C’est de son père que Nancy Newberry tient les bases de la photographie. Avec l’encouragement de ses proches, elle persiste jusqu’à devenir assistante photographe. À cette époque, elle nous raconte qu’elle passe ses jours à photographier et ses nuits dans la chambre noire à développer ses tirages et bâtir un portfolio. Depuis, elle poursuit ses projets artistiques, tout en travaillant en freelance pour des magazines, principalement à New-York et en Europe. C’est de son travail personnel artistique – plus précisément son dernier projet « Smoke Bombs and Border Crossings » présenté au Festival de mode et de photographie de Hyères 2017 – dont nous discutons ensemble. Le projet est né du mélange d’influences entre sa mère italienne et son enfance texane. Il s’inspire des films d’un sous-genre de Western italien appelé les « Spaghetti Western » dont le réalisateur Sergio Leone est le plus connu. Il rassemble des images venues de son éducation catholique et militaire marquée par la rigueur de l’uniforme et l’importance de l’identité, au cœur du Texas désertique à la frontière mexicaine.
Ton travail évoque « l’interaction entre l’individualité, l’affiliation sociale, le nationalisme et la communauté », pourquoi ces thèmes t’intéressent tant ?
Nancy Newberry : C’est beaucoup lié au fait d’avoir été élevée dans une famille catholique, avec une éducation assez militaire où les uniformes, la tenue, la cérémonie, les coutumes et la rigueur ont fait partie d’un quotidien. Toute ma vie j’ai été intéressée par la représentation de soi-même, l’identité culturelle, le fameux cow-boy, et le Wild West. Mon travail évolue autour de ces thèmes mais dans des manières distinctes incorporant la mémoire, la mythologie et les archétypes. Dans Smoke Bombs and Border Crossings, trois groupes sont représentés : des cavaliers mexicain, des cowboys américains et des militaires. Ils se préparent à la frontière du Mexique et du Texas, un territoire de mélange de nationalités, d’histoires de bataille légendaires, de contestation et celui d’un mur très connu. C’est le vrai Wild West.
On a beaucoup parlé de ces aspects avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump qui tente de diviser davantage la société. As-tu remarqué des changements autour de toi dans la société civile depuis qu’il est président ?
On sent clairement qu’on est dans un moment particulier de l’histoire. Les États-Unis sont très divisés et je vis dans un endroit qui peut être très paralysé politiquement et socialement. Mon travail a toujours reflété ces idées et le concept du mythe américain, c’est dans ma nouvelle série « Smoke Bombs and Border Crossings » que c’est le plus évident. Elle est composée comme un Spaghetti Western moderne à la frontière Texas-Mexique où l’identité, le nationalisme et la communauté sont au premier plan. Des idées qui semblent avoir une nouvelle signification à cette époque instable.
Quel lien entretiens-tu avec les personnes que tu photographies ?
J’essaie d’être pareil avec tout le monde. Mon travail est assez carré et je dirige les poses ou les mises en scène, mais les gens apportent toujours quelque chose d’unique à ce que je souhaite mettre en place. C’est important que ça paraisse authentique et parfois cela arrive dans un silence total.
Tu as dit que le projet « Mum » est semi-autobiographique ; en quoi ton origine et ton éducation influencent-elles ton œuvre ?
Ce serait impossible de séparer ma vie de mon travail. Tout est lié et je pense que la partie la plus intéressante des projets vient du fait que j’observe de l’intérieur, j’enquête sur ma propre expérience et mon rapport au lieu. « Mum » et “Halfway To Midland” sont sans aucun doute semi-autobiographiques, mêlant des éléments du présent et du passé.
« Smoke Bombs » est la suite logique des travaux précédents, mais ils sont un petit peu différents sur leur nature autobiographique. C’est toujours un entre-deux, entre la réalité et la fiction, se concentrant sur les costumes et les uniformes, où les sujets interprètent des personnages qui font partie d’un groupe, d’une équipe.
Le Texas tient donc une place importante dans ta vie et ton travail. Comment le décrirais-tu en quelques mots : les couleurs, l’ambiance, les habitants etc. ?
J’aime le fait qu’il se présente avec sa propre mythologie, ce que je trouve vraiment puissant. C’est géographiquement très grand, c’est divers, chaleureux, mais intensément indépendant.
Dans une interview, tu as dit que ton univers était entre le rêve et la réalité ?
Je pense que j’évoquais spécifiquement “Halfway To Midland” mais beaucoup de mes idées chevauchent les deux dimensions. Le fantasme et le rêve sont sans cesse présents dans notre conscience. Il y a certaines images que j’ai faites en travaillant sur ce projet qui étaient provoquées par des rêves que j’avais faits la nuit précédente. C’est intéressant de travailler comme ça, mais je préfère la réalité au rêve en lui-même.
Comment utilises-tu la lumière ?
Elle est fondamentale dans mon travail. Je suis obsédée par la lumière et je l’utilise de différentes manières à chaque fois, mais je pense que l’on voit la progression naturelle de mes parti-pris formels.
Durant les sept dernières années, et cela dû au fait que j’ai passé beaucoup de temps dans le désert du Texas, j’ai assombri mes noirs et joué avec leurs nuances. J’aime jouer avec ces éléments, souvent pour ajouter de la dualité ou aplatir des impressions ou encore séparer celui qui observe du sujet. C’est une réponse au temps, à la géographie et à l’espace physique.
Pour une interview dans American Photo Mag, tu as dit que tu étais allée en Normandie et que tu pensais faire un projet dessus. Qu’as-tu trouvé de si spécial là-bas ?
Je trouve que c’est une jolie et intéressante partie de la France, et j’ai toujours été intriguée par l’influence des États-Unis sur les autres cultures. En Normandie elle est particulièrement présente et facile à observer.
Si tu devais être ton propre sujet de photographie, où et comment tu prendrais la photo ?
Je pense que mes photos sont des autoportraits.
Un petit mot sur Hyères ?
J’espère y retourner. L’endroit était très spécial, et le festival, unique.