Redwane Telha : « J’ai envie de rester énervé contre mon corps et mon handicap »

Ça fait quoi de préparer un marathon quand on est handicapé·e ? Ça soulève beaucoup de questions. Sur ses limites physiques et mentales, le poids du handicap au quotidien, dans la vie de famille… Mettre à l’épreuve son corps hémiplégique et le raconter, c’est le point de départ de l’aventure podcast du journaliste Redwane Telha. 

Rédacteur en chef de « L’Instant M », l’émission phare d’actualité médiatique de France Inter, Redwane Telha annonce un projet un peu fou fin 2019 : il va courir le prochain marathon de Paris et raconter sa préparation dans un podcast « Cours Redwane, cours ! ». Avec cette référence à Forrest Gump, l’ambition du journaliste était double : se mettre au défi pour mieux accepter son handicap et créer un espace d’échange autour du sujet. Après six épisodes, un confinement et quelques rebondissements, en 2021 le podcast devient « Redwane ! » pour poursuivre ce journal intime et ses réflexions sur le corps handi. Il était l’invité du podcast « Il était des voix », lancé par le Paris Podcast Festival et la Gaîté Lyrique pour mettre à l’honneur celles et ceux qui font entendre les récits inédits grâce à l’audio. Dans le prolongement, on a discuté de ses projets, de représentations du handicap et de paternité.

Manifesto XXI – Parler de la douleur, admettre la fatigue et les baisses de moral, c’était quelque chose d’évident pour toi ? 

Redwane Telha : Ça me vient assez naturellement dans le sens où mon handicap ne me provoque pas de douleur. Ce sont des douleurs que n’importe quel coureur rencontre et c’est moins tabou que « le reste » pour moi, parce que forcément tout coureur passe par là. J’avoue que dans les premiers enregistrements en 2019, c’était difficile de parler publiquement de mon handicap sachant que dans ma vie de tous les jours j’en parlais assez peu. Le podcast me force à en parler beaucoup plus et à créer des discussions autour de moi. Au début, ce n’était pas naturel de parler des difficultés que je peux rencontrer. J’ai dû me forcer un peu et c’est tout l’intérêt de ce podcast-là pour mon cheminement perso, d’arriver à mettre des mots sur des trucs du quotidien qui me frustrent en temps normal. D’habitude j’essaie de faire comme si ça n’existait pas, là je dois affronter, et ça passe par des mots : en mettant des mots sur ces difficultés ça devient beaucoup plus concret. Ça c’est un effort pour moi clairement.

La personne handicapée, médiatiquement, est toujours réduite à son handicap. Alors que t’es aussi père, mari, employé… Plein de choses se croisent !

Redwane Telha

À « Il était des voix » tu as dit que le podcast était une manière de « te réconcilier avec ton handicap » et que tu portais un regard assez « validiste » sur toi-même. Est-ce que cette perception change avec ton travail de médiatisation ou pas du tout ? 

Non parce que mon handicap m’emmerde toujours. Ce n’est pas sympa d’avoir un handicap dans la vie de tous les jours. Le discours de nombreuses personnes en situation de handicap aujourd’hui c’est de dire « je vis bien avec mon corps » etc… En réalité c’est faux. Personne ne s’accommode totalement de son handicap, sinon ce n’en est pas un. Le handicap te contraint, t’empêche. Et c’est assez sain d’être énervé contre son corps et son handicap. Le tout c’est qu’il faut quand même arriver à s’assumer en tant que personne handicapée, assumer cette partie-là de soi. Quand je parle de « réconciliation » c’est plus dans ce sens.

Moi j’ai envie de rester énervé contre mon corps et mon handicap, tout en les assumant. Parce que pendant très longtemps, avant cette médiatisation, j’ai tout fait pour l’oublier, et ça je pense que ce n’est pas sain. Parce que mon handicap c’est une partie de mon identité, une partie de moi-même. C’est ce qui m’a forgé. Le nier, c’est me nier aussi. Donc dans ce sens-là oui ça me réconcilie. Le handicap reste un problème en soi, et il faut l’affronter, vivre avec. Je pense que ce n’est pas sain de le nier, soit comme s’il n’existait pas comme j’ai pu le faire auparavant et en essayant de le cacher notamment, soit en faisant comme si tout allait bien. 

