Le nouvel EP de l’artiste suisse, expérimental et onirique, dialogue avec la nature. Plongée dans cette excursion par-delà le vivant.
Des titres de tracks qui sonnent comme autant de moments dans l’ordre naturel. D’abord, la foudre qui s’abat. Puis la pluie qui tombe. Et enfin l’eau qui coule sur la terre. Avec Orlando, Nelson Beer encapsule des sons primaires, enregistrées au plus près de la nature. Il se joue de ces sonorités brutes, les faisant monter dans les aiguës, jusqu’à les rendre plus fortes et plus puissantes – les déclinant dans tous les sens pour mieux nous les faire écouter puisque, justement, on avait fini par ne plus les entendre.
Les sept titres du mini-album sont ainsi parsemés de feux qui crépitent, de grillons, de toutes les bêtes et les oiseaux, de tous ces cris qui résonnent à la tombée de la nuit. « Forma » annonce ainsi le début de ce voyage sonore et onirique. Le titre qui ouvre l’EP, tout en bruits sourds, fait d’échos et de crépitements sonores inintelligibles, semble nous plonger, par-delà les époques, dans les entraves de la terre. Avant qu’« Orlando », le titre suivant, nous remmène à la surface, au rythme de la musique et des lyrics de Beer.
« Orlando ». C’est le nom choisi par Nelson Beer pour ce nouvel EP et pour le second morceau de l’album sorti en janvier… mais c’est aussi le personnage éponyme créé par Virginia Woolf un siècle plus tôt. Dans son roman publié en 1928, l’autrice anglaise met en scène un personnage en transition dans tous les sens du terme.
D’abord homme avant de se faire femme, iel traverse les siècles et les époques en quelques pages, côtoie des reines autant que des tziganes, aime les femmes puis les hommes. Woolf invente un personnage changeant, un mutant qui interroge la norme. Lorsque se dessinent les contours d’une personnalité, quand on pense enfin avoir compris qui iel est, et où iel va, Orlando surprend, fuit et change de voie.
À rebours de ses précédents titres résolument plus pop et moins expérimentaux, Nelson Beer se fait ici Orlando avec Orlando. Ou plutôt il semble y avoir insuffler quelque chose de l’essence même du personnage woolfien. Beer joue avec des sonorités issues de panoramas naturels divers et mêle différentes techniques musicales. S’y donne ainsi à entendre une matière fluide, en constante métamorphose au gré de tous ces bruits que l’on entend lorsqu’on marche dans la nature.
« J’ai été inspiré par […] des techniques d’enregistrement comme le field recording et les micros binoraux (musique concrète, musique électro-acoustique). J’ai aussi été influencé par des musiques classiques d’Asie du sud où l’espace entre les notes est souvent plus important que les notes en elles-même comme par exemple les khali dans les tala indiens qui sont une notation spécifique pour les notes fantômes, écrit le chanteur. » Orlando est pourtant moins le fruit d’une recherche expérimentale qu’une excursion mélancolique et sonore.
Nelson Beer ne nous lâche jamais la main. Il nous accompagne dans cette excursion. En témoignent des titres où l’abstraction sonore s’efface pour laisser place à la musique, au sens le plus pop du terme. Avec « And the thunder » ou même « Orlando », on renoue avec l’esprit qu’on connaissait au chanteur de « I am a Woman » et « Nadya ».
Même si le travail expérimental n’est jamais loin et ressurgit ici et là. Un travail sur certains sons, comme l’écho, que Olamiju Fajemisin, dans le texte présentant l’EP, définit comme « […] une reprise qu’on entend quand un son est reflété sur une surface lointaine – un mur ou une falaise – et revient déformé. La clarté diminue à mesure que le bruit va et vient. En peu de temps, il se dissipe entièrement. » (traduit de l’anglais). L’écho d’Orlando, lui, met quelques jours avant de se dissiper.
Nelson Beer est lauréat du dispositif Variation(s), organisé par le FGO Barbara dont l’objectif est d’accompagner chaque année des artistes parisien·ne·s – en groupe ou en solo – dans leur création artistique. L’appel à candidatures pour l’édition 2021 se termine bientôt. Vous pouvez encore postuler jusqu’au 9 mai à minuit.
Article : Bryan Ferreira