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Rencontre avec Pan European Recording. Troisième Voyage. Chapitre 2

Rencontre avec Pan European Recording. Troisième Voyage. Chapitre 2

Suite et fin du voyage cosmique, amorcé avec la station Pan European. À bord, Judah Warsky, qui nous accueille du titre éponyme de son album,  qui paradoxalement ne se trouve que dans Voyage III. De la marche ou les pérégrinations inattendues du Petit Prince, en route vers l’astéroïde B612.

Manifesto XXI – Toi qui est sur le label depuis longtemps, lorsque tu proposes un projet, comme celui de cette année, il ne sera pas encore fini, il y aura des retouches à faire?

Judah Warsky –  Arthur déjà c’est mon pote, mais c’est aussi mon référent. A l’époque, j’habitais juste à côté, donc j’allais en studio, je revenais, je m’arrêtais au bureau, je faisais écouter ce que j’avais fait pendant la journée donc il suivait vraiment le truc en cours, quand il n’était pas encore audible. J’ai une énorme confiance en sa bienveillance, mais aussi en son avis artistique. Car si tu vas trop loin dans ton idée, après ça devient difficile de changer.

Une fois que tu as accordé ta confiance à quelqu’un c’est bien de la lui donner entièrement par la suite.

Donc ce processus fait des morceaux des sons très authentiques, très sincères…

Oui, enfin ça vaut pour tous les artistes de Pan European. Flav’ (ndlr: Flavien Berger) quand il enregistrait Leviathan c’était l’été, et lorsqu’il l’a envoyé à Arthur et Elodie et aux autres c’était l’automne : chacun y est allé de son commentaire. Et au fur-et-à-mesure le projet s’est resserré pour devenir Léviathan, qui est un de mes disques préférés du label. En résumé, c’est faire le disque qui est excitant, le sortir moins. On le fait, c’est cool, c’est là que l’on fait des interviews (rires), mais la partie excitante c’est le faire.

Justement, on vient d’en parler mais comment tu travailles?

Ça dépend vraiment. Il y a des morceaux où je pars d’un son, d’autres d’un beat, d’un texte, d’une grille d’accords… Parfois c’est même un tempo tu sais!

Tu te dis 90 BPM, et hop, tu pars en compo’?

Sur mon dernier disque il y a un morceau qui s’appelle « After », qui est né d’une idée de départ : je voulais faire un morceau lent, à 75 BPM.

Etais-tu dans un autre label avant, une autre structure?

Avant Pan European, j’étais dans des groupes, dont Turzi qui est chez Record makers, label qui est au coin de la rue. Je faisais aussi partie d’un groupe qui s’appelait Chicros. D’ailleurs on a sorti un disque auto-produit qui s’est ramassé et ça nous a un peu découragés. Bref, je faisais des morceaux tout seul et c’est Pan European qui m’ont dit vouloir les sortir. Ça ne me serait pas forcément venu à l’idée de sortir des trucs en solo s’ils ne me l’avaient pas proposé.

S’ils ne t’avaient pas poussé à le faire… ?

On ne m’a pas vraiment poussé, j’ai toujours fait des démos que j’amenais au groupe et ils les ont trouvées suffisamment bien pour les sortir seules, en les polissant un peu.

Où as tu composé ton album Avant/Après ? À Paris ?

Oui, j’ai un peu commencé à Paris, puis je suis parti à Buenos Aires. Pendant 10 jours j’étais seul avec mes instruments car j’étais parti pour un concert. Dans un bel appartement avec vue sur le cimetière, l’été, en novembre. Dix jours d’été au milieu de l’hiver car c’est l’hémisphère Sud. Un soir je dansais dans un club sur de la cumbia puis le club a fermé, je suis rentré chez moi et j’ai continué. Sauf que le temps de rentrer chez moi en taxi j’étais un peu redescendu… Je me rappelle être sorti pour enregistrer le bruit du vent, et le mettre sur mon disque. Cette ville a eu une grosse influence sur ce disque.

©VALERIAN7000

Puis tu es retourné à Paris faire des arrangements…

J’ai même tout ré-enregistré, puisque je suis dans un super studio, avec des super synthés.

C’est quoi le nom de ton studio? 

Celui-ci c’est le studio Shelter à Paris. Ils ont tout ce que tu veux, tout est patché, câblé en midi. Il n’y avait plus qu’à laisser travailler les synthés et tourner quelques boutons. C’était un processus très facile, et évident. Tout à l’heure Arthur employait le terme d’évidence. C’est un mot qu’on emploie très souvent, à propos de tout .

C’est l’évidence, on le fait et c’est l’évidence.

Evidence comme une sorte de déclic, c’est même pré-réfléxif, très corporel…

Oui corporel, intuitif…À un moment tu te dis qu’il n’y a plus besoin de réfléchir, c’est comme ça.

La  compile est très stellaire, je sais que ta mère est astrophysicienne, tu peux me décrire ce que ça t’évoque ce voyage intersidéral ?

