[NOUVEAU] Regarde le Son : La chronique qui met en parallèle oeuvre d’art et morceau de musique.
Pour cette premier rendez-vous, nous vous faisons redécouvrir un des morceaux de 60°43′ Nord de Molécule et une des oeuvres du photographe brésilien Sebastião Salgado.
En avril 2015, Romain Delahaye sort sur le label Ed Banger Records un projet expérimental inédit sous le pseudonyme de Molécule: 60°43′ Nord. Cet album est le fruit d’une odyssée du musicien, embarqué 34 jours à bord d’un des bateaux de pêche de la compagnie de Saint-Malo, dans les eaux de l’Arctique. Ce voyage l’a mené jusqu’au Nord des îles Shetland, et plus précisément aux coordonnées 60°43′ Nord. Un projet artistique précis et donc avec un vrai concept, sur lequel Romain était très à cheval comme il l’explique dans une interview accordée au blog All In Electro: « L’idée c’était donc d’arriver sans idée préconçue et de composer entièrement une musique sur l’eau avec pour dogme de m’interdire de retoucher les morceaux une fois à terre. »
«Rockall» est le septième morceau de cet LP. Le track commence avec un enregistrement de ce voyage: on y distingue le courant de l’océan, le vent, l’orage, les bruits de cale du navire pendant presque une minute, puis une mélodie sombre apparaît progressivement, puis un kick démarre, pour découvrir un track techno, qui sample des sonorités de son quotidien (les « bips » des radars du navire, le bruit d’une cale sur un des sonars, le bruit d’une cheminée répétitive…). On ressent alors le quotidien à bord de ce navire, une répétition aux sonorités très « industrielles », de l’Homme à la découverte de l’Océan.
On se voit donc parfaitement danser sur ce «Rockall» lors d’une bonne soirée en club. Mais l’expérience proposée ici est différente. Le but est de vous faire replonger dans ce voyage, celui de Molécule. C’est pourquoi, nous vous invitons à contempler cette photographie de Salgado sur ce morceau pour plusieurs raisons.
La première est que Salgado est un explorateur et un chasseur d’images, tout comme l’est Molécule avec les sons. Ils sont donc dans la même démarche artistique. Dans les années 2000, le photographe ne part pas 34 jours, mais huit ans à travers le monde dans le cadre de son projet GENESIS, afin de sensibiliser le monde sur ces bouts de notre planète encore préservés de la société moderne selon lui: «Près de 46% de la planète semblent encore comme au temps de la Genèse. Nous devons sauvegarder ce qui existe.»
La seconde raison est bien évidemment le lieu. Le périple de Salgado l’a mené dans la péninsule Antarctique, au niveau de la mer Weddel, à la pointe sud de l’Amérique du Sud. Bien que cet endroit soit diamétralement opposé à celui des enregistrement de 60°43′ Nord, on retrouve dans ces deux œuvres plein de similitudes spatiales et sensorielles: la mer, le vent, le froid, ou encore un bloc massif et brut qui sert de sujet (l’iceberg de Salgado versus le navire où se trouve Molécule).
Bien que Molécule ait également publié un livre de photos sur ce projet accompagnant 60°43′ Nord, regarder ici la photographie de Salgado sur «Rockall» prend un autre sens, car elle confronte la puissance de la nature et la conquête industrielle du territoire par l’Homme, tout en plaçant au centre de son oeuvre un élément majeur: l’Océan. Ainsi en écoutant ce morceau et en regardant cette photographie, l’expérience sensorielle est totale.
«Dans GENESIS, mon appareil photo a permis à la nature de me parler. Écouter fut pour moi un privilège.»
Sebastião Salgado