Raphaël d’Hervez, c’est une certaine idée du musicien moderne ; éclectique, entrepreneur, multifonction. Du haut de sa trentaine, l’artiste a déjà un CV bien rempli derrière lui. Musicien dans plusieurs projets, compositeur pour lui et pour d’autres, réalisateur de disques… C’est aujourd’hui, après avoir enfilé de nombreuses casquettes, qu’il décide enfin de mettre en avant un projet musical sous son propre nom. Il dévoilait ainsi il y a peu L’oiseau Tonnerre, un EP quatre titres aux sonorités pop et acoustiques. Rencontre avec celui qui a participé à faire de Minitel Rose, Pégase ou encore FVTVR Records les noms évocateurs qu’ils sont aujourd’hui.
LES DÉBUTS
‘J’ai eu beaucoup de groupes, beaucoup de projets, très jeune. Le premier, on faisait du playback avec mes cousines dans les mariages, moi sur ma batterie Tom & Jerry, et elles sur des planches à repasser redécorées en claviers…’
Groupes de rap, de jazz, de rock… Raphaël multiplie les projets à l’adolescence. Il est alors également percussionniste au conservatoire, et participe aussi à des stages.
C’est au lycée que les projets deviennent plus sérieux, avec un groupe de rap qu’ils mènent jusqu’à l’étape du concert et du disque, mais sans savoir comment se développer ensuite, à une époque où Internet n’existe pas encore.
Il adore également trainer chez son disquaire, qui lui dit un jour que sa femme cherche des instrumentations pour chanter dessus. ‘Ça a été un premier pas dans un univers plus professionnel’.
Mais à cette époque, Raphaël ne voit pas encore la musique comme une option de métier : ‘J’ai toujours baigné dans plein de projets différents, mais je n’étais pas forcément intéressé par le fait de faire de la musique live, j’étais plus un bidouilleur, et je rêvais de sortir des disques, mais ça me paraissait un peu inaccessible. Puis j’avais l’impression de ne pas être né à la bonne époque, de faire une musique qui intéressait 20 personnes, et à ce moment-là il n’y avait pas de moyens de diffusion directe. Sauf qu’à la même période j’ai commencé à rentrer dans la vie active, à faire des boulots de merde, et je me suis dit que je ne pouvais pas faire ça toute ma vie, qu’il fallait trouver une solution. Je me suis demandé dans quoi j’étais bon, et la musique semblait le plus évident, c’était mon principal hobby, j’y passais tout mon temps, mais je ne le voyais pas comme ça au début’.
MINITEL ROSE
Avec deux autres amis, Raphaël s’amuse à expérimenter et à réinterpréter la musique club. L’ambition est alors d’imaginer ‘une musique large, qui plait aux gens. Le business plan c’était un peu on fait ça et après on va s’acheter des piscines en forme de guitares électriques, on va devenir riche. Bon la réalité c’est qu’on n’a pas réussi à faire un truc mainstream, c’est resté indé, mais en tout cas c’est le premier groupe qui a accéléré les choses’. En effet, à partir de la fin de la décennie 2000, Minitel Rose connait un franc succès avec ses morceaux dansants à connotation eighties, retrowave et italo-disco.
FVTVR RECORDS
Raphaël et ses potes décident alors de créer leur label, FVTVR, pour sortir leurs propres disques, mais aussi ceux de leur entourage. Après quelques essais en studio, le groupe préfère finalement s’organiser de manière plus DIY, ce qui pousse le musicien à investir dans du matériel. ‘Au départ c’était plus dans l’idée d’un coup de main, puis finalement je me suis vite retrouvé à faire de la direction artistique, de l’enregistrement, du mix… Avec les autres membres du label qui co-géraient ça, mais aussi la partie clips, visuels… On a sorti quasiment exclusivement des projets nantais.’
