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Et si pécho en soirée, c’était has been ?

Et si pécho en soirée, c’était has been ?

« Tous les jours c’est samedi soir », c’est la nouvelle chronique de Manifesto XXI sur la nuit et la fête. Ici, pas d’analyse musicale ni de décryptage de line-up. L’idée est plutôt de raconter avec humour ce monde de la fête que l’on connaît tout bas. Qu’est-elle devenue après plus d’un an de confinements ? Qui sort, et où ? Et bien sûr, pourquoi ? Manon Pelinq, clubbeuse aguerrie, entre papillon de lumière et libellule de nuit, tentera deux fois par mois d’explorer nos névroses interlopes contemporaines, des clubs de Jean-Roch aux dancefloors les plus branchés de la capitale.

Alors, c’était comment hier soir ? T’as pécho ? » Telle est l’éternelle question du dimanche après-midi, en ramasse avec tes potes ou sous la couette au chaud devant un film. Dans ta tête, le Saint-Graal, c’est de répondre « oui ! ». Mais est-ce que ça ne serait pas devenu un petit peu has been ?

Coucou c’est à nouveau moi, je ne sais pas si vous vous rappelez, on s’est eu·e·s il y a deux semaines, quand j’ai écrit sur la teuf de l’Huma. Non contente d’aller swinguer avec les gauchos les plus sympas du 93, je suis également la reine de l’overthinking avec un ascendant prise de tête (quoique, plutôt prise de tek’ quand c’est le week-end). J’étais dans un de mes moulinages nombrilistes quotidiens lorsque je me suis rendu compte que je ne chopais plus trop en soirée. À bien y réfléchir, quand j’étais plus jeune et insouciante, il m’arrivait souvent de me réveiller aux côtés d’inconnus notoires, et ça ne me dérangeait pas des masses, j’y éprouvais même une espèce de plénitude. J’avais pécho, j’étais satisfaite. Aujourd’hui, à 25 ans, l’idée de partager ma couche et mon intimité avec quelqu’un·e que je ne connais pas me fait plutôt froid dans le dos. Alors je me suis demandé si j’étais normale, et si les gens baisaient vraiment à donf pendant que moi j’étais rongée par la solitude au fin fond de mon lit. Du coup, je suis allée questionner des teufeurs et teufeuses sur le sort de leurs organes génitaux une fois le week-end arrivé.

D’abord, ça vient d’où cette idée que la fête, c’est « sexe, drogue & rock’n roll » ? « Je trouve qu’il y a tout un imaginaire qu’on a mis en tête à notre génération depuis petit·e·s. Dans les films américains comme Very Bad Trip, les Sex & the City… ça picole et ça baise dans les placards, m’explique S., une casteuse de 29 ans. Ça fait partie d’un ensemble culturel : je danse sur de la musique, je bois de l’alcool, je baise. C’est comme ça qu’on fait la fête. On n’a pas d’autres exemples de ce que ça peut être, alors on prend ce package-là. » Le souci, c’est qu’on n’est pas toustes égaux·les face aux baises de soirée. Et pas seulement d’un point de vue physique – on sait toustes que même si on ressemble à un pain sucé, on peut se taper Jason Statham, il suffit de le vouloir, tout est une question d’attitude, mais là est un autre sujet. 

La première question à se poser, c’est : est-ce qu’on en a vraiment envie ? Qu’est-ce que ça implique au plus profond de notre âme ? J’ai demandé à J., un homme d’affaires de 26 ans, s’il chopait encore en soirée : « Je suis trop timide donc je me drogue, quand je me drogue je ne ressemble à rien, personne ne veut me toucher donc ça renforce ma timidité. Du coup je laisse tomber l’idée de pécho et je sors pour la kéta, voir des gens, faire semblant d’exister. Tu connais. »

