Rencontre avec Electric Rescue

En cette veille de Saint-Valentin, Manifesto XXI s’ennuyait ferme dans les bureaux de la rédaction et a décidé de rencarder son premier amour : la musique. Parmi les événements à l’agenda, c’est la soirée La Distillerie organisée par le collectif Decilab au 1988 Live Club qui a retenu notre attention. Au programme, des artistes assurant une techno de qualité et sans concession. La soirée a commencé tôt pour certains puisqu’à 22h le Backstage accueillait l’association le Bateau Louche et les deux djs de Coffee Box pour un before aux accents acid techno. Puis les hostilités ont démarré aux douze coups de minuit au 1988, où Evitearc et Kesta, Eprohm, E_merge (live) et Electric Rescue (live) se sont succédés aux platines.

Une petite équipe de journalistes est donc partie faire la fête ce Vendredi 13 Février, mais pas seulement. Nous avons profité du passage d’Electric Rescue (Antoine Husson), pointure de la techno française, pour le rencontrer juste avant sa performance live. Dj résident du Rex club à Paris, il est reconnu sur la scène internationale, ce qui ne l’empêche pas d’entretenir un lien affectif et artistique fort avec la Bretagne, notamment avec le festival Astropolis (Brest) et son label Astropolis Records. L’artiste nous a reçu de manière décontractée dans les coulisses et, plus qu’une interview, il nous a livré un témoignage passionnant sur le mouvement techno d’aujourd’hui. Rencontre avec un passionné, travailleur acharné, qui a su évoluer avec son temps sans rien perdre de ses idéaux de jeunesse.

Carrière

Retracer la carrière d’Electric Rescue, c’est finalement retracer l’histoire de la scène rave en France à travers un parcours fulgurant.

« J’ai commencé à être dj en 1990, après avoir découvert la techno en tant que public en 1988/1989… Premier disque, première platine, et j’ai rapidement eu la chance d’être programmé dans les premières raves en 1991/1992 en parallèle de mecs comme Manu Le Malin ( The Driver ). Très vite, j’ai eu envie d’organiser mes propres soirées sur Paris, en 1993. En marge de ça , j’ai commencé à composer mes propres titres en 1994, suivi d’un premier label fondé en 1998. A partir de là, tout était lancé, même si j’ai continué mes études à côté ! ».

Composition, collaborations, production, organisation de soirées : Electric Rescue a exploré son amour de la techno à travers toutes les gammes permises par le mouvement rave. Ces expériences diverses, qu’il affirme aimer de manière égale, sont sans doute ce qui fait d’Electric Rescue une personne assurément compétente pour définir ce que serait « l’esprit rave ».

A notre interrogation sur la compatibilité entre la gestion d’un label et le respect des valeurs « rave », il nous explique que , justement , elles sont liées.

« Aujourd’hui, un label, c’est une perte d’argent. Il n’y a pas de pognon à se faire dans la création de label, à moins d’en avoir un énorme. Donc le but du jeu, c’est vraiment de proposer quelque chose d’authentique -toujours-, d’original -c’est mieux-, et qui fait avancer les choses -si possible, mais c’est dur-. » .

Concrètement, comment cela se traduit-il dans la gestion du label ? « La majorité des artistes que je prends sur mes labels (skryptom, erratom records, calme records) ou que j’aide par ailleurs me sollicitent, et n’ont souvent jamais rien sorti. Je les aide à monter leur carrière, et certains arrivent à sortir leur épingle du jeu comme Jeweil, Popof, et c’est super ! On participe à un dynamisme de la scène, c’est gratifiant. Et tout ça, c’est que du pur kiff, je ne leur fais signer aucun contrat, juste une espèce de pacte moral où je leur demande d’être le premier à écouter, pour pouvoir faire le choix du label. Et comme il n’y a pas d’argent en jeu, ça instaure un rapport humain purement artistique. Ce qui permet aussi d’avoir toujours 20 ans au niveau musical ! C’est de la fraîcheur contre de l’expérience. Il y a de l’émulation, des artistes décollent, on a des dates, ça devient vivant. Maintenant, l’objectif c’est de faire rentrer du graphisme, de la video dans le label, de commencer à faire nos propres clips… ». Des projets, des collaborations (récemment avec The Driver sur Astropolis Records)… Plus qu’une carrière, c’est une vocation, un coup de foudre pour la musique électronique et l’esprit qui l’accompagne.

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Les clubs , festivals et soirées

Face au choix toujours plus large des clubs et festivals qui proposent une programmation techno et qui parfois, malheureusement, déçoivent le public, nous avons demandé les recommandations d’Electric Rescue, fort de son expérience en la matière. Clairement, il y a le Rex club, où il est résident tous les deux mois, qu’il décrit comme le « temple de la techno en France » avant d’ajouter « plus ça avance, plus ça m’excite d’y jouer ». Même le mythique Berghain ne fait pas le poids face à son club fétiche. Du reste, pour Paris, sceptique sur l’engouement autour de Concrete, il estime l’esprit rave bien plus présent dans des soirées comme Tunnel ou Débrouï-art. Sur des scènes d’autres hémisphères, il raconte avoir été séduit par le club Air à Tokyo. Malgré sa capacité modeste (600 personnes), cet endroit a ce « quelque chose » qui fait la différence. Cela tient aussi , selon lui , à l’état d’esprit du public à la fois déjanté et respectueux.