Voyage c’est un mot assez neutre. Toi tu dis intersidéral, mais un voyage c’est…

C’est vrai je t’ai peut-être influencé…

Un voyage ça peut être aller en Bretagne tu vois… (rires). Mais c’est vrai que mon enfance je l’ai passée avec mon frère, ça a été ponctué de congrès d’astrophysique. On allait là où mes parents allaient. Sur toutes nos photos d’enfance il y a toujours un télescope en fond, car là où l’on partait en vacances dépendait des lieux où se tenaient les conférences.

C’est bien plus tard que j’ai commencé à me rendre compte que c’est pas banal. Récemment mes parents sont retournés à Nançay, où il y a un champ de télescopes. On y allait souvent lorsqu’on était petits. Et ils m’ont ramené des sablés, tu vois ce que je veux dire. Mon souvenir c’est pas les télescopes, c’est les sablés (rires).

Oui, moi je me vois traverser des champs de nébuleuses, m’émerveiller devant des courbures de l’espace…

Oui, c’est vrai, la pochette invite à ce genre de voyage.

Mais c’est noté, c’est un voyage en Bretagne, alors, en Côte-d’Armor. 

(rires) Pan European c’est un label qui a toujours été psyché quoi, les compiles s’appellent voyage depuis le début. Et ça marche aussi bien pour Aqua Nebula qui font du rock stoner psych’, que pour James Darle qui fait de la grosse techno mais psych’ aussi.

Tu peux me filer tes inspirations musicales du moment?

En ce moment je suis sur le disque d’après. J’aime pas tellement parler des trucs lorsque je suis en train de le faire. Mais pour les influences d’avant, autrement dit du disque qui est sorti, j’ai beaucoup écouté Neil Young, ça s’entend absolument pas du tout dans le résultat final, mais c’est une grosse évidence pour moi, les accords de majeur 7. Mes influences n’étaient pas musicales, plutôt des lectures, des poèmes.

Quel genre de lectures ?

Je lis beaucoup de poèmes en ce moment. J’aime beaucoup marcher. J’ai grandi en banlieue, j’y ai passé 25 ans, et je me tapais des heures de transcom. J’ai toujours aimé lire, de la fiction surtout. Et maintenant que j’habite à Paris, je fais tout à pied, je prends de moins en moins souvent le bus ou le métro. Du coup je marche, je réfléchis à mes propres trucs. Quand je suis dans le métro, c’est pour des trajets courts donc je lis des poèmes, car tu peux en lire un et t’es arrivé.

Tu peux me donner un titre, d’un recueil, ou d’un poème?

Bah là tu sais, quand tu la traduis tu perds les 3/4 du truc. Bon je parle espagnol j’ai lu Lorcà, mais ça résonne moins en moi que la littérature française. Mais je lis des classiques, du genre Rimbaud, Nerval, Mallarmé…

Je dis: une fleur! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour…

Tu as lu De la marche de Thoreau? C’est un mec qui parle des bienfaits de la marche sur la réflexion, ça me fait penser exactement à ce que tu dis lorsque que tu marches et que ça incites à la réflexion…

Ah bon, je vais le noter. Moi ça me fait penser à Rousseau. Il y a une musique dans son écriture que j’adore. Thoreau tu dis?

Oui, De la marche. Bon, moi j’ai beaucoup aimé Before, et aussi Je m’en souviendrai jusqu’à la fin de ma life. Sur scène, ça donnerait quoi cet imaginaire musical ? Tu imagines des câbles, des lumières, des projections du mapping, ou carrément le contraire, hyper épuré?

Non non pas du tout, je travaille avec un mec qui fait de la projection, il est assez malin pour que ce soit intéressant à regarder jusqu’au bout. Il n’y a pas longtemps, j’ai fait un concert qui durait 2h, et les gens ne se sont pas faits chier, alors que 2h, quand même faut y aller… D’autant plus que les deux morceaux dont tu parles j’ai tendance à les rallonger, « Before » c’est un morceau assez fly, et « Je m’en souviendrai » il y a une espèce de montée au milieu, que je fais durer justement parce que c’est la montée, plus ça dure plus t’es content quand ça repart. C’est vraiment comme le sexe, c’est un peu nul comme métaphore, plus c’est long et quand ça explose…

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Oui ou n’importe quel autre désir dans ce cas-là, une sorte de supplice de Tantale, autrement dit désirer quelque chose d’irrassasiable…

Ouais c’est mieux, c’est plus propre (rires). À propos de « Je m’en souviendrai », le clip est sorti aujourd’hui, il y a deux heures et demi (L’interview a été réalisée le jour de la sortie du clip).

Encore une question : j’ai lu que ton album est entièrement composé au piano acoustique, comment tu t’occupes des arrangements ? Quelqu’un les ajoute par-dessus ? 