Malgré leur investissement, les collaborateurs souhaitent garder un label à taille humaine, qu’ils gèrent à côté de leurs professions respectives, les sorties se limitant à deux ou trois albums par an.
PÉGASE
À la suite de Minitel Rose, Raphaël souhaite s’investir sur un projet solo, Pégase, qui devient finalement par la suite une aventure plus collective, du fait des exigences scéniques. Sur le deuxième album, par envie de nouveauté, il intègre au projet Ana, chanteuse.
RAPHAËL D’HERVEZ
‘Ça faisait déjà très longtemps que j’avais envie de sortir des chansons en français, mais j’avais peur qu’on m’accuse de le faire par simple effet de mode, donc j’ai laissé passer quelques années, puis je me suis dit que ça n’avait pas d’importance et que je chantais dans la langue que je voulais. Pégase historiquement était un projet anglophone, qui a eu la chance de toucher des gens à l’étranger, et j’avais peur de mettre à l’écart une partie du public en changeant de langue soudainement.’ Le second album manque donc de peu de voir le jour en français, mais Raphaël finalement renonce. Il ne souhaite pas dénaturer l’essence de Pégase par de nouvelles envies stylistiques qui ne collent pas au projet.
D’autre part, le musicien a toujours eu beaucoup de groupes en même temps, et là, depuis quelques années il n’a plus que Pégase et Romantic Warriors. Il nous explique aussi que les projets suivent certains rythmes, certains cycles, et qu’il faut savoir laisser respirer chaque chose, tant pour ressourcer sa créativité que pour ne pas lasser le public. ‘J’aime bien avoir plusieurs projets pour pouvoir alterner’.
‘C’est vraiment un projet que je sors comme ça, sans ambition particulière. On va sûrement faire des concerts si on nous le propose, mais il n’y a rien de défini. Là j’ai sorti un EP, mais je ne sais pas ce qui suivra ni quand’.
À la question de savoir pourquoi il a choisi d’utiliser son propre nom, Raphaël nous répond qu’il a eu tellement de projets, de surnoms, que l’effet schizophrénique l’a poussé à enfin utiliser son propre nom. Une décision peut-être appuyée par la crise de la trentaine nous avoue-t-il.
‘Je trouve que le français se prête bien à ce choix. C’est aussi pour faire écho aux artistes français que j’aime bien, qui sont connus sous leur propre nom et pas forcément sous un nom de groupe’. Mais même s’il a choisi cette option, Raphaël ne travaille pas de manière isolée pour autant. En effet, Antonin et Jordane participent également à la création des morceaux, et devraient l’accompagner prochainement sur scène.
UN STYLE MOUVANT
Incapable de mettre de mots sur ce qu’il crée, Raphaël aime en tout cas changer régulièrement de méthode de travail, d’instruments… De style aussi. C’est aussi pour ça qu’il a choisi de prendre son propre nom, pour pouvoir prendre des virages s’il le souhaite. Il ne prémédite jamais ce qu’il va créer, préférant se laisser guider, à l’intuition. ‘Des fois j’aimerais bien être quelqu’un de totalement persuadé par une ligne stylistique. Pour moi c’est dur de trouver une stabilité, chaque fois que j’entends quelque chose que j’aime dans un style je me dis, c’est génial, pourquoi je ne fais pas ça ! Il me faudrait cinq vies !’
LA COMPOSITION POUR L’IMAGE
En parallèle de ses créations personnelles, Raphaël compose aussi parfois pour l’image, à la fois pour des raisons pratiques, mais aussi par véritable goût. ‘C’est quelque chose que je fais de temps en temps, que je n’ai jamais démarché, mais que j’ai toujours essayé d’honorer quand on me l’a proposé. J’ai aussi vite compris que pour ne pouvoir vivre que de la musique – ce que je fais depuis 10 ans – il faut être investi de diverses manières. De la même façon que beaucoup d’artistes indé ont un autre job à côté, moi j’ai d’autres activités que mes projets personnels dans le secteur musical. Je suis également un grand passionné de cinéma et de musique de film. J’ai déjà fait la musique de quelques courts-métrages, et là je vais composer pour la première fois sur un long-métrage. En ce qui concerne la publicité, j’ai eu la chance honnêtement de ne travailler que pour des projets dans lesquels je me reconnaissais à peu près. Je n’ai jamais eu de gros dilemme entre souci éthique et monétaire. Ce qui est vraiment agréable pour travailler, c’est quand les marques te font confiance et te laissent très libre.’
