Un mois sur le minimalisme en pleine période de fêtes nous coiffe clairement d’une casquette de rabat-joie, certes. Mais pas que ! Parce que voyez-vous parfois LESS IS vraiment MORE. Prenons une recette d’une évidente simplicité, par exemple le cocktail Hunger Games, la trilogie de Suzanne Collins dont le 3ème volet est en ce moment au cinéma. Il faut mettre dans le chaudron : une fille sexy, une histoire d’amour impossible, un peu de sang et vous avez là le futur phénomène mondial pour minettes en chaleur. Terriblement simpliste me direz-vous ? Pas si sûr…
UN MYTHE MODERNE
Hunger Games est une histoire atemporelle et universelle, tout le monde peut se sentir concerné. D’abord, parce qu’on ne sait pas vraiment quand ont lieu les Jeux de la Faim. N’eurent-été les hovercrafts et autres technologies de pointe, nous serions bien en peine de donner une date à l’histoire. D’un côté, on a les costumes des habitants du Capitole mêlant futurisme et personnalisation à l’extrême : cheveux de toutes les couleurs, accessoires loufoques, chirurgie esthétique. Chacun se modèle un corps à son goût, pour se démarquer et se forger un soi qui pourrait être un nous d’ici quelques années. De l’autre côté, dans les districts pauvres, les habitants portent des tenus mornes et tristes si bien que nous pourrions être en train de regarder l’adaptation de Germinal de Claude Berri.
Pour autant, Hunger Games fait également référence à des temps encore plus anciens… l’âge d’or des héros. L’âge du mythe de Thésée. Dans la mythologie greco-romaine selon Virgile, sept jeunes garçons et sept jeunes filles étaient envoyés chaque année en expiation dans le labyrinthe qui servait de prison au terrible Minotaure. Le Roi de Crète, Minos avait instauré l’expiation après le meurtre de sa fille par le roi de Grèce, Egée. (Pour l’anecdote : Thésée, fils d’Egée, parvint à tuer le Minotaure et à sortir du labyrinthe grâce au fil de sa bien-aimée Ariane ! )
C’est empreints de références mythiques et historiques que les Hunger Games s’inscrivent dans la science-fiction. Il y a donc un jeu sur une ambiguité passé et avenir mais aussi sur une opposition géopolitique… Nord et Sud.
La richesse, les préoccupations, l’oisiveté des habitants du Capitole sont un miroir déformé des pays développés. L’excès y est roi. Au Capitole, les mondains se font vomir pour pouvoir goûter à tous les plats. En revanche, les autres districts reflètent sans équivoque possible les pays les moins avancés où la préoccupation principale reste pour 800 millions de personnes : trouver à manger. L’arme de Katniss, son arc, est avant tout son seul moyen de sustentation ! Et entre les deux, ces fonctionnaires des districts qui se complaisent dans le système et qui tentent d’en tirer profit interrogent l’explosion des inégalités dans les pays émergents. On peut filer la métaphore un peu plus quand on remarque que chaque district se spécialise dans la production dans laquelle il est le meilleur : le 12 les mines, le 4 la pêche, le 11 l’agriculture, etc.; et ce afin de satisfaire au mieux les exigences du Capitole qui fournit les capitaux. Si ça c’est pas de la division internationale du travail… que le grand Ricardo me croque.
Au Capitole, on ignore la misère des autres districts, ou on feint ne pas la voir… D’ailleurs tout est fait pour que les districts en sachent le moins possible les uns sur les autres. Dans Les origines du totalitarisme, Hannah Arendt montre qu’une dictature stable n’est possible que lorsque toute solidarité a été brisée et que le peuple est séparé, qu’il ne peut y avoir ni de contact ni d’échanges. A Panem, on ne peut pas quitter son district. Souvenez-vous du mythe de Babel, si les hommes ne peuvent pas communiquer entre eux ils sont moins forts ! Du coup, quand on allume la télévision et qu’on se rend compte que c’est à 90 % des chiens écrasés et à 10 % de l’actualité internationale, il y a de quoi se poser des questions.
PANEM ET CIRCENSES
Suzanne Collins eut l’idée des romans lorsqu’elle zappait à la télévision. Des images de la guerre en Irak succédaient à une émission de télé-réalité… Les dirigeants ont toujours su détourner notre attention des difficultés en nous montrant des choses qui brillent plus. Nous nous divertissons et nous en oublions nos vrais problèmes, confortablement assis que nous sommes dans notre canapé. Etymologiquement, divertir signifie d’ailleurs se détourner. Divertir les masses pour les apaiser et les détourner de leurs problèmes était le maître-mot des empereurs romains : PANEM ET CIRCENSES, « du pain et des jeux du cirque ». Cette expression était utilisée pour dénoncer les Empereurs qui faisaient des jeux et des distributions de pains un moyen pour s’attirer la sympathie de la foule malgré l’oppression. La vie de la Cité s’organisait alors autour des jeux et des paris sur tel ou tel gladiateur. Est-il encore besoin de rappeler le nom du pays dans lequel l’histoire de Hunger Games se déroule ?
De nos jours, y’a plus de combats de gladiateurs mais quand on est Brésilien pas de panique, on a la Coupe du Monde de Football, et quand on est Français on a Nabilla. Attention je n’ai pas dit qu’elle ressemblait à un gladiateur, mais c’est presque ça. La télévision a juste remplacé les arènes. Dans les Hunger Games, plus la situation politique dérape, plus le Capitole bombarde la télévision d’émissions futiles. Les dirigeants du Capitole vont ainsi utiliser Katniss comme objet de distraction. « Quelle robe portera t-elle le jour de son mariage ? Flagellations. » pour citer l’un des conseillers du « président » Snow. Car l’instrumentalisation des médias s’accompagne toujours, dans une bonne dictature, d’une répression massive.