Et surtout, il y a Astropolis : « Astropolis est la meilleure teuf du monde. (…) Ce n’est pas le plus gros , ce n’est pas le plus beau festival , mais il y a un truc de plus qu’ailleurs et j’ai jamais retrouvé ça. Il y a une espèce d’alchimie entre le public breton , le bon esprit d’Astropolis , le lieu , le choix des plateaux … C’est simple , sans chichi , et en même temps tout est fait dans le respect. Ils ont réussi à mêler les ingrédients parfaits pour la techno ». C’est grâce à sa simplicité et son authenticité qu’Astropolis remporterait la « palme d’or » des festivals. La date du festival est marquée en gras sur son agenda, jusqu’à déterminer du moment de ses vacances (en Bretagne bien sûr) . Il souligne néanmoins que ceux qui cherchent le « côté chic et confortable de l’electro » peuvent ne pas s’y retrouver.

Concernant le Weather festival, gros événement techno de la capitale, il fait le constat d’un festival très centré sur les artistes et les plateaux artistiques. Certes, c’est l’essentiel, mais on ressent le manque de décoration et, finalement, de générosité. « Avec 20e de différence sur les billets d’entrée entre Astropolis et le Weather, ce dernier a les moyens de mettre un petit coup de générosité qui, au final, serait payant pour les organisateurs. A Astro, on pense d’abord au public. Même avec un public de 13,000 personnes au Manoir de Keroual, qui fait qu’on est parfois un peu serré, il y a un côté très détendu et festif. »

Le mouvement techno et son évolution jusqu’à aujourd’hui

Electric Rescue nous raconte une histoire de la rave en trois temps: l’émergence des années 1990, les années 2000 où le mouvement s’est un peu cantonné dans les clubs, et la renaissance de l’esprit rave à partir des années 2010. « Les années 90 ont été très rave, avant que dans les années 2000 ça ne bascule un peu dans les gros clubs et les gros festivals, mais depuis 2010 on est retourné dans un esprit bien rave sur Paris, et même un peu partout . On ressent qu’il y a de plus en plus de volonté d’aller faire des teufs dans des endroits improbables. Les années 2010 sont très orientées années 90 en fait. Je ressens vraiment les mêmes choses que j’ai vécu avant , et je retrouve cette même ferveur avec en moins, évidemment, la découverte d’un nouveau mouvement qui était quelque chose de magique. Il n’y a rien de nouveau ; cette musique on la connaît bien, ce qui explique que la scène est aussi grosse. Mais il y a une réelle énergie, une réelle volonté de faire des choses, de sortir… Ce n’est pas qu’un revival que vous vivez, car il y a une vraie fraîcheur. Aujourd’hui il y a plein de propositions intéressantes , ce n’est pas du réchauffé! Moi j’ai 42 piges et je suis heureux de vivre cet engouement. » Pas de nostalgie donc, ni de regret à avoir pour notre génération qui fréquentait plutôt les bacs à sable que les soirées techno dans les années 1990. Electric Rescue nous assure que ce que nous vivons aujourd’hui est quelque chose de fort, d’authentique, avec sa part de créativité et d’innovation.

Il évoque le « phénomène David Guetta » comme le moment fatidique à partir duquel le mouvement techno a pris de l’ampleur. Plutôt que de s’attarder à dédaigner la musique de ce dernier , il nous livre une analyse de l’influence indéniable de David Guetta dans le milieu. « Le phénomène David Guetta a entraîné beaucoup de jeunes à se diriger vers la musique électronique. Et parmi les millions de gens qui écoutaient ce mec-là, même s’il n’y a que 2 ou 3% qui se sont dit il y a autre chose que cette merde , qui fouillent pour découvrir d’autres artistes, ces jeunes, c’est nous qui les recueillons. (…) Tout ces jeunes qui ont été initiés avec du David Guetta, ou même d’autres choses comme Ed Banger ou la Tektonic, étaient ensuite prêts pour écouter de la musique électronique. Nous leur avons alors proposé des sons sans concession, et un certain nombre y adhère ».

L’esprit rave

Il le définit par trois adjectifs : « La recherche d’authenticité , d’originalité et de bonne musique ». Alors qu’aujourd’hui encore, la musique techno et son public ont mauvaise réputation auprès de l’opinion et des autorités, il devient urgent d’expliciter l’esprit rave, « d’en faire une culture ». Des projets, non réalisés par faute de temps, nous sont racontés. Parmi eux, celui d’une émission radio où pour une fois on prendrait le temps d’analyser et de présenter l’artiste dont le morceau vient de passer.

Étant avertis qu’Electric Rescue avait un avis très tranché sur les free-parties, qui sont à tord trop souvent confondues avec les raves, nous lui avons demandé de s’arrêter un peu sur le sujet. « Pour moi, c’est presque le cancer de la techno. C’est un phénomène à la base très positif, mais qui a été détourné jusqu’à devenir l’antithèse de la rave. La diversité de musiques et de styles, les couleurs… Quand je vois ce que les free-parties sont devenues… C’est uniforme, monolithique musicalement et artistiquement, et souvent irrespectueux. » Le problème des free-parties se pose aussi en tant qu’organisateur de rave : « Les amalgames entre free-party et techno ont été un vrai souci pendant un certain temps. On me disait « vous êtes les organisateurs des fêtes où il y a des morts et où tout le monde se drogue ? », et je devais convaincre sans cesse pour trouver des lieux, des dates,… » Et lui d’ajouter : « je préfère vraiment qu’on m’associe à David Guetta qu’à un free-partier. Au moins, je suis pas bloqué pour faire des choses. »

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Nos digressions estompées, nous quittons les loges pour assister au live. Live qu’il confie faire « au feeling », sans autre préparation qu’une pré-sélection de morceaux, qu’il passe selon l’atmosphère du moment. « Authenticité » semble être là aussi le maître-mot ! Pour ceux qui souhaiteraient tâter de l’authentique, Electric Rescue sera le 6 Mars à la Passerelle de Saint-Brieuc à la soirée Priz’unique en b2b avec son copain The Driver !

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Manon Schaefle et Théo Milin

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