On a 0,7% de personnes handicapées à l’écran. C’est que dalle à l’échelle de la nation. En tant que journaliste, quand tu es face à ce genre de chiffres, il faut que tu en parles. 

Redwane Telha

La famille est une dimension très importante, ta femme est présente dès le premier épisode. C’était important qu’il y ait cette dimension vie intime, « normale », d’une personne handicapée dans le récit ?

Quand je l’ai lancé j’avais envie de m’affranchir du format podcast et d’aller vers ce que je consomme le plus, c’est-à-dire les vlogs, parler de tout. Je parle de mon projet sportif mais autour de ça il y a plein de choses. Quand tu te lances dans un projet type marathon, tout est important et tu ne peux pas faire abstraction du reste. Donc quand tu es fatigué·e parce que ça se passe mal avec ta nana ou ton mec, ça se ressent. Dans la première version du podcast, pré-2020, il y avait Assia mais aussi plein d’autres personnages, le boulot, mes potes, mes cousins… Aujourd’hui la famille prend beaucoup de place parce que c’est la vie des gens en ce moment. J’ai relancé le podcast avant la naissance de mon fils, parce qu’au moment où arrive un enfant tu te poses des questions sur toi-même. Je trouvais ça hyper intéressant de partager des moments d’introspection. 

Au-delà de la série, j’ai nommé ce nouveau podcast « Redwane ! »  parce que j’ai envie de parcourir toutes mes identités dans ce podcast pour raconter plein de trucs et la paternité en fait partie. C’est intéressant parce qu’on ne parle jamais du handicap de cette manière : typiquement quand tu regardes un reportage au 20h sur le pouvoir d’achat, tu ne vois jamais de mère handicapée qui parle. La personne handicapée, médiatiquement, est toujours réduite à son handicap. Alors que t’es aussi père, mari, employé… Plein de choses se croisent ! J’espère pouvoir faire un épisode spécial prochainement sur les questions de tâches ménagères quand tu es handicapé·e. C’est ultra culpabilisant, il y a plein de choses que je ne peux pas faire. Je sais que ça bouffe plein de personnes, mais on n’en parle jamais ! On a tendance à raconter le handicap à travers les difficultés concrètes dans les transports, au boulot, ou juste à travers le point de vue médico-sanitaire. Je trouve ça dommage parce que le handicap est présent dans toutes les sphères de la vie. Quand je parle de l’arrivée de mon fils, je me pose des questions très concrètes : est-ce que je vais réussir à le porter ou pas ? Ce sont des questions que toutes les personnes handicapées se posent à un moment de leur vie. 

Moi j’attends une vraie fiction autour du handicap avec un personnage fort.

Redwane Telha

Ça concerne 12 millions de personnes et pourtant on a peu de représentations. Qu’est-ce que ce travail auto-produit fait à ton job de journaliste le reste du temps ? 

Ce projet-là vient d’une réflexion de Redwane Telha, rédacteur en chef de « L’Instant M ». Parce que c’est justement quand j’ai été confronté aux questions de représentations dans le monde des médias que je me suis dit qu’il y avait un problème. C’est parce que je travaillais à « L’Instant M » et que je suis dans ces thématiques que je me suis dit que je n’avais pas le droit de me cacher et qu’il fallait que je fasse un projet. Souvent quand on parle de diversité dans les médias on parle de diversité ethnique, de parité hommes-femmes… Il n’y a pas de statistiques ethniques en France mais quand tu plonges dans les chiffres, il y a environ 14% de personnes dites non-blanches représentées selon le terme du CSA. C’est peut-être pas assez pour certaines personnes mais c’est honorable. Quand on regarde le handicap, qui concerne 12 à 14 millions de personnes, on a 0,7% de personnes handicapées à l’écran. C’est que dalle à l’échelle de la nation. En tant que journaliste, quand tu es face à ce genre de chiffres, il faut que tu en parles. 