La plupart des critiques négatives à la sortie de Hunger Games Mockinjay Part 1 ont pointé du doigt le fait qu’il n’y ait pas de « combat final » et qu’il faille encore attendre. Pourtant, la partie 1 est justement consacrée au renforcement de la répression et de la propagande à Panem. La beauté de ce film réside selon moi dans l’escalade en tourbillon de la terreur dans laquelle tous les spectateurs sont embarqués. Sommes-nous dès lors en marche vers la dictature ? Est-ce là le message ? Ou n’est-ce qu’un film pessimiste de SF de plus ?
La science-fiction cristallise la peur que nous développons à l’égard d’une mauvaise utilisation des sciences, en montrant une vision du futur terriblement négative. Dans les Hunger Games, les tributs sont équipés d’un mouchard, impossible d’échapper au contrôle du Capitole. De là à conclure que c’est inspiré de l’idée d’implanter les cartes d’identité électroniques dans le bras des citoyens, il n’y a qu’un pas. De même, pour s’approprier le pouvoir, le Capitole développa une innovation génétique particulière : les geais bavards. Ceux-ci avaient la faculté d’espionner les conversations et de les répéter au Capitole afin d’identifier les dissidents.
Le pouvoir de coercition est permis par l’omniprésence des moyens de surveillance, à la façon d’un Panoptique selon Bentham. On se tait, ou alors on n’a rien à cacher, alors pourquoi craindre la surveillance du gouvernement ? Et ainsi, grâce à la prévention du risque, les foules restent pacifiques… Délire futuriste ? Grâce aux nanotechnologies, le complexe militaro-industriel a développé des caméras-espions ressemblant traits pour traits… à des insectes. Alors entre tous les profils publics sur les réseaux sociaux, les caméras de surveillance, les télé-réalités et les drones, il y aura bientôt de quoi avoir l’impression de s’appeler Truman !
Mais pas de panique, la bataille n’est pas perdue. Finalement, le Capitole tombe, son propre système s’est retourné contre lui comme le symbolise le geai moqueur. Les geais moqueurs sont nés de l’accouplement des geais bavards (évoqués plus haut) avec d’autres oiseaux. Le Capitole n’a pas pu tout contrôler jusqu’au bout ! Symbole de Katniss, le geai moqueur devient celui de la révolution du peuple de Panem, il est le symbole de l’unification du peuple contre le Capitole. Celui-ci est tombé, et ses petits protégés, infiniment riches et exemptés des Jeux de la Faim constatent alors la misère par-delà leur frontière… Une belle leçon en somme que nous donne Suzanne Collins, leçon que les producteurs ont transformé en coup de maestro.
LA PLUS GROSSE ESCROQUERIE CINEMATOGRAPHIQUE
En réalité ce qui me fascine le plus dans cette saga c’est finalement la mise en abîme de la réflexion. N’est-elle pas en train de faire exactement ce qu’elle dénonce ? Son héroïne fait office de mademoiselle tout le monde et l’on s’y reconnait toutes, mais qui ferait preuve d’un tel courage ? Justement : sûrement pas tout le monde. Le choix de Jennifer Lawrence pour incarner Katniss n’est pas anodin : canon certes, mais relativement simple et naturelle. La campagne promotionnelle joue d’ailleurs très bien sur le côté hyper accessible et blagueur de l’actrice. Chaque jeune fille s’y reconnait un peu.
Mais qui peut vraiment prétendre avoir quoi que ce soit en commun avec elle ? Oscarisée à 22 ans, diplômée avec deux ans d’avance, actrice la mieux payée d’Hollywood en 2014, salut les gars laissez tomber elle est ouf cette nana. Pourtant, en lisant ou en regardant Hunger Games on se complait dans l’idée que ça pourrait très bien être nous ce symbole de la révolution, ce monstre de courage et d’espoir. Mais non, car déjà la révolution est tuée dans l’oeuf. Parce que quand on regarde le film et qu’on rêve de liberté, ben finalement, on est bien enfoncé dans notre fauteuil de cinéma à s’empiffrer de pop-corns et à se gratter le cul (éventuellement).
Aujourd’hui, le système capitaliste s’essouffle mais faut-il attendre que nous éteignions les téléviseurs pour agir dans le sens d’un monde plus juste ? Déjà les geais moqueurs s’affichent dans les rues et se dessinent sur les plages du débarquement… Le début de la rébellion ? Non, juste une campagne promotionnelle pour la sortie du 3ème opus extrêmement bien pensée. La boucle est bouclée.
Retrouvez l’article sur Jactiv Ouest France !
La fin est très pessimiste, quand en parallèle de la sortie de ce troisième film, ya le hashtag #MyHungerGames qui a été lancé par l’HPA. =)
Malheureusement, la réalisation ainsi que la mise en scène sont mauvaises (des les premiers longs dialogues : carnet ouvert / fermé / ouvert sur des plans qui se suivent…). Ne parlons pas du choix des musiques qui viennent combler l’ennuie et le manque cruel d’action de ce 3ème volet. Ça aurait dû être un bon film, mais le manque de cohérence de l’ensemble fait de ce film un véritable navet.