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Parés à débattre : 10 essais à lire pour la rentrée 2018

Parés à débattre : 10 essais à lire pour la rentrée 2018

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La rentrée littéraire pointe déjà le bout de son nez et vous n’avez pas encore ouvert un bouquin de l’année ? On vous a justement préparé un best-of des essais parus depuis le début de l’année, idéal pour se muscler les neurones avant la rentrée, déclencher une baston à la plage (pour ceux qui sont encore en vacances) ou bien répondre à des questions existentielles.

Politique et pop culture, féminisme et racisme, récits coup de gueule et essais coups de poing : Dans cette sélection, il y a des petits manuels de combat, des démonstrations très documentées, des récits vivants et soutenus par de solides bibliographies, une biographie et des témoignages. Des pages d’idées, à feuilleter ponctuellement ou à dévorer de A à Z directement. 

Gros n’est pas un gros mot, de Daria Marx & Eva Perez-Bello du collectif Gras Politique (Librio)

Au rayon des discriminations, on ne pense pas souvent à celles liées au poids. Et pourtant. Chaque chapitre de cet ouvrage présente une thématique particulière avec le but de mettre en lumière la grossophobie de nos sociétés. Grossophobie que les auteures définissent comme « l’ensemble des attitudes hostiles et discriminantes à l’égard des personnes en surpoids », preuves à l’appui avec les témoignages, majoritairement de souffrance, recueillis. Force est de constater que l’on n’imagine pas un seul instant la charge mentale induite par un poids anormal, du dégoût d’autrui au quotidien au mépris des soignants et des institutions. Un livre d’une centaine de pages utile à tous, au sens où il peut bien évidemment permettre aux gros d’y trouver un soutien, mais surtout aux curieux qui le liront d’essayer de se débarrasser d’un certain nombre d’expressions particulièrement vexantes (« Tu pourrais faire un effort », « Tu as tellement de courage… », « Mais tu as un joli visage… »). Les gros savent trop bien qu’ils sont gros, pas la peine de tourner autour du pot : les auteurs recommandent bien d’utiliser le mot.

N.B : Si, aux dîners de famille, vous entendez des « Mais aujourd’hui ça s’opère… », vous serez en mesure de raconter les déboires de la chirurgie bariatrique grâce au chapitre sur « Les chirurgies de l’obésité ». Et les histoires d’anneaux gastriques et de sleeve gastrectomie ont le double effet de couper l’appétit à un lecteur néophyte et de rabattre un caquet.

En finir avec la culture du viol, de Noémie Renard (Les petits matins)

Préfacé par la grande historienne du féminisme Michelle Perrot, qui dit elle-même que « ce livre paraît au bon moment » : la remarque vulgaire sur la tenue d’une femme, et l’agression sexuelle bien identifiée, sont les mêmes symptômes de ce qu’on appelle la culture du viol et que l’on a bien du mal à définir, donc à combattre. C’est à cette tâche que s’est attelée la chercheuse en biologie et bloggeuse (antisexisme.net) Noémie Renard. Le résultat est un petit manuel de combat, très dense, et surtout très rigoureux.

Dialectique de la pop, d’Agnès Gayraud (La Découverte)

Agnès Gayraud est docteure en philosophie et auteure d’une thèse sur Theodor Adorno, auteur du concept clé d’industries culturelles, qu’elle qualifie de hater de la musique populaire. Tout juste paru, cet ouvrage prolonge sa réflexion sur l’industrie du son. Elle y défend l’idée que la pop est un art musical à part entière, et non un sous-genre. Ce livre arrive à point nommé pour permettre de penser enfin ce phénomène, à un moment où la pop n’est pas le genre musical dominant, mais où le monde est pop, comme le chante Alain Chamfort dans une de ses dernières chansons (« Tout est pop »). Agnès Gayraud joue et compose aussi sous le doux nom de La Féline.

