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Plexiglas, roman d’une amitié girl & gay dans la France des ZAC

Plexiglas, roman d’une amitié girl & gay dans la France des ZAC

Avec Plexiglas, Antoine Philias proposait fin août un roman totalement ovni dans cet étrange moment de l’industrie culturelle française qu’est la rentrée littéraire. Ce livre est une pépite qui confirme la voix originale de son jeune auteur, on vous explique pourquoi. 

Récit d’une amitié entre un jeune chômeur de retour dans la ville de son enfance et une caissière cinquantenaire d’un supermarché où il traîne ses guêtres, Plexiglas investit un territoire rare en littérature, loin des terrasses du 6ème arrondissement : une Zone d’Activité Commerciale. 

​​Franchement, pour ma génération, la retraite c’est une sorte de mirage, on s’approche elle s’éloigne, on finit par ne plus y croire. 2023, ça existe pas, vous voyez ce que je veux dire ?

Eliott, personnage principal de Plexiglas

Cette ZAC est située à Cholet, ville moyenne connue de la plupart des habitant·es de l’Ouest de la France pour abriter des magasins d’usine aux prix cassés et une équipe de basket sponsorisée par une marque de brioche au chocolat. L’auteur s’intéresse ici moins à la France des ronds-points qu’à celle des parkings et des galeries marchandes où l’on dérive des promotions sur les machines à café aux dégustations de mini-saucissons, souvent épuisés par le labeur et les horizons bouchés. Son récit est en prise totale avec l’actualité et raconte de manière particulièrement pertinente les pressions exercées sur les couches populaires, dont cette zone géographique symbolise autant une ascension impossible en forme de mirage, qu’une certaine source de réconfort. 

Interrogé par email, Antoine Philias explique le choix formel inhabituel de son récit : « Très vite s’est imposé une construction des chapitres suivant l’éphéméride, ce calendrier qui fut aussi rural et chrétien que Cholet, mais qui est, dans le quotidien de mes travailleurs, dicté par le marché : Pâques est synonyme de promos sur les chocolats, le solstice d’été permet de brader les barbecues, etc…». Arrêté dans son travail d’écriture par l’arrivée du Covid, l’auteur y voit l’occasion de donner un nouvel élan à son récit : « Le Covid m’a d’abord stoppé net puis il est devenu une source supplémentaire pour raconter les rapports de force dans le monde du travail, voyant très vite que, de toute façon, la littérature de la pandémie s’intéressait peu à ce milieu, privilégiant les carnets de confinement bourgeois. »

Si Plexiglas – en référence à la vitre posée entre la caissière et les clients du magasin – est politique, il développe surtout une formidable comédie humaine (et humaniste) dans cette géographie inédite. Elliott, jeune trentenaire fauché, s’installe dans la maison de son grand-père récemment placé. Il peine à reconnecter avec sa famille dont les préoccupations matérialistes s’opposent en partie à ses convictions politiques. C’est dans le bar PMU abrité par la galerie marchande qu’il rencontre Lulu, caissière tentée par l’engagement auprès des gilets jaunes, puis toute une famille recomposée par l’espace commercial (vigile dragueur, opticien timide, hacker frustré devenu vendeur de téléphonie mobile…). 

Ces travailleur·ses essentiel·les salué·es au moment du Covid sont envoyé·es au front pandémique pour maintenir un semblant de normalité. Épuisé·es par le système, iels nous rappellent aussi que le capitalisme, qu’on le célèbre ou qu’on le combatte, reste toujours lié à la tentation d’un certain confort. Ou du moins de sa promesse. Antoine Philias aborde donc ces portraits avec une complexité éclairante, à mille lieux de récits simplistes ou caricaturaux. Il raconte : « Je ne juge pas mes personnages et s’ils n’étaient pas un peu contradictoires, je pense que je les aurais ratés. Je n’ai aucun jugement moral sur eux, je les approche avec l’amour que j’ai pour les personnes qui me les ont inspirés, mêlé à une approche sociologique documentée. Et malgré mes affects anti-capitalistes, j’ai moi-même un rapport de dépendance vis-à-vis des galeries commerciales. J’y passe de nombreuses heures, j’y trouve même du plaisir, j’achète ce qu’on m’y vend de confort, j’y développe ma critique de la consommation tout en y consommant. Et puis, comme Lulu l’apprend au fil du roman, il faut s’attaquer aux structures du capitalisme, pas à ses victimes. »

L’autre grande qualité de Plexiglas est d’adopter une démarche entre militantisme et exploration esthétique. Son roman est jalonné de citations glaçantes de la communication des patrons des grandes corporations, employeurs in fine de ces protagonistes. Philias rappelle en cela la tradition du documentaire d’auteur de Frederick Wiseman chez qui le discours politique se crée dans l’entrechoquement des personnalités, des destins et des mots enregistrés en immersion dans un environnement précis. 

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A sa façon, Plexiglas est enfin une très belle évocation de cet âge difficile coincé entre l’adolescence et l’âge adulte, raconté du point de vue d’Elliott, encore incapable de grandir et de se poser. Il a quitté une grande ville et hésite à suivre un jeune homme frondeur rencontré sur une appli de rencontres qui fait le choix d’un changement de vie néo-rural à l’arrivée du Covid. Elliott est un personnage particulièrement crédible, tiraillé entre des envies de grandeur et une flemme enfantine, une séduction un peu cabotine et la peur déjà de voir sa jeunesse lui filer entre les doigts. Plexiglas est une multitude de voix, dont celle  très touchante, d’Elliott, jeune queer perdu dans les limbes péri-urbaines.

Avec son deuxième roman, Antoine Philias s’impose sans peine comme un écrivain de premier plan. Reste à espérer que son récit anti-conformiste et puissant trouvera une visibilité dans un océan de sorties tournées bien trop souvent vers les mêmes classes de populations et leurs préoccupations. 


Plexiglas, Asphalte, 240 p., 21€ 

Image à la Une : © Liviu Florescu / Unsplash
Relecture & édition : Apolline Bazin

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