Nour Beetch et Nicky Lapierre ont fondé le P*rn Freaks Club basé à Bruxelles. Dans cette tribune, iels dénoncent les instituions de financement du cinéma et la machine du Festival de Cannes qui continuent d’invisibiliser et uniformiser les films queers. Iels demandent que le QUEER LOVE soit partout en réponse à la transphobie montante.
Quelle blague que le festival de Cannes se présente comme une institution apolitique alors même qu’ils déroulent le tapis rouge aux agresseurs et harceleurs !
A l’heure où la transphobie est de plus en plus décomplexée et où l’extrême droite l’utilise comme arme de combat, on est épuisé·es de courir après les commissions pour raconter nos contre-narrations. On doit sans cesse justifier nos vécus, que ce soit Nicky en tant que mec trans ou Nour en tant que travailleuse du sexe. Des personnes non concernées se permettent de nous dire que nos histoires sont trop queer, trop personnelles et donc pas vraiment universelles, trop violentes ou pas assez tragiques. « C’est pas qu’on aime pas votre univers, on adore votre énergie, mais votre personnage trans on aurait plus d’empathie pour lui s’il se faisait violer. Avant sa transition de préférence. »
Alors oui on n’est pas étonnés que le film qui remporte la Palme d’or cette année soit porté par un homme cis hétéro blanc et non concerné par le travail du sexe. Est-ce que la vraie révolution ne serait pas de voir un Pretty Woman « des temps modernes » porté par un·e prostitué·e ? Malgré tout son talent, Sean Baker entretient un rapport fétichisant et fantasmé sur nos métiers, et le confirme en disant que le « plus vieux métier du monde » ne cesse de fasciner. C’est bien cette fascination le problème, parce qu’il traite de prostitution dans tous ses films sans jamais avoir vendu son cul. Et puis il vient s’étonner que son histoire n’ait pas fait la controverse. Sans oublier son regard sexualisant et condescendant sur l’héroïne principale. Ce qui fait rager, c’est qu’en parallèle les travailleur·euses du sexe se font refuser la possibilité de raconter leurs vécus. On salue néanmoins le prix reçu par Karla Sofía Gascón, première femme transgenre récompensée à Cannes. Mais ça ne suffit pas.
Parce que nous travaillons en duo et nous gagnons notre vie avec le porno, on nous refuse l’accès au cinéma « classique ». Et après y a des réalisateur·ices qui reçoivent des subsides pour faire des films sur des gens qui font du porno. Quelle ironie. Mais quand verrons-nous un film réalisé par des femmes trans (palestiniennes) ? Combien de films réalisés par des personnes transgenres sont présentés à Cannes cette année ? Combien de films réalisés par des travailleur·ses du sexe ont vu le jour ?
Pas étonnant lorsque « ça n’a pas vraiment d’audience ce type de film » est ce que l’on reçoit comme retours quand on parle de nos vécus. De cette manière, iels sous-entendent que nos histoires ne sont pas capitalisables, et donc iels agissent comme si nos vies ne comptaient pas. Parce que produire des représentations positives de nos communautés ne va pas les enrichir, et c’est bien ça le problème. Parce qu’en parallèle, le festival de Cannes coûte plus de 35 millions d’euros à organiser, et que cet argent vient des mêmes institutions qui ne financent pas nos histoires.
Et comme l’indécence ne s’arrête pas là, il rapporte 6 fois plus, un profit s’élevant à 200 millions, mettant en avant des films sur des femmes trans Palestiniennes –exilées à Tel Aviv, capitale du pinkwashing de l’état colonial – tout en demandant aux participant·es de ne pas afficher de signe politique en faveur de leur libération. Cela semble d’autant plus aberrant lorsqu’il leur paraît plus urgent de changer chaque jour le tant convoité tapis rouge, plutôt que d’écouter les revendications des personnes qui font tenir le festival à l’année. Comme d’habitude, iels préfèrent silencier les nuisibles « pour faire un festival sans polémique ». Mais sachez qu’aujourd’hui, invisibiliser les récits trans, c’est participer à leur destruction.
On demande donc aux institutions culturelles qui se disent alliées de nos luttes, de prendre au sérieux la visibilisation des récits portés par les personnes concernées, à une heure où l’offensive anti-trans fait rage.
On pense que les commissions du cinéma ont une responsabilité vis-à-vis de la disparition des narrations queers et des morts qui en découlent. Parce qu’il y a un lien évident entre la normalisation de la transphobie, les agressions lesbophobes du BIFF à Bruxelles et le manque de représentations de nos communautés à l’écran.
Nous croyons en la force collective de nos utopies queers et nous vous invitons à ne pas baisser les bras, à envoyer en masse les histoires d’amour qui traînent dans nos tiroirs. Les institutions doivent se mobiliser pour une riposte trans, dénoncer le climat transphobe en valorisant les créations queers, avant que la parole queerphobe ne prenne tout l’espace culturel.
Continuons à construire des réparations communautaires, à infuser le queer love, partout, car nous le savons réparateur, résilient et révolutionnaire dans ce qu’il tend à déconstruire et à protéger.
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