Care, évasion, tendresse, colère : pendant le confinement, 16 femmes photographes nous ont partagé leur vision de cette période éprouvante. Retour sur leurs regards et récits.
En période de crise, les femmes sont les premières à trinquer. Les inégalités se creusent, les droits sont menacés et la visibilité dans l’espace médiatique… réduite. Les femmes photographes n’ont pas fait exception : le 10 avril, M le magazine du Monde choisissait de présenter le travail de 16 photographes confinés. Dans cette sélection, que des hommes. À peu près au même moment, Télérama commettait la même erreur d’omission.
En réponse à cette invisibilisation, la rédaction de Manifesto XXI a donc invité 16 femmes et personnes non-binaires, photographes, à raconter leur expérience du confinement, et partager des images prises pendant la période, ou qui faisaient écho aux défis de cette crise.
Alors que l’on vit la deuxième vague de la pandémie et un reconfinement, nous vous proposons de redécouvrir ces mots et ces images qui nous ont tant ravi·es.
Lisa Boostani
La planète s’est mise en pause et pour la majorité c’est la grande course qui s’arrête. On découvre alors ce temps qui s’offre à nous, à la fois merveilleux et anxiogène tant il peut être vertigineux, fait d’incertitudes, de vides et de lenteurs.
Si la crise à un aspect dramatique, elle paraît être une étape nécessaire, initiatique car elle nous appelle à repenser notre façon d’être au monde, forçant pour beaucoup le retour à soi, pour plus de conscience et d’écoute.
J’ai eu le privilège de passer le confinement à la campagne où j’ai pu prendre le temps pour ma pratique et mes recherches personnelles. Dans ce moment particulier nos perceptions changent. Face à nous-mêmes on devient plus conscient de nos émotions, de nos mécanismes et des actions qui en découlent. Comment habiter son corps et les multiples états qui le constituent, éprouver le temps et l’espace, explorer la présence à soi et au monde ? Ce sont ces perspectives qui guident mon quotidien et que je tends à mettre en lumière dans mon travail. Cette image est tirée d’une vidéo commanditée par le Centre Pompidou dans lequel j’interroge le rapport ambigu au téléphone portable. Ma démarche, introspective, vise à déconstruire et questionner nos pratiques sociales et coutumes pour y apporter plus de conscience. J’ose croire à un mode de vie où nous serions plus en phase avec notre propre nature et celle qui nous entoure, appréciant la valeur de ce qui nous est essentiel.
Laurence Philomene
« Puberty » est une série d’autoportraits qui examine le processus intime et vital du self-care pour une personne transgenre non-binaire en thérapie de remplacement hormonale (TRH). Prises sur une période de deux ans, les images de la série mélangent couleurs irréelles et des endroits banals pour documenter le quotidien et les lents, et subtils, changements physiques qui s’opèrent durant la transition. En montrant la TRH comme un processus sans but final précis, « Puberty » nous invite à imaginer l’identité au-delà de la binarité.
Depuis janvier 2019, j’ai documenté les changements que la testostérone opère dans mon corps et mes humeurs à travers des photos chaque jour. Les images qui en résultent sont à la fois mises en scène et prises sur le vif, elles sont prises avec un tripod chez moi pendant que je fais ma vie. Installées dans le cadre d’espaces domestiques hautement saturés, ces images montrent de minuscules détails de transition qui sont rarement représentés.
Pendant la quarantaine, j’ai continué de travailler sur ce projet chaque jour et documenter notre réalité, changeante à l’infini. Le confinement m’a amené.e à accorder encore plus d’importance aux routines et au self-care. Je suis confiné.e avec mon partenaire et deux de mes meilleur·e·s ami·e·s donc j’ai beaucoup moins de temps seul.e que je ne l’étais avant, ce qui est représenté dans certaines images.
Bettina Pittaluga
Tous, en simultané, ensemble, privés de nos libertés les plus primaires.
Chez moi, celle de se déplacer vient y déposer le plus de poids.
L’absence de contact physique avec ma famille, mélangée à l’incertitude de la réouverture des frontières, me plongent dans des inconnues difficiles.
Ma famille est loin.
Elle me manque. Et je ne sais pas quand est-ce que je pourrai les embrasser à nouveau.
J’ai pris cette photo peu avant le confinement. Très vite, Sonia est venue incarner ce que représente pour moi la maternité. Très vite une forte connexion familiale avec Neïla et sa mère s’est installée. Ces photos sont l’illustration de tout ce que j’ai ressenti. Aujourd’hui plus encore, elles représentent ce que je souhaite de tout mon cœur, serrer très très fort dans mes bras ma famille.
Hélène Tchen
Depuis deux mois ma vie s’incruste dans une routine qui m’a tout d’abord drainée.
Tout ce temps que je n’ai habituellement pas m’a angoissé puis laissé libre court à réfléchir au monde qui m’entoure, repenser mes nécessités de vie, ce qui m’anime, voir passer dans mon chez moi et dehors le temps qui passe, la lumière qui passe, mes émotions venir et repartir.
Je regarde le temps qui passe. Je pense égoïstement à la nature qui me manque cruellement depuis mon vis-à-vis en béton. Le seul bout de nature que je peux m’offrir sont des fleurs de saison et ces fleurs je les regarde, j’ai l’impression d’avoir une personne devant moi avec toutes les émotions qui vont avec, quelqu’un qui évolue en quelques jours puis ensuite me salue élégamment jusqu’a notre prochaine rencontre.
Elles me font penser à ces femmes fortes que j’aime photographier et sur qui inévitablement je transpose mes espoirs et mes propres émotions.
Photographes confiné·es 1/4 : Emilie Hallard / Alexia Fiasco / Julia Grandperret-Motin / Chloé Sassi
Photographes confiné·es 2/4 : Silina Syan / Rosanna Lefeuvre / DaPurpleGhost / Léa Magnien
Photographes confiné·es 3/4 : Jehane Mahmoud / Adriana Pagliai / Mical Valusek / Nina Richard