La pensée en otage, d’Aude Lancelin (Les liens qui libèrent)

Chers lecteurs, si cet été sur la plage vous n’avez lu que Voici ou Closer (pour faire les mots croisés bien sûr), si au moment d’aller chercher des clopes dans un bar PMU-point presse où BFM TV tourne à plein,  vous n’avez pas eu envie d’acheter un seul titre pour vous informer, ce n’est pas totalement votre faute : il y a bien quelques petits problèmes dans les médias français (scoop). Après un semestre 2018 un peu tendu côté presse, avec les expériences ratées, tant sur le fond que sur le business model, d’Ebdo et de Vraiment, il est bon de lire La pensée en otage, paru en janvier, qui fait mouche sur bon nombre de problèmes du système médiatique.

Là où le premier essai-pamphlet d’Aude Lancelin, Le monde libre, s’attardait sur les travers de la presse papier, cet essai (issu d’une conférence), est enrichi d’un regard critique sur les réseaux sociaux, la précarisation du métier et la situation aux États-Unis. En passant en revue sept idées fausses qui empoisonnent notre vision des médias et du journalisme, et à constater l’acharnement du gouvernement à discréditer le travail de presse comme le raconte une enquête de Vanity Fair tout juste parue, on retiendra une conclusion bien précieuse, qui nous fera chérir n’importe quel débat : « Il est très difficile de ressusciter un espace intellectuel démocratique quand il a été entièrement dévasté ; mieux vaut faire en sorte qu’il ne meure jamais. »

Noire n’est pas mon métier, ouvrage collectif (Seuil)

Lâché en plein festival de Cannes, Noire n’est pas mon métier, est un recueil de témoignages précieux qui fait déjà date dans la culture française. À travers la voix des 16 comédiennes et actrices noires qui y ont contribué, le livre racontent le racisme plus ou moins explicite, plus ou moins ordinaire, des mondes culturels. Et alors que #metoo a fait si peu de bruit dans le cinéma français, il y a parmi ces récits à la croisée du racisme et du sexisme, un rare témoignage d’agression sexuelle et raciste, celui de Mata Gabin. Le livre montre in fine que les principaux verrous à l’évolution des représentations et des mentalités se situe dans les critères fixés par ceux qui dirigent les industries culturelles. La démarche initiée par la comédienne Aïssa Maïga, reste optimiste, comme elle se décrit elle-même dans son introduction : « Je ne crois pas qu’il y ait une volonté affirmée de ne pas représenter toutes les catégories de femmes. J’observe plutôt l’absorption inconsciente d’une norme, d’une histoire coloniale qui façonne toujours nos esprits, trois générations après les luttes et guerres d’indépendance des pays anciennement colonisés. Il y a là un terrible impensé.» 

Vegan order, de Marianne Celka (Arkhé)

Plus d’excuse cette année pour comprendre pourquoi vous mangez du tofu : sous-titré « Des eco-warriors au business de la radicalité », cet essai de la sociologue pose un regard critique sur le véganisme, tout en retraçant ses origines et ses ramifications militantes. Anti-spécisme, véganisme, kézako ? Ces deux grands concepts sont issus d’un même courant de réflexion, l’animalisme. Marianne Celka met bien en lumière comment la reconnaissance de la sensibilité d’autres êtres vivants questionne en fait la notion même d’humanité, et nourrit sa deuxième branche, sujette à plus de critiques, le véganisme. Elle conclut (spoiler alter) que, comme tout mouvement contestataire et contre-culturel, le véganisme finit par être récupéré par une logique consumériste et capitalistique.

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Un coup d’Henry Spira

La théorie du tube de dentifrice, de Peter Singer (Éditions Goutte d’or)

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La maison d’édition du 18è arrondissement a eu la très bonne idée de traduire ce livre du philosophe Australien Peter Singer, considéré comme un des philosophes vivant le plus influents au monde. Sous ce nom trivial se cache la passionnante biographie d’Henry Spira, un activiste surdoué qui réussit par exemple à caler la publicité ci-dessus dans le New York Times en 1980 et faire pression sur Revlon pour faire cesser les tests dermatologiques sur les lapins. D’abord fervent socialiste, syndicaliste, militant pour les Droits Civiques, Henry Spira dédie une grande partie de son énergie à la cause animale qu’il découvre via les écrits de Peter Singer. Le titre original du livre éclaire plus sur l’apport de la pensée du militant – Ethics Into Actions – et sur un aspect intéressant de l’écriture de ce parcours,  le dialogue entre des concepts abstraits écrit par le philosophe et la concrétisation de ses idées par le militant.