Toutefois, bien que la musique à l’image soit un terrain qui inspire Raphaël, il lui tient à coeur que cela n’empiète pas trop sur ses projets personnel. ‘J’essaie juste de faire attention à garder un équilibre avec ce que je fais pour moi. Et c’est dur, car arrivé un moment on ne peut pas se dédoubler, et il faut jongler entre tes différents besoins et demandes.’
LE TRAVAIL AVEC D’AUTRES GROUPES
Si Raphaël compose pour ses propres projets, il réalise également les disques d’autres artistes, une expérience qu’il trouve enrichissante. ‘Tu te nourris de ces autres expériences, tu peux tester des choses, ça se répond. Parfois quand je bosse avec des groupes il y a des choses qui se passent, j’expérimente des trucs qui me donnent des idées pour mon projet, ou inversement, parfois je teste des trucs qui ne marchent pas pour moi, mais qui peuvent coller dans le style d’un groupe dont je m’occupe.’
‘LA MUSIQUE N’A PAS D’ÉPOQUE’
Au courant globalement de ce qui se passe mais peu porté sur les phénomènes de tendance, Raphaël nous confie : ‘Je ne suis pas forcément très à l’affût, et j’aime laisser du temps aux choses, voir comment les morceaux vieillissent. Et puis il y a tellement de choses qui sortent aujourd’hui, c’est presque un métier de suivre tout ça…’. D’après lui, les phénomènes d’uniformisation en marche actuellement font que trop de choses se ressemblent. Puis il y a déjà tellement de bons morceaux du passé à (re)découvrir, qu’il est difficile en plus de se préoccuper de tout ce qui sort actuellement. ‘Pour moi la musique n’a pas d’époque, je l’aime telle qu’elle est dans le présent’.
En tant que musicien, il affirme qu’il lui est par ailleurs difficile de se détacher de l’aspect technique et de l’envers du décor lorsqu’on écoute des morceaux. ‘J’aime les disques où je ne suis pas en train d’analyser, où j’entends juste de la beauté’.
Son dernier coup de coeur : le nouvel album d’Aquaserge.
DJ-SIDE
Non rassasié des multiples rôles déjà évoqués, Raphaël est également DJ à ses heures. ‘C’est surtout venu avec Minitel Rose, on nous proposait des dates où la formule live n’était pas possible, donc on assurait des Dj sets. C’est intéressant aussi, tu découvres la culture musicale d’un artiste que tu aimes’.
Après avoir testé différents types de set-up, il se produit dernièrement sur une configuration un peu hybride, qui fait le pont entre ancien et nouveau monde. ‘Maintenant je mixe essentiellement sur vinyle et iPad à la fois, je trouve que les deux se complètent très bien. Je voyage beaucoup entre les styles et les époques.’
IN PROGRESS
Toujours très occupé, mais peu enclin pour autant à figer ses projets futurs, Raphaël semble souhaiter avant tout se laisser porter par ses envies du moment. ‘Je finis la réalisation de quelques autres disques, et plusieurs projets dans lesquels j’étais impliqué, et après j’ai envie de continuer à composer des chansons en français. Je n’ai pas envie d’être dans tout cet esprit de retro-planning, etc… J’ai juste envie de sortir les choses quand j’ai envie de les sortir, sur un coup de tête, comme cet EP. J’ai envie que ça reste un projet spontané’.