Non non, c’est moi qui les fais. Je suis parti du piano puis je me suis dirigé vers le synthé. Au studio il y a des arrangements qui ne sont pas de moi, ils ont eu des super idées. Les maquettes sont assez proches des morceaux finaux, mais il y a eu des morceaux comme sur « After » ou « Like in a music-hall » où ils ont vraiment rajouté des trucs, que je n’ai pas eu.

Tu recherches ce genre d’accompagnement, de personnes qui travaillent sur ton projet en même temps?

C’était la première fois que je le faisais. Enfin non c’est la deuxième fois car le disque d’avant je l’avais fait avec Flavien. Pendant longtemps j’étais content d’être seul, et maintenant moins. D’ailleurs mon prochain disque j’ai vraiment envie de le faire en collab’ avec un pote, de l’inception (avant même les maquettes) jusqu’à la fin.

Est-ce que tu penses que c’est comme développer une idée ou un concept ? À l’origine tu as quelque chose, une couleur ou un mot, et à force de discuter avec quelqu’un la pensée se précise, elle s’enrichit, se colorise. Est-ce que ta création est le même processus que celui de la pensée? 

Bah c’est ce que j’espère. Le regard extérieur permet de… l’évidence ce dont on parlait tout à l’heure… J’ai amené des maquettes à Shelter, le premier truc qu’il fait c’est qu’il mute une piste et c’est direct 1000 fois mieux. Mais direct ! Il y a pas à discuter c’est comme ça. À partir du moment où j’ai décidé de donner ma confiance à quelqu’un je ne discute pas ses opinions. Sauf si vraiment je suis pas d’accord. Ho, il y a la femme d’Arthur, attends…

© Patwane le M

Ce que tu veux dire c’est que lorsque tu donnes ta confiance à quelqu’un, lui le sait, et ça signifie que lorsqu’il s’exprime sur ton projet il doit être hyper pertinent…

Ce n’est pas la question de mettre une responsabilité sur quelqu’un. C’est plutôt de toi-même accueillir ce qu’il dit, sans remettre en question ses motivations. Moi j’adore donner mon avis sur des morceaux quand ils sont pas finis. Pas quand ils sont finis.

« Ah ouais j’adore ton morceau, moi j’aurais pas fait comme ça… » Il y a rien de pire que ça.

Mais parfois il y a des gens qui veulent juste donner leur avis, tu t’en rends compte quand tu fais de la musique à l’image, t’as genre 10 interlocuteurs différents. Il y en a plein qui se sentent obligés de donner leur avis et que tu changes un truc, parce que sinon ils servent à rien. C’est pas pour le bien de la chanson, c’est pour des motifs plus sombres.

C’est pertinent ce que tu dis, j’ai l’impression que cette histoire de confiance se reflète partout, pas seulement dans la musique. J’ai à l’esprit Daniel Arasse, qui est historien de l’art, il explique que dire « c’est beau » devant un tableau revient à prononcer une onomatopée, le spectateur se sentant obligé de le dire, faute de quoi il serait insensible à l’art. 

Bah ouais, tu dis pas « c’est beau » parce que c’est beau ! Je ne m’y connais pas suffisamment en art, mais je sais que Cézanne a galéré de son vivant, alors que tout le monde s’accorde pour dire que c’est un grand peintre. Tandis qu’il y avait des gens qui insistaient pour lui dire que c’était bizarre de voir le haut de la table, lui continuait son travail à sa façon. Moi ça m’arrive de ne rien dire devant une oeuvre, et parfois même d’en être incapable en étant submergé par les émotions…

On appelle cela le syndrome de Stendhal, qui provoque des malaises devant une surcharge d’oeuvres d’art… 

Justement, je lisais une bio de Cézanne, c’est ça le génie, c’est facile de s’identifier. Mais on peut relever une anecdote, Cézanne habitait à la campagne, c’est d’ailleurs là qu’il a peint sa belle montagne, aux couleurx de chaque heure de la journée. Il était donc en dehors de la vie parisienne, mais restait pote avec Zola… Et quand eux venaient à la campagne, iIs se retrouvaient souvent autour de déjeuners.  Un jour, Cézanne leur demande « avez-vous vu la dernière oeuvre de Balzac, le chef-d’oeuvre inconnu ? ».

« mais Frenhofer , c’est moi! ».

Comment s’appelles déjà le général ? Il a un nom allemand je m’en souvient plus… (Frenhofer ). Il continue donc ses anecdotes, et à un moment, Cézanne se lève en pleurant et crie: « mais Frenhofer, c’est moi! ». Il pleure en public, car il s’est identifié au personnage de la nouvelle. Et quand il voit des gens qui se moquent de ce personnage, il ne peut pas le supporter.

Une sorte de prétention à l’universalité… Quand tu trouves que quelque chose est beau et que tu t’identifies à ça, même si c’est pas toi, tu te dis que la prochaine attaque dirigée contre la chose est finalement dirigée contre toi.

C’est exactement ça!

c’est pour ça que c’est facile de s’identifier à un génie, car c’est ça leur génie.

Donc ouais, je m’identifie à Cézanne, à John Lennon, à Van morrison…

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