Autrice féministe, co-créatrice du fanzine It’s Been Lovely But I Have To Scream Now, Marcia Burnier livre dans son premier roman Les Orageuses un récit poignant, mettant en scène une bande de jeunes femmes en quête de justice. Rencontre.
« Prenez soin de vos copines et de votre colère ! » lance Marcia Burnier à la fin de notre entretien. Une phrase lancée comme un « au revoir », mais qui illustre pourtant parfaitement le propos des Orageuses. Dans ce premier opus, publié en septembre dernier aux éditions Cambourakis et fortement plébiscité par la critique, la jeune autrice d’origine suisse livre un récit d’une grande justesse, mettant en scène le combat de sept jeunes femmes : Mia, Inès, Lila, Leo, Nina, Lucie et Louise.
Toutes sont traversées par le même mal, le trauma d’un viol, douleur irréversible, évènement indélébile, que le droit français peine encore aujourd’hui à prendre en considération. Pour tenter de pallier ce vide, une seule perspective se présente alors à elles : se faire justice par elles-mêmes, entre sœurs, galvanisées par la puissance du collectif.
Formée à la lecture avec Judy Blume et Dorothy Allison
Pour Marcia Burnier, tout commence pendant l’enfance. Toute petite, elle se prend de passion pour les livres, quitte à se défaire un peu du monde qui l’entoure. Et à l’adolescence, elle fait la découverte du travail de l’autrice américaine Judy Blume. Ses ouvrages la confrontent alors au quotidien de jeunes gens de son âge, vivant leurs premiers émois, leurs transformations physiques et autres expérimentations juvéniles en tous genres. « Ses livres m’ont accompagnée pendant cette période » amorce la jeune femme qui se souvient : « J’ai toujours beaucoup lu et en famille on lit de tout. Très peu de classiques, mais plein de choses différentes. Je me rappelle que petite, j’allais chez mes copines et s’il y avait un livre qui traînait, je pouvais me désintéresser de tout et me plonger exclusivement dans cette lecture. »
Mais très vite, les grands noms de la littérature lesbienne animent Marcia. Les livres de Lola Lafon, Deborah Levy ou encore l’autrice activiste Dorothy Allison marquent son parcours de lectrice et deviennent progressivement de véritables piliers dans sa vie de femme. « Dorothy Allison est arrivée très tard. Ça ne fait que cinq, six ans finalement que je me suis mise à la lire car on me l’a présentée comme l’une des figures incontournables de la littérature lesbienne. Cette année, j’ai pu lire aussi Le Coût de la vie de Deborah Levy et Ce que je ne peux pas savoir. J’aime ce type de lecture, très juste, que je peux partager avec tout le monde. Ce sont des lectures qui m’ont marquée, que je relis et qui sont aujourd’hui comme des refuges » poursuit la trentenaire au verbe franc.
Diffuser ces textes vient réparer quelque chose sur la valeur de l’écrit.
Marcia Burnier
Des premiers pas en tant qu’autrice…
À cet amour de la lecture, vient s’ajouter un appétit grandissant pour l’écriture jusqu’au début de sa vingtaine. Après plusieurs années d’arrêt drastique, elle reprend la rédaction, vers ses 26 ans, à la suite de la lecture d’un article sur un campement de migrants dans les colonnes du webzine Retard Magazine. De fil en aiguille, elle retrouve un but à sa pratique et découvre le plaisir de partager ses écrits. Pour le média, elle rapporte les témoignages et les vécus de personnes invisibilisées, documente le quotidien de ses collègues travailleur·ses sociaux·les et constate progressivement l’intérêt d’avoir une audience : « J’ai retrouvé le goût de l’écriture quand j’y ai trouvé du sens. Je me suis mise à écrire sur le social et les retours des travailleur·ses sociaux·les sur mon travail ont fini par me lancer » se souvient Marcia. Elle poursuit : « Il y a un vrai enjeu qui peut être sous-estimé. J’ai l’impression que lorsqu’on parle d’écriture, on dit qu’il faut écrire pour soi, mais quand il s’agit de voix minorisées, racisées, queers, des voix de meufs, ces histoires-là sont moins valorisées et je pense que la diffusion prend ici une toute autre ampleur. Diffuser ces textes vient réparer quelque chose sur la valeur de l’écrit. »
Puis vient la parution de It’s Been Lovely But I Have To Scream Now créé avec son binôme et amie Nelly Slim. Dans ce fanzine, les deux jeunes femmes partagent des textes d’ami·es, de « sœurcières », d’inconnu·es, des écrits que l’on peine à trouver dans d’autres circuits et qui sont pourtant plus que nécessaires. « Un jour, je me rappelle être tombée sur un texte très personnel de Nelly, sur un blog. Et à l’époque, je me suis dit qu’il fallait que ces textes soient lus et vus. Je lui ai proposé de mettre en place un zine pour que nos textes et nos paroles soient rendues visibles et audibles. À ce jour, il y a eu 17 numéros. On a publié une quarantaine de personnes et ça a vraiment été une expérience cool » développe la jeune autrice.