Comme un jeu

Quand on sort, on reste bien évidemment soi-même, mais on arbore le « soi » de soirée. On se prépare, on se met sur notre 36, on est marrant·e, on a envie d’être sa meilleure version. Elles existent, mais rares sont les personnes qui sortent pour faire la gueule et ne parler à personne. Dans ces cas-là, est-ce que la rencontre en soirée ne serait pas faussée ? S. vient confirmer ma théorie : « Quand je fais la night, je suis désinhibée, pleine de confiance en moi, hyper exubérante. Je suis en soirée quoi, en profusion de moi-même ! Si un gars me plaît et que je sens que je lui plais aussi, c’est ma target, je la travaille. Mais je ne peux pas me concentrer sur le reste. Certes, je vais quand même aller pousser des hurlements avec mes copaines, mais je vais avoir envie de faire la mignonne. Je vais avoir l’idée du regard de la personne dans ma tête… C’est horrible ce que je vais verbaliser, mais mon but, c’est le gars dans la soirée, et moi, ce qui m’intéresse, c’est de lui plaire, donc je me regarde dans ses yeux. Alors que si je suis uniquement avec mes copaines, je ne me regarde dans les yeux de personne, je suis juste moi-même, tu vois. Je me regarde dans le miroir des toilettes, à la limite. » 

Est-ce qu’on peut profiter de sa soirée et choper ? Pour J., 23 ans, financière, oui : « Moi, j’adore pécho en soirée. Par exemple, hier, j’étais à une soirée et je croise un mec devant les toilettes. Je lui demande s’il attend pour faire pipi, il me dit que oui. Alors je lui propose qu’on attende ensemble, je rentre avec lui dans les toilettes, je lui roule une énorme pelle, et je lui demande comment il s’appelle – mais je me rappelle plus, j’étais bourrée – du coup on commence à se pécho, et il me dit que c’est son anniversaire ! Je lui dis qu’il est Balance et que c’est trop cool, je le suce, je lui souhaite un bon anniversaire et je disparais, je retourne voir mes potes. J’aime bien faire ça, ça me donne de la force. Quand je me tape un mec pour moi, c’est comme un jeu. » 

Mais comme tous les jeux, ça en fait rire certain·e·s et pas d’autres. On est combien à s’être retrouvé·e·s dans des situations pas possibles dans un club ou en rentrant de soirée, à se dire qu’on n’avait pas forcément envie de faire du sexe avec cette personne-là, et que si on avait eu un coup de moins dans l’aile, ça ne serait pas arrivé ? Il y a plusieurs cas de figure : soit tu as trop bu et tu n’es pas en pleine possession de tes moyens, c’est-à-dire que tu ne sais pas si tu en as envie ou pas, soit tu te sens redevable sexuellement. Récemment, la notion de dette sexuelle a été mise en avant par Consentis, une association de sensibilisation et de prévention sur les violences sexuelles en milieu festif. C’est lorsque, par exemple, quelqu’un·e t’offre un verre, ou même plusieurs, ou bien que tu casses le dancefloor à ses côtés, et, qu’une fois qu’iel te propose de rentrer avec iel, tu ne vois pas comment tu pourrais lui dire non. Tu te sentirais bien ingrat·e de refuser, alors tu acceptes. Ce n’est pas normal : il faut toujours avoir en tête que, même si tu as passé une super soirée auprès de quelqu’un·e, tu ne lui dois rien, jamais. 

À la merci du male gaze

Pour moi, notre génération a les fesses entre deux chaises : nous vivons dans une époque où le sexe est libre, sans tabou (et c’est même le thème de certaines soirées), et en même temps, chacun·e a ses propres envies et sa façon de concevoir sa sexualité. Avoir des relations sexuelles, c’est « cool ». Mais, si on n’en a pas, est-ce qu’on est cool quand même ? G., 30 ans, qui travaille dans la mode, a réussi à force de déconstruction à se libérer de cette pression : « Ça fait longtemps que je traîne dans toutes les fêtes de type technoïdal, en squat… J’ai grandi dans l’idée que j’avais la chance d’avoir accès à la liberté sexuelle. Après, je me suis aperçu que j’étais piégé là-dedans. Ce n’est pas ce que je recherche, je n’ai pas envie de ça. Moi, je n’ai pas envie qu’on me dise que la norme, le cool, c’est des partouzes sous 3-MMC (une drogue de synthèse souvent utilisée dans le milieu gay) à 5h du matin. J’ai compris que j’avais le droit de dire ce dont j’avais envie, que ce soit en termes de fête, en termes pro, perso, et sexuellement. Du coup, en soirée, je ne chope plus, parce que j’ai envie que ce soit quand je veux, où je veux, et avec qui je veux. »