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Un des trucs dont je suis le plus fier à « L’Instant M », c’est le coming-out de Thomas Sotto. Il a toujours caché son handicap… Un de mes profs d’école de journalisme m’avait dit : « Cache ton handicap comme Thomas Sotto. » Donc un jour, je le croise et je lui raconte cette histoire. Il m’a répondu que oui il avait eu tellement peur des patrons de chaîne qu’il avait trouvé une technique pour cacher ce bras invalide. Je lui ai dit que maintenant qu’il avait un nom, une place, il fallait qu’il en parle. Après des mois de travail, on a réussi à lui faire parler de son handicap au micro et ça a eu un écho ouf ! Je pense que ça a fait beaucoup de bien. Quand j’ai réussi ça, je me suis dit qu’il fallait que j’en parle à ma manière. 

Est-ce que tu penses qu’il faudrait qu’il y ait une action plus prononcée comme le fait Prenons la une pour le sexisme ? Quel serait en fait le meilleur moyen d’agir au niveau de la profession ? 

Je suis partagé sur ces questions parce qu’il y a plein de formes de handicap qui ne sont pas compatibles avec le métier de journaliste. Ça reste un métier assez mobile la plupart du temps. Sur la profession-même je ne sais pas s’il faut imposer des quotas… Il faut en parler oui, mais mon grand combat c’est la fiction. Je pense que les changements profonds de société passent par la fiction. Si tu mets un journaliste handicapé sur BFM ça ne change pas grand-chose, de la même manière que si tu mets un journaliste noir ou arabe. Par contre, si tu mets un personnage positif, charismatique et qui soulève les questions du handicap, là c’est vraiment intéressant. Chez les gamins, l’impact de la série Atypical (Netflix) sur la représentation des personnes autistes a eu un effet de ouf. De la même manière qu’avoir un Hassan dans Lupin (Netflix), personnage noir, positif, ça fait un bien fou dans la fiction. Ça crée des personnages auxquels on s’identifie en tant que personne handicapée ou noire, mais pas que. Ça donne des icônes très populaires et il n’y a rien de plus fort que la fiction. Sur France TV, le flic handicapé t’y crois pas une seule seconde. Le handicap est un détail au final, ça ne change rien à sa vie, aucune vraie question n’est soulevée, et c’est dommage. Moi j’attends une vraie fiction autour du handicap avec un personnage fort. Ça peut ne pas être une fiction autour du handicap d’ailleurs. Ça peut être une intrigue différente, mais où de vraies questions liées au handicap sont posées. Ça pour le coup je pense que ça peut faire évoluer les mœurs et la société. 

Si je devais faire évoluer mon métier de journaliste, et je reviens à ce que j’ai dit tout à l’heure, plus que les représentations de journalistes, ce serait dans les reportages : ne pas hésiter à introduire des personnes handicapées, et ça je sais qu’encore aujourd’hui ça fait flipper les rédacs. Parce qu’ils ont peur assez bêtement que les gens ne se concentrent que sur le handicap et pas sur le fond du reportage. Sauf qu’on n’est pas obligé de faire intervenir des personnes handicapées dans des reportages sur le handicap. Par exemple, le nombre de chercheurs, d’historiens handicapés qui sont dans nos facs, pourquoi on ne les montre pas à la télé ? Pourquoi c’est un truc éliminatoire quand on recherche un « client » ? Je trouve ça flippant. De la même manière que je trouve très con que dans des micro-trottoirs on va esquiver les personnes différentes, parce que ça va déconcentrer le public ou alors que c’est pas joli à l’image, je trouve ça con. Imposer des gens en cours de mags, j’ai peur que ce soit un peu gadget. Par contre qu’il y ait une banalisation du handicap c’est très intéressant, malheureusement on en est encore très loin. 


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Pour découvrir d’autres voix du handicap, rendez-vous dans l’épisode 1 de « Il était des voix » : « Les corps en révolte ».

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