Je voulais rendre hommage aux femmes de mon entourage, et rendre compte de l’expérience de la sororité que j’ai moi-même vécue.
Marcia Burnier
… À la publication du premier roman
En parallèle, Marcia écrit pour elle. Quand elle a du temps, elle développe des bribes de récits fictionnels qu’elle garde ici et là sans y accoler de forme précise. Un jour, poussée par ses ami·es, elle s’inscrit dans un atelier d’écriture qu’elle suit avec assiduité. Le but de ce rendez-vous est alors de rédiger le début d’un roman. Marcia se prend au jeu, poussée par l’animatrice qui l’incite à continuer son récit. S’en suivent alors des résidences entre copines pour poursuivre l’écriture jusqu’à la finalisation du premier manuscrit… « Après un dernier coup final sur la rédaction du manuscrit, je l’envoie en juillet 2019 à une dizaine de maisons d’édition et personne ne me répond. » Jusqu’à ce que le nom de Cambourakis croise son chemin : « Je suis un peu dépitée et une copine me dit de l’envoyer à Isabelle Cambourakis, et je le fais pour avoir son avis. Elle finit par me dire qu’elle veut l’éditer. Ça, c’est en octobre 2019. On se met à la correction et au travail sur le manuscrit jusqu’en avril 2020. Ça a été hyper précieux de travailler avec elle » conclut la primo-romancière.
Les Orageuses, un roman viscéral
Dès sa sortie, Les Orageuses connaît un véritable succès critique tant ce roman touche les lecteur·ices par son authenticité. Ici, pas de dramaturgie accrue, mais un récit qui se met au niveau des victimes, sans jamais vouloir les écraser sous le poids de lourds détails sordides. « C’est un point de départ qui était très clair pour moi. Je voulais éviter le plus possible ce qui moi me dérange dans cette littérature sur le viol. Je ne voulais pas être dans le détail. » Un parti pris que Marcia Burnier justifie par son expérience de lectrice : « Ce que j’ai le moins lu, c’est de proposer des pistes de réflexion sur ce que l’on fait ensemble mais aussi sur le quotidien, comment on construit des amitiés, comment on se soutient. Et il y a aussi un autre aspect : des fois, quand il y a trop de détails, je me demande pour qui le livre a été écrit. Je ne suis pas sûre que nous, victimes de viol, soyons dans l’esprit de l’auteur ou de l’autrice qui rédige. »
Toute la force des Orageuses réside dans cette volonté de mettre en lumière la dimension sororale et la force du collectif pour dépasser les traumatismes. C’est par le pouvoir des sœurs que l’on s’en sort, c’est par ce lien indéfectible de l’amitié que l’on parvient à panser ses plaies. « Les amitiés qui tiennent sont celles qui m’ont fait tenir pendant longtemps. La question est de savoir ce que tu fais ensuite, la question du soutien et de la sororité se pose au quotidien. » Ce prisme qui est intimement lié à l’histoire de la jeune autrice qui résume sa démarche ainsi : « Pour ce roman, je suis partie de ce que je connaissais. J’ai été victime de violences, je suis moi-même passée par là. Je n’avais pas d’autres prétentions que d’écrire sur ce que j’avais vécu. Je voulais rendre hommage aux femmes de mon entourage, celles qui l’ont vécu, et rendre compte de l’expérience de la sororité que j’ai moi-même vécue. »