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Mystique et politique : dans l’univers de L. Camus-Govoroff

Mystique et politique : dans l’univers de L. Camus-Govoroff

Léonore Camus-Govoroff Manifesto 21
Pour conjurer les violences des sociétés contemporaines, L. Camus-Govoroff raconte des histoires à rebours des discours dominants et fait surgir des mondes fantasmatiques transgressifs. Avec sa première exposition personnelle (à Reims jusqu’au 31 mai), iel nous plonge dans le lore inclusif du jeu vidéo fictif qu’iel a créé. Découverte de son univers envoûtant, que les photographies réalisées par Zoé Chauvet pour Manifesto XXI capturent parfaitement.

Diplômé·e de la filière Art-Espace de l’EnsAD en 2021, résident·e au Consulat à Paris, L. Camus-Govoroff est artiste, commissaire et co-curateur·rice du collectif Alien She. Avec Cléo Farenc, co-fondatrice de l’association, iel soutient par des actions curatoriales militantes – ateliers, événements, expositions – des artistes fxmmes ou issu·e·s de minorité de genre, particulièrement touché·e·s par la précarité et les mécanismes structurels d’exclusion. Dans sa pratique personnelle, iel aborde également les enjeux du militantisme féministe et queer. 

Léonore Camus-Govoroff Manifesto 21
L. Camus-Govoroff © Zoé Chauvet, 2022.

C’est début mai dans son atelier, installé dans les sous-sols bétonnés du Consulat Voltaire, que nous avons rencontré L. Camus-Govoroff. Nous avons discuté d’art, de jeux vidéo et de processus de création, tandis qu’iel effectuait les derniers préparatifs de son premier solo show. Nous avons découvert son espace de travail, où se côtoient des œuvres et des fétiches. Dispersés çà et là, suspendus au mur ou posés sur les meubles, quelques livres, des outils, des bibelots glanés… Parmi eux, une casquette rose « ANGEL », le catalogue Valentine Schlegel : je dors, je travaille ou des chardons à foulon séchés – autant d’objets qui nous projettent dans son quotidien et son univers, et qui confèrent à cet espace intime une étonnante familiarité.

Quelques semaines plus tard, nous sommes retourné·e·s au consulat pour un shooting réalisé par Zoé Chauvet, diplômée de l’EnsAD en photographie et vidéo, amie de L. et co-fondatrice de la plateforme événement 0 (voir ici notre précédente collaboration). Elle a su capturer l’atmosphère singulière de son espace de travail en posant un regard sensible sur les œuvres et les objets qui le peuplent. Toujours attentive aux sujets qu’elle photographie, Zoé a aussi réussi à saisir avec finesse un portrait juste de L., arborant fièrement le dernier t-shirt réalisé par Alien She en collaboration avec la collective franco-belge Bye Bye Binary.

Une « plastique politique »

Céramiques en grès émaillé, sculptures composées d’objets chinés sur internet, mixtures, décoctions et concentrés de plantes médicinales, actions collaboratives… De l’installation à la performance, en passant par l’écriture et la sculpture, L. développe une pratique artistique pluridisciplinaire, qu’iel conçoit comme une « plastique politique » destinée à déconstruire les rapports sociaux inégalitaires entre dominant·e·s et dominé·e·s. Iel la nourrit également de multiples références, dont iel s’empare pour proposer des interprétations ouvertes de ses œuvres. En privilégiant une approche transmedia dans son travail et transdisciplinaire dans ses recherches annexes, iel mélange les registres et tisse des liens inédits avec l’anthropologie queer, l’écoféminisme, ou encore la pop culture.

L. cherche en effet à bousculer les identités et les rôles de l’ordre hétéronormatif imposés aux individu·e·s, en imaginant une pluralité de « scénarios émancipateurs ». En témoigne son œuvre Love and Sacrifice, un attirail d’armes en grès émaillé, qui représente l’ensemble des luttes collectives contre le patriarcat, les assignations, les injonctions et les agencements d’oppression. Ici, le poing américain, l’épée, la hache à double tranchant et le poignard deviennent des outils de lutte et des moyens d’émancipation. Dans Amitiés particulières, une autre série de céramiques à la portée politique, des dildos et plugs suintant de fluides colorés, symbolisent les révolutions des corps contre les normes cis hétérosexuelles, et fait écho aux histoires queers et trans des sexualités (Paul B. Preciado, Manifeste contra-sexuel, 2000).

L. Camus-Govoroff © Zoé Chauvet, 2022.
Réinvestir des savoirs ancestraux

Recourant à l’herboristerie et aux médecines alternatives, L. s’inspire des systèmes de connaissance et dispositifs de soin médiévaux, réactivant ainsi des méthodes thérapeutiques archaïques, longtemps considérées comme subalternes. Dans son œuvre composite Jusqu’à ce que la mort nous sépare, dont le titre se réfère non sans ironie à la maxime la plus connue de la cérémonie du mariage chrétien, une gelée toxique faite d’eau de muguet trône sur un élégant plat en grès émaillé. Si l’offrande semble à première vue attrayante, elle se révèle être un poison pour celui ou celle qui osera y goûter, puisque l’absorption de ce concentré est mortelle. Inspiré·e par les découvertes de l’abbesse mystique Hildegarde de Bingen, et nourri·e par la lecture de livres de botanique ésotérique, L. mène des recherches sur les pouvoirs des végétaux et les transforme parfois en armes secrètes. Adepte de la phytothérapie, l’artiste s’intéresse aux vertus des plantes médicinales, administrées aux individu·e·s pour leurs propriétés curatives ou préventives, et les convoque dans certaines œuvres.

