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Qui a la transphobie ?

Qui a la transphobie ?

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En mars dernier, on découvrait qu’une milice transphobe s’était organisée pour traquer et agresser les femmes transgenres dans Paris. Et puis, dans la nuit du 16 au 17 août, Vanesa Campos, travailleuse du sexe transgenre, mourait assassinée dans le bois de Boulogne. C’est bien de la France dont il est question, là où l’on se chamaille sur des passages piétons arc-en-ciel et où l’on se targue de belles avancées pour la communauté LGBTQ+ (même si La Manif pour Tous se porte très bien, merci).

Mais, pour les personnes transgenres, la violence est mortelle. Selon Karine Espineira de l’Observatoire des Transidentités et son étude sur les violences, plus de 96% des victimes d’actes transphobes ne portent pas plainte, alors l’iceberg des agressions est plus que devinable. Quels sont les ressorts de cette transphobie, tout particulièrement en France ? Comment les concerné-e-s existent et se représentent malgré une incompréhension manifeste ?

Les institutions

« Je ne vois pas pourquoi il y a quelqu’un d’autre, que je ne connais absolument pas, qui va juger de ce que je suis. C’est humiliant, tu es tout seul face à ceux qui vont juger si t’es assez monsieur ou madame. Et en plus, on peut te le refuser. » Jonas Ben Ahmed

La transphobie, loin, loin des réalités du monde cisgenre, existe. Elle se manifeste par les agressions citées plus haut, par le rejet des parents, de l’entourage, mais elle est aussi présente dans les institutions. À commencer par les institutions médicales. Quand la SoFECT, organisme habilité à rembourser entièrement les frais de transition prenant en charge 20% des personnes transgenres, est décriée par les principa-les-ux concerné-e-s pour son attitude pathologisante et misogyne, il y a un souci. Quand en 2010, le ministère de l’Intérieur refuse de financer une étude sur les actes transphobes, il y a un souci. Quand, malgré la loi de 2016 sur le changement d’état-civil, les personnes trans doivent se justifier devant un tribunal, à la merci du libre-arbitre d’un juge, il y a un souci. Jonas Ben Ahmed, premier acteur trans dans la série Plus Belle La Vie, nous le résume bien : « Je ne vois pas pourquoi il y a quelqu’un d’autre, que je ne connais absolument pas, qui va juger de ce que je suis. C’est humiliant, tu es tout seul face à ceux qui vont juger si t’es assez monsieur ou madame. Et en plus, on peut te le refuser. » Une véritable transphobie institutionnelle, qui n’aide sûrement pas une population déjà bien marginalisée.

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Crédits : Otto Zinsou

Les médias.

« Je me rappelle de papiers affreux au moment de la sortie de The Danish Girl, qui comparaient la transsexualité au dédoublement de personnalité » Noémie, militante. 

Partons du commencement, en effet : les représentations. Les agressions, le rejet, l’incompréhension : tout part de celles-ci. Comment le reste du monde voit la transidentité à travers les imageries véhiculées par les médias et la production culturelle. Or ces derniers sont d’une ignorance crasse, probablement en raison de l’éducation zéro transmise par les institutions à ce sujet. Noémie, femme trans militante, nous explique : « Même dans une certaine presse de gauche, il y a toujours un train de retard sur des éléments même basiques, type genrer correctement une personne trans. » Delphine, femme trans militante elle aussi, précise que « souvent l’excuse avancée par les journalistes, c’est qu’il faut que les gens comprennent, mais ça révèle juste des représentations ».

Et des trains de retard, il y en a aussi sur des éléments moins basiques : « Je me rappelle de papiers affreux au moment de la sortie de The Danish Girl, qui comparaient la transsexualité au dédoublement de personnalité », se souvient Noémie. Ajoutons à cela que quiconque ayant regardé des reportages grand public sur le sujet saura que cette ignorance est généralement doublée d’un voyeurisme certain dans les médias, voire d’une forme de fétichisation. Un petit coup d’œil au reportage Zone Interdite de 2017 sur la transidentité suffit pour le saisir.

Le grand écran

« Le problème c’est qu’on nous colle à ce rôle de trans, et après on ne te propose plus rien d’autre » Naëlle Dariya. 

En plus des médias, il y a le monde merveilleux de la production culturelle mainstream en France. Quasiment absents de celles-ci – hormis Jonas, ou bien la série Louis(e) sur TF1 en 2017 -, les personnages transgenres subissent le même traitement que les personnages homosexuels, puissance 10. Autrement dit, ils sont très secondaires.

Naëlle, co-organisatrice de la Shemale Trouble à Paris et actrice en devenir, nous parle avec humour du côté acting et du fait qu’on ne lui propose que des « quarantièmes rôles » : « le problème c’est qu’on nous colle à ce rôle de trans, et après on ne te propose plus rien d’autre ». Ils servent uniquement de ressort scénaristique. « C’est toujours une image larmoyante, mélo-dramatique », selon Jonas.