G. est gay, et il est vrai que le chemsex (le fait de faire du sexe sous drogue) est plus répandu dans le milieu homosexuel masculin, mais S., hétéra, établit à peu près le même constat, la drogue en moins : « Je pense qu’on est dans une société qui encourage [au sexe]. Je me suis sentie vachement encouragée par les productions culturelles audiovisuelles, ne serait-ce que dans les séries, à avoir des coups d’un soir. En fait, la révolution sexuelle nous a dit : maintenant que t’as le droit de baiser, si tu ne baises pas c’est pas normal. » Personne ne nous dit que contrôler sa sexualité, c’est aussi faire le choix de ne pas se faire tringler comme un rideau. C’est pour ça que quand tu n’as pas de rapport sexuel, tu demandes à tes ami·e·s si t’es normal·e, si elleux aussi n’ont pas vu le loup depuis six mois, que tu as besoin de te rassurer, finalement. 

A contrario, une fois que t’as tiré ton petit coup (généralement même pas si dingue), ouf, tu peux le raconter aux potes, te sentir validé·e à leurs yeux et aux tiens, et te dire que rien ne cloche chez toi. Une certaine vision de la sexualité qui ne fait du bien à personne, sans compter le sentiment d’exclusion qu’il accentue chez les personnes asexuelles. Alors je vous propose qu’on arrête avec tout ce game. C’est encore S. qui a mis ça en mots d’une manière qui me semble tout sauf déconnante : « Avant, je me racontais des histoires. Je me disais : j’ai grave envie de baiser, j’ai une grosse libido, je suis une meuf hyper sexuelle, je baise trop bien et je fais ce que je veux ! Ça fait partie de tout un mythe, et finalement, c’est un peu la carotte du féminisme occidental qui te dit de faire ce que tu veux avec ton corps. Mais en fait, c’est encore répondre aux désirs des hommes. » 

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Vouloir conclure à tout prix en soirée, c’est inconsciemment se mettre à la merci du male gaze. Et si on ne cherchait pas à choper en soirée, mais plutôt à se faire des ami·e·s (si toutefois, nous en ressentons l’envie) ? S’intéresser aux personnes autour de nous sans s’imaginer leur grimper dessus ? Ceci étant dit, tant mieux si Cupidon décoche sa petite flèche au passage, mais en s’enlevant cette idée de la tête, on y gagnerait sûrement au change. Rien que d’un point de vue pratique, on respirerait mieux sans se saucissonner dans des vêtements pour plaire à l’être même pas encore aimé.

Dans l’imaginaire collectif, du moins celui qu’on nous a mis en tête depuis tout·e jeune, le désir sexuel vit et se cristallise la nuit, en tous cas, avec l’inconnu. Avoir discuté avec toustes ces fêtard·e·s me donne le sentiment qu’il est peut-être temps de se poser des questions pour soi et d’ouvrir le rapport à l’intime à d’autres schémas que celui de l’hyperconsommation sexuelle. Évidemment, cela n’est que ma réflexion personnelle, et cet article qu’une première exploration de la drague en 2021 et des pressions que peuvent ressentir notre génération de teufeur·se·s à ce sujet. Je me demande aussi si, après une année de pandémie, notre rapport à l’autre en soirée n’aurait pas changé. Après avoir été coupée du monde pendant presque un an, j’ai envie de liens réels, qu’on prend le temps d’approfondir et de chérir. C’est ce que m’a confirmé C., 26 ans, directeur des opérations d’une maison de mode : « Depuis les confinements, mes habitudes en teuf ont changé. J’ai envie de profiter de mes ami·e·s, des autres. Choper n’est plus autant sur ma liste d’objectifs. »


Photo de couverture : © Otto Zinsou

Tous les jours c’est samedi soir #1 : Fête de l’Huma 2021 : danse-t-on toujours à gauche ?

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