rentrée !
MXXI – Ta passion pour la peinture garde une place importante dans ton cheminement créatif ?
Bien sûr ! À l’origine, je peins mes motifs. Retravaillés grâce à des logiciels, ils se transforment alors en imprimés ou en broderies. J’aime raconter des histoires avec ce que je peins. Sur la collection F/W 2015 je n’avais pas envie de fleurs romantiques, je les voulais évocatrices d’une histoire. Cette robe bleue brodée de fleurs rappelle les Perses.
La peinture influence aussi mon rapport aux tissus et le travail sur l’essence des couleurs. Je collabore avec un maître teinteur, pour chaque collection il faut environ une semaine afin de réaliser des tests sur la trentaine de tissus sélectionnés. En fonction du tissu et de l’absorption les teintes varient. Pour cela on part d’une palette d’une cinquantaine de couleurs.
MXXI – Tu es issue d’un parcours très divers ; la Suisse, le Liban, la France… Pourquoi as-tu choisi de débuter à Beyrouth ?
Il est vrai que j’ai passé la moitié de ma vie à Genève, en vérité j’ai appris l’arabe très tard, lorsque j’avais 12 ans et que je suis venue au Liban. Après mon bac je suis retournée en Suisse, toutefois c’est ici, à Beyrouth, que j’ai réellement fait le choix de me lancer dans la mode. Pour moi, il était essentiel d’être reconnue comme Libanaise avant tout. Si ça marche, je verrai cela comme un bel exemple pour beaucoup de jeunes Libanais, mais aussi pour les femmes.
MXXI – D’où proviennent tes influences ?
En dehors de l’héritage libanais et de ma volonté de conjuguer ces éléments traditionnels avec les inspirations occidentales, je trouve mon inspiration dans les voyages. À l’occasion de la sortie de la collection F/W nous avions ouvert un Pop Up store en Turquie. J’en ai profité pour visiter Istanbul pendant quelques jours et j’ai adoré cet héritage ottoman et l’omniprésence de la broderie, la coupe des vêtements. Dans ma collection été, on le ressent beaucoup dans le finishing de certaines créations. Sur ce gilet il y a un travail de broderie, et des éléments typiques de l’héritage ottoman, les ouvertures et leurs motifs fantaisie, sur les côtés notamment, apportaient plus de confort.
L’Asie, au sens large, m’a toujours fascinée. Toutefois, le Japon a été la source de mes inspirations pour la collection F/W. On y voit des traces de ces codes vestimentaires si particuliers, les tenues des geishas larges et chics.
Mais pour cette collection j’avais besoin de rêve. J’ai cherché dans les symboles, sur cette robe figurent des yeux, c’est un symbole protecteur au Moyen-Orient. Il s’agit d’un assemblage de tulle et de guipure, les perles sont brodées à la main. C’est une robe protectrice en quelque sorte. J’ai aussi dessiné des bijoux, le motif je l’ai nommé « le rêveur », c’est un hommage à Jean Cocteau.
Sur l’ensemble de la collection on retrouve beaucoup d’étoiles, une évocation céleste, invitation au rêve pour une dream collection.
MXXI – Tu n’es pas seulement créatrice mais aussi businesswoman, as-tu un bureau de style pour t’assister dans ta création ?
Absolument pas, je passe tous les matins 3h avec mon directeur artistique, il m’aide à faire des recherches, m’assiste dans le choix des tissus, travaille sur le maquillage, les accessoires.
En réalité je suis aussi manager, HR, chef de production, vendeuse. Je commence tout juste à pouvoir déléguer un peu. Mais cela m’a permis de maîtriser mon produit et ma relation avec les clients, ce qui est essentiel. La clientèle arabe aime être choyée, donc le plus souvent c’est moi qui traite directement avec la cliente. Souvent il s’agit de personnaliser un petit peu les créations, tout en gardant l’esprit de la marque bien sûr.
MXXI – Que penses-tu de la mode aujourd’hui ?
Des gens s’ennuient tandis que d’autres aimeraient créer passionnément, au-delà du commercial. La vitesse de la mode s’est considérablement accrue ; lorsque j’ai fait un stage chez Elie Saab, la maison faisait deux collections par an, elle en fait quatre désormais avec la Haute Couture, sans compter les pré-collections.
Parfois je suis déprimée lorsqu’en voyant les collections Zara, H&M je constate qu’un travail d’études et de recherches qui me prend des mois peut être copié en quelques semaines… C’est du fast fashion. Mais peu importe, mon ambition est de faire un produit high end, d’une qualité avec laquelle ils ne peuvent pas rivaliser.
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Remerciements à Sandra Mansour pour nous avoir accordé cet entretien, ainsi qu’Alice Heluin-Afchain pour son aide dans la préparation de l’interview. La rencontre a eu lieu quelques semaines avant les évènements tragiques qui se sont produits à Beyrouth. L’auteur a tenu à adresser ses pensées les plus sincères aux victimes et à leurs familles.
Antoine Bretecher