Surtout, ils sont extrêmement caricaturaux, ce qui véhicule des images faussées, et parfois dangereuses. Delphine explique : « La raison pour laquelle un homme hétéro pourrait devenir violent avec une femme trans, c’est aussi en grande partie à cause des représentations des femmes trans dans la culture populaire. Elles sont très négatives, très transphobes. » Elle reprend la typologie de Julia Serano, chercheuse, quand elle explique qu’il y a généralement deux sortes de personnages : soit la femme trans pathétique, autrement dit l’homme en robe qui est un ressort comique ; soit la femme trans usurpatrice, qui est souvent représentée dans son rapport aux hommes, comme étant une “fausse” femme. Pour Delphine, c’est une manière de « rassurer les cisgenres, ça leur explique qu’on est factices, que notre féminité est superficielle, un costume ». Mais « c’est aussi meurtrier ». À juste titre.

Crédits : Otto Zinsou

Une seule solution : s’imposer dans la culture

« Si tu te coupes du monde et que tu t’attends à ce que les gens apprennent tous seuls, ça n’arrivera pas. » Buck Angel

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Jonas, cependant, malgré ce panorama désolant, est la preuve que les choses peuvent avancer, petit à petit, dans la culture française. Il ajoute, en tant que personnage public : « Le fait qu’il y ait enfin ce personnage trans dans une série grand public, c’est parce qu’il y a des gens qui se sont battus en amont. Je suis content de montrer qu’on peut faire une transition et être bien dans ses baskets, être épanoui. » Pour lui, « il faut y aller par étapes. D’abord, faire connaître la transidentité. Et puis montrer qu’il y a tout un panel de vies. La maladresse, c’est pas de la méchanceté, et c’est pour ça qu’on est là, pour véhiculer l’information et faire de la pédagogie ». Tout comme le dit Buck Angel, activiste trans américain, conférencier et producteur de films pornographiques, l’idée est d’éduquer : « Si tu te coupes du monde et que tu t’attends à ce que les gens apprennent tous seuls, ça n’arrivera pas. »

On a vu cette visibilité bénéfique avec le coming out d’Océan, qui a propulsé le sujet sur le devant de la scène, permettant peut-être à des garçons trans de se sentir moins seuls. Mais bruce, réalisateur et co-organisateur de la Shemale Trouble avec Naëlle, précise : « La visibilité reste à double tranchant. Parce qu’un personnage c’est une seule représentation, donc ce n’est pas diversifié. Il y a du progrès, parce que maintenant ce sont des médias mainstream cis-hétéros qui s’emparent du truc. Après, la question, c’est : quand est-ce que nous on va réussir à faire nos trucs ? ». Naëlle de rajouter : « À partir du moment où c’est fait par des gens qui ne sont pas de la communauté, il y a forcément un regard exotisant et c’est pour ça qu’il est primordial de créer nos propres trucs et s’inscrire en tant qu’acteur-ices. Moi je me vois bien à la tête du CSA ! » (rires)

Parce que de leur côté, les trans se bougent et n’attendent pas qu’on leur donne l’espace pour s’exprimer. Cinéma, musique, théâtre… La culture trans – au sens de production culturelle – existe, et ne demande pas la validation de qui que ce soit. Naëlle et bruce, avec la Shemale Trouble, un de ces collectifs qui font un travail de fourmi depuis des années, le montrent : « On veut montrer qu’on est capables de faire des trucs, parce qu’il y a déjà tellement de misérabilisme dans les médias. Alors que non, on organise une des meilleures soirées de Paris, excusez-moi » (rires), précise Naëlle. Cette soirée, c’est l’occasion d’une visibilité et d’un empowerment pour la culture trans, tout en proposant un lieu où il est « plus safe de s’amuser, avec des prix plus abordables pour un public relativement précaire ». Mais aussi de proposer un travail de formation et de sensibilisation auprès des clubs car « ils s’inscrivent dans une certaine passivité vis-à-vis des agressions », pour Naëlle. Un fourmillement de créativité allié à de la pédagogie, c’est là le secret.

Quand on jette un œil autour de nous, le queer est indéniablement en vogue ces temps-ci. On le porte en bandoulière avec sa banane holographique et sa caquette. Pour bruce, « il est fantasmé, tout comme les trans, parce que ça a une visibilité en ce moment, ça fonctionne, ça intrigue. Donc il y a une réappropriation par ceux qui ne voient que la thune et pas ce qu’il y a en dessous. En plus, ça leur donne une bonne conscience politique ». Et pour Delphine, « on ne peut pas l’éviter, ça va faire du bien, ça va faire du mal ». Qu’on le veuille ou non, le capitalisme est un tank intelligent. Le trans washing, tout comme le pink washing, est un bon business en devenir. Mais n’oublions pas de gratter le vernis, de creuser, de tout interroger. Et, surtout, de continuer de s’éduquer et d’éduquer le reste du monde car, comme le dit Buck Angel, « nous devons donner une voix à notre colère ».

Crédits : Otto Zinsou

Merci à Naëlle, bruce, Delphine, Noémie, Jonas et Buck Angel pour leur précieux temps.

Merci à Otto Zinsou pour les belles photos.

Voir les commentaires (1)
  • Je ne crois plus à la pédagogie des trans’ envers les cis’, il n’y a pas de dialogue possible entre oppresseurs/-ses et opprimé.es, voir ce que disait Christiane Rochefort dans « La définition de l’opprimé ». Nous, les trans’, on veut vivre (et déjà survivre à la violence cis’, pour commencer), et ça passe par combattre sans pitié la transphobie, désolée pour les cis’. Et du reste, on ne veut pas de leur monde cis’, on veut un monde différent, bien meilleur que leurs vies de merde.

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