Éloge des mauvaises herbes, ouvrage collectif (Les Liens qui libèrent)

Alors que l’on a assisté à l’expulsion particulièrement violente de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes au printemps, « la marque d’un usage tellement disproportionné de la force qu’il est lourd de sens politique », comme écrit très justement la journaliste Jade Lingraad en introduction, cet ouvrage a une saveur particulièrement corsée. Préfacé par le très critique anthropologue anglais David Graeber (auteur de la notion de bullshit jobs), cet éloge rassemble la vision de 16 personnalités très différentes sur la ZAD. Écrivains, sorcières, éco-féministes, universitaires ; expériences, souvenirs, critiques politiques, hommage au laboratoire politique : chacun a mis ce qu’il voulait dans ce projet écrit dans l’urgence, pour amorcer une réflexion intellectuelle spécifique sur les espaces d’expérimentation politique. Ces herbes folles annoncent, pour un des auteurs, les forêts de demain. Ce recueil offre en tout cas une matière fertile, pour réfléchir et se souvenir que la violence d’État n’est pas un mythe. La réalisatrice Amandine Gay signe un texte piquant, renvoyant les milieux militants alternatifs écologistes à leur incapacité à inclure les racisés et penser une utopie vraiment inclusive pour les non-Blancs.

Le plus beau métier du monde, Giulia Mensitieri (La Découverte)

Aussi bien documenté que bien écrit, ce livre de l’anthropologue Giulia Mensitieri dresse une critique magistrale du fonctionnement de toute l’industrie de la mode. Fondé sur une enquête immersive de longue haleine, quiconque ayant travaillé de près ou de loin dans la mode peut y reconnaître des situations familières. Un ouvrage qui ne devrait d’ailleurs pas intéresser que les modeux, car le fonctionnement de l’industrie s’applique d’une manière générale aux métiers de la culture (et bien d’autres), où on retrouve souvent l’équation diabolique job-mal-payé-mais-prestigieux-donc-mauvaises-conditions-de-travail.

Les joies d’en bas, de Nina Brochmann et Ellen Stokken Dahl (Actes Sud)

Tout, tout, tout vous saurez tout sur le minou… Avant d’écrire un best-seller international, les deux auteures et docteures norvégiennes ont commencé à tenir un blog en 2005, alors qu’elles étaient étudiantes. Prendre possession de son corps, c’est pour elles d’abord le connaître et pouvoir faire des choix éclairés. Le plaisir est bien une chose sérieuse et politique, mais aussi un enjeu de santé publique. Les révélations de ce livre, traduit dans une trentaine de langues, vont de l’usage des rasoirs à lame simple pour se raser (oui oui, ceux pour hommes) – les lames multiples coupent le poil sous la surface de la peau et entraînent des complications -, à comment savoir reconnaître les différents types de pertes (qui sont indispensables, quote : « Le vagin est un véritable cylindre autonettoyant »), et jusqu’aux subtilités de la vulvodynie (ndlr : les douleurs de la vulve)… Drôle et digeste.

Bonus : SCUM Manifesto, Valérie Solanas (Éditions Mille et Une Nuits)

Comme le faisait très justement remarquer Frictions Magazine, cet essai radical paraissait il y a 50 ans, en août 1968. Anniversaire peu célébré car il demeure très largement méconnu en France. Peut-être à cause du titre : selon la traduction, SCUM signifie « Association pour tailler les hommes en pièces » ou « Association pour couper les couilles des hommes ». Tout un programme. Cet essai radical, misandre, ne laisse en tout cas pas indifférent. Exubérant, extrémiste, à une époque où les Incels font les gros titres, on peut bien s’offrir la lecture d’un pamphlet qui commence somme toute par une bonne vérité sur l’époque (à laquelle il a été écrit) : « Vivre dans cette société, c’est au mieux y mourir d’ennui. Rien dans cette société ne concerne les femmes. »

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