À l’instar des œuvres déjà citées, la sculpture OpenSource*, une fontaine en plâtre de laquelle jaillit une décoction réputée abortive, est un symbole d’émancipation contre les dispositifs de contrôle des corps mis en place dans les sociétés capitalistes, hétéronormatives et validistes. En détournant la source – la fontaine ou le puits – située au centre des cloîtres médiévaux, L. tente dans cette installation de saboter les systèmes d’oppression, et la manière dont ils ont conditionné les rapports au corps, à la féminité et à la masculinité. Ainsi s’illustrent la contestation de l’ordre établi et le renversement des hiérarchies. En plaçant au cœur de son processus de création des savoirs oubliés, l’artiste cherche à réhabiliter les sorcières du passé et rend hommage aux sciences occultes. Pour iel, « le recours aux savoirs ancestraux est une pratique d’empowerment car cela offre des alternatives au capitalisme et permet de s’émanciper des injonctions et des normes médicales ». À travers ses œuvres, L. refuse la toute-puissance d’une vérité unique et offre à tous·tes des contrepoints possibles.

Le jeu vidéo comme « quête d’émancipation »

Jusqu’au 31 mai, l’exposition Dans un jardin qu’iels ont su garder secret, curatée par Camille Bardin, dévoile, dans les espaces de l’artist-run space rémois The left place the right space, l’ultime étape du premier level du jeu vidéo que L. crée et déploie au fil de ses solo shows. Ce jeu vidéo fictif, initié en 2021 lors de son diplôme de cinquième année à l’EnsAD, est une « quête d’émancipation », selon les termes de l’artiste. Il est pensé comme un ensemble de niveaux qui proposent des alternatives libératrices et une multitude d’interprétations possibles. Pour son diplôme, iel a écrit le gameplay et conçu Long-Forgotten Fairytale comme le premier niveau de celui-ci. Cette installation représente un cloître abandonné autrefois habité par des sœurs lesbiennes mercenaires. C’est une invitation faite aux visiteur·euse·s à investir ce lieu à leur manière, et à interagir ou non avec les pièces exposées. Ici, les œuvres Love and Sacrifice, Amitiés Particulières, Jusqu’à ce que la mort nous sépare et OpenSource* symbolisent des items et sont réunies avec d’autres créations. Situées de part et d’autre de l’espace, les bannières Parmi les drapeaux que nous ne brûlerons pas, réinterprètent le drapeau de fierté des lesbiennes de 1999 et délimitent l’environnement de ce premier level.

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L. Camus-Govoroff, Gardienne. Vue du second mouvement de l’exposition Des soleils encore verts, CAC Brétigny, juillet 2021. © Clément Boute.

Au début, nous sommes face à la Gardienne, une créature fantastique en céramique, qui sourit et veille avec bienveillance sur tous·tes les joueur·euse·s. Dipsacus fullonum, des vases de chardons à foulon séchés, et Trinity, des pots de plantes abortives, invoquent les secrets d’une alchimie ancestrale. Ces plantes aux pouvoirs magiques, destinées à être collectées par les gamer·euse·s les plus averti·e·s, servent à lancer des sorts. Suspendu au plafond, le chandelier Honey Pussy diffuse des effluves légèrement miellées, rassure par sa lumière les joueur·euse·s égaré·e·s et les aide dans leur progression. Dispersés, les Daemonium, un trio de petits démons cracheurs d’encens incarnant la masculinité toxique, semblent nous défier depuis leur piédestal métallique. Ils achèvent de créer une atmosphère olfactive enivrante. Dans cet univers enveloppant, les visiteur·euse·s deviennent les protagonistes du jeu dans lequel iels progressent. Par la multiplicité des personnages qu’iels peuvent choisir d’incarner, les joueur·euse·s sont libres de générer des récits qui leur sont propres au fur et à mesure de leur déambulation. Ainsi, L. les conduit, à travers cette expérience esthétique troublante mais salutaire, à s’interroger sur les artifices des rôles sociaux normatifs et à formuler leurs propres interprétations du scénario défini par iel.

Léonore Camus-Govoroff, manifesto 21
Vue de l’exposition Dans un jardin qu’iels ont su garder secret, The left place the right place, Reims © Thomas Schmahl, 2022.

De la même manière, à Reims, L. mélange les genres, les références et les registres pour créer la nouvelle étape de son jeu vidéo. Iel nous propose ici de suivre l’évolution de cet imaginaire inclusif. Les joueur·euse·s progressent toujours dans le jardin sacré d’un cloître doté d’une fontaine aux eaux contraceptives, mais iels atteignent cette fois-ci l’objectif final leur permettant d’accéder à la map suivante. Au lieu de se confronter à un boss [un adversaire puissant particulièrement difficile à combattre, ndlr.], iels rencontrent un lapin blanc, référence à la fois à Matrix (1999) et à Sucker Punch (2011), qui les guide et enclenche les prochaines péripéties. Par ce jeu vidéo scénarisé ouvert, L. confère aux joueur·euse·s un pouvoir décisionnaire, les invitant à passer d’un monde à l’autre, d’un état à un autre, et ainsi à faire l’expérience d’autres réalités.

Léonore Camus-Govoroff Manifesto 21
Vue de l’exposition Dans un jardin qu’iels ont su garder secret, The left place the right place, Reims © Thomas Schmahl, 2022.

Dans un jardin qu’iels ont su garder secret, jusqu’au 31 mai à The left place the right place, Reims. Journée de lectures et performances le samedi 28 mai à partir de 14h30, avec Vir Andres Hera, Rose de Bordel et troubaDURE.


Image à la une : Vue de l’atelier de L. Camus-Govoroff, Le Consulat, Paris © Zoé Chauvet, 2022.

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