Depuis plus de deux ans des citoyen·nes cinéphiles occupent le cinéma La Clef, situé en plein cœur du 5ème arrondissement de Paris. Dernier cinéma associatif de la ville, iels risquent l’expulsion imminente et organisent une semaine portes ouvertes afin de mobiliser leurs soutiens : les occupant·es appellent à crier haut et fort que La Clef doit rester associative et indépendante.
Depuis sa création, le cinéma La Clef n’a jamais été un lieu comme les autres. Né à la suite du mouvement étudiant de mai 1968 et tantôt centre culturel ou cinéma indépendant diffusant des œuvres peu ou sous représentés, La Clef est aujourd’hui un cinéma « illégal ». Les cinéphiles qui l’occupent luttent avec force contre la spéculation immobilière et la récupération du lieu par le groupe SOS, géant de l’entrepreneuriat social dont le directeur, Jean-Marc Borello, est membre du bureau de La République en Marche. Après plusieurs rebondissements juridiques, le propriétaire du bâtiment, le CSE de la Caisse d’Épargne Ile-de-France, et le potentiel acheteur font pression pour que l’expulsion du bâtiment se fasse dans la semaine du 24 janvier.
Selon les occupant·es, ce n’est « pas seulement le lieu que nous défendons mais tout le projet associatif et collectif qui l’entoure ». L’occupation impressionne par sa longévité (2 ans) ainsi que par son effervescence. La mobilisation a réussi à réunir plus de 15 000 spectateurices, diffuser près de 500 films et accueillir des soutiens aussi divers que ceux qu’Alejandro Jodorowsky, Agnès Jaoui, l’université Paris 8 ou encore Amnesty International et tout cela en pleine crise sanitaire. Luisa, 25 ans, occupante depuis plus d’un an, explique que la force de cet élan provient du « défi de garder le lieu vivant et de la décision de programmer un film tous les soirs ». Titouan abonde : « La Clef est un lieu ouvert, contrairement aux occupations des théâtres où il s’agissait d’espaces de réflexion au sein d’un milieu, La Clef a toujours accueilli et dialogué avec l’extérieur. Ce sont les spectateur·ices qui nous donnent de la force ». D’ailleurs, la plupart des occupant·es sont avant tout des spectateur·ices aux profils variés: habitant·es du quartier, étudiant·es précaires, ancien·nes salarié·es, activistes venant de la culture squat…
La Clef est un des rares lieux où du lien social peut encore exister.
Un occupant
Chaque séance est à prix libre et le lieu dépasse le simple rôle de diffusion du septième art. En réalité, c’est un véritable lieu de vie qui a sa propre radio, ses fanzines, sa chambre noire pour former novices et confirmés à la photographie, des salles de montage image et son… Les occupant·es proposent des ateliers de formation tant pour les publics que pour les professionnel·les précarisé·es ou émergent·es. Iels ont aussi conçu leur propre projet de reprise qu’iels souhaitent financer grâce à un fond de dotation type crowdfunding afin de racheter le lieu et soutenir d’autres lieux culturels mis en péril par la spéculation immobilière. L’ouverture et l’imagination collective qui débordent de ce lieu contribuent à le rendre unique : « Nous n’avons pas de ligne éditoriale, c’est le ou la spectateurice qui crée les liens. C’est un grand festival permanent où, nous-même les programmateur·ices, nous devenons spectateur·ices de la programmation » explique un·e occupant·e.
Malgré la promesse faite par la ville de Paris de racheter le bâtiment, La Clef est à nouveau menacée par une expulsion qui pourrait être imminente. Convaincu que c’est la mobilisation citoyenne qui permettra au lieu d’être préservé, le collectif organise une semaine de portes ouvertes. Au programme, des projections tous les jours de 6h à 22h, des rencontres avec notamment Alejandro Jodorowsky, une carte blanche à Leos Carax, de la musique, des jeux, des goûters collectifs, mais aussi l’ouverture du laboratoire photo ouvert à toustes à prix libre… Le détail du programme est disponible sur l’évènement facebook.
À l’heure de la distanciation sociale et de la privatisation de l’expérience cinématographique par le biais des plateformes de streaming, La Clef est le cœur battant d’un cinéma en lutte qui croit en l’art comme expérience collective. Pour les occupant·es, l’objectif est « d’abolir toutes les hiérarchies et d’apprendre la vie en collectif ». Comme spectateur·ice, une séance à La Clef, c’est la possibilité de pousser la porte d’un endroit unique et de se laisser surprendre par un film, parfois jamais diffusé, et, lorsque les lumières se rallument, avoir envie d’approcher un.e inconnu.e pour discuter, pleurer, se rencontrer. Ici, le simple fait d’aller voir un film est un acte politique. Un occupant résume : « La Clef est un des rares lieux où du lien social peut encore exister. On est à rebours du monde de la séparation ambiante, il faut protéger La Clef. »
Site internet de La Clef Revival
Image à la Une : © La Clef