Vendredi dernier Muddy Monk dévoilait Ultra Tape, un nouvel EP. La démarche du producteur et chanteur s’apparente à la découverte d’un vieil album photo enfoui depuis trop longtemps dans un grenier. Les photographies figées s’animent soudainement comme ravivées par ces synthétiseurs électrisants.
Auteur-compositeur et interprète d’origine suisse, Muddy Monk commence son aventure musicale au début des années 2010. Si sa musique est d’abord instrumentale, Muddy Monk utilise très vite sa voix comme un instrument supplémentaire, mais surtout comme le moyen de décrire avec les mots l’univers délicatement mélancolique que suggèrent ses productions. Proche collaborateur de Ichon et Myth Syzer, le jeune artiste se voit être révélé sur la scène française lorsque paraît en 2018 Longue Ride, son premier album.
Poursuivant sa lancée, Muddy Monk a dévoilé vendredi dernier Ultra Tape, un EP dans lequel le producteur et chanteur affirme son style avec plus de conviction. Il y harmonise des mélodies nostalgiques et des paroles imbibées de poésie. Résolument tournée vers le passé, la musique de Muddy Monk visite l’espace de la mémoire, ravive ponctuellement une image enfouie, lui rendant sa beauté d’antan sous la lumière du présent. Il y a dans ses mots quelque chose d’un mirage : à mesure que les paroles défilent les images apparaissent et disparaissent de manière si réelle que l’on croit pouvoir les saisir en tendant la main. Il suffit par exemple de prêter attention aux paroles du single « Mylenium » (« j’ai jamais vu du temps qui passe / sans abîmer un peu les plumes de notre enfance »). Tandis le présent s’écoule, qu’il « fuit, glisse entre les doigts comme du sable » pour reprendre les mots d’Andreï Tarkovski, son poids matériel n’existe que par le souvenir. Mais à mesure que le temps passe, que les souvenirs s’entassent les uns à côtés des autres, les plus récents effacent les précédents. L’expérience subjective de Muddy Monk ainsi exposée nous fait appréhender le réel, elle apporte un éclairage sur une expérience commune à tous.
Si les textes de Muddy Monk décrivent parfois des faits particuliers dont chacun peut faire l’expérience, l’artiste exprime également une frustration personnelle, un sentiment d’insatisfaction. « Encore un peu », le premier titre, est chargé de cette amertume (« j’aurais aimé qu’on se dise qu’avec le temps / j’aurais aimé péter des vitres évidemment / si j’ai pris la mer, c’est ce que j’ai dû te perdre »). La notion du temps est à nouveau convoquée comme une modalité déterminante, comme si les tourments évoqués ne peuvent se résoudre qu’avec le passage du temps. Cette frustration s’exprime le mieux dans l’instrumentation de ses morceaux, en particulier dans « Ternevent », un titre qui voit cohabiter une ligne mélodique de guitare électrique étourdissante avec des accords graves de synthétiseurs et des percussions virulentes. L’orchestration de ces différents instruments transmet la sensation d’un impressionnant vertige. Chez Muddy Monk, lorsque les mots ne suffisent plus, l’instrumentale exprime l’ineffable en dressant un panorama de sensations sonores.
L’EP de Muddy Monk convainc parce qu’il est un objet équilibré dans lequel les morceaux sont indivisibles, solidement attachés les uns aux autres. L’artiste suisse nous propose d’embarquer avec lui sur un navire pour un voyage motivé par la redécouverte des zones d’ombres de la mémoire. Alors que Muddy Monk embellit ses souvenirs par la grâce de sa musique, il ne se cache pas non plus des turbulences qu’une telle exploration provoque. C’est ainsi que le kick brutal à la fin de « Mylenium » perturbe l’équilibre des cuivres, ou que la coupure brutale de « Tout ça » fait voler en éclat la tranquillité apparement imperturbable du titre. Ces effets interviennent comme pour ponctuer les morceaux et pourtant ils apportent de la variation, chargent l’album d’une gravité en contraste avec sa douceur mélancolique. Ultra Tape évite finalement la mièvrerie puisque la force des images que communique Muddy Monk dépasse la subjectivité de l’artiste et tend vers un universalisme dans lequel chacun.e peut se reconnaître. Les petits riens de la vie, les micro-événements du quotidien dont la durée est limitée, « les mains dans la poussière », allégorie du temps qui file aussi bien pour Muddy Monk que pour n’importe quel.le auditeur.ice.