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Mondial du Tatouage, le dixième art à l’œuvre

Mondial du Tatouage, le dixième art à l’œuvre

Vendredi après-midi, le 4 mars. Vous montez en hâte les marches du métro, station Porte de Pantin, et débouchez sur l’esplanade de la Grande halle de la Villette. Face à vous se tient un immense bâtiment de verre, orné sur sa façade de lettres rouges formant les mots « Mondial du Tatouage 2016 ». Vous traversez l’esplanade d’un pas leste en longeant la fontaine garnie de lions, luttant contre le vent qui s’acharne contre vous, sous une fine pluie qui fait légèrement luire les pavés guidant vos pas vers l’entrée de la Grande halle.

Mondial du Tatouage 2016 © Anthony Dubois
Mondial du Tatouage 2016 © Anthony Dubois

En pénétrant à l’intérieur, une bouffée de chaleur vous saisit. Et surtout, un son : le grésillement de l’aiguille, partout, en continu, comme un bruit de fond permanent qui accompagne et guide la déambulation parmi les différents stands où les artistes tatoueurs, venus du monde entier et possédant chacun son style propre, œuvrent face aux visiteurs. Ce qui se déroule d’ordinaire dans les salons de tatouage, loin des regards des tiers alors que l’aiguille trace son chemin sur votre peau, est ici offert aux regards. Penchés sur un dos, un bras, une jambe, les tatoueurs font naître sous leurs aiguilles des motifs dont les tracés s’étoffent et se remplissent de couleurs au fur et à mesure, et dont on peut voir l’évolution lorsque l’on repasse quelques temps après. Et cela, face aux visiteurs attentifs qui observent dans un silence quasi religieux les tatoueurs à l’œuvre, sans un bruit afin de ne pas déranger les artistes. Encrant avec précision et concentration la peau qui leur est offerte pour répandre leur savoir-faire.

Mondial du Tatouage 2016 © Anthony Dubois
Mondial du Tatouage 2016 © Anthony Dubois

Vous observez autour de vous. Sous l’immense nef de la Grande halle, soutenue par de fins piliers métalliques ponctuant l’espace, les innombrables rangées de stands s’alignent de part et d’autre d’une scène placée au milieu de la nef, où le jury, pendant trois jours, va se réunir pour consacrer les meilleurs tatouages réalisés pendant le Mondial, près d’un espace d’exposition dédié aux guitares Fender dont le design a été conçu par des artistes tatoueurs du Mondial. Sur cette scène vont également se succéder, le vendredi et le samedi, quatre groupes de rock/métal mêlant des influences diverses, et dont les voix puissantes et les riffs de guitare vont emplir la Grande halle et faire résonner jusqu’au fond de vos entrailles les intenses pulsations des baffles : les Sticky Boys, Uncle Acid and the Deadbeats, Hangman’s chair et Orange Goblin.

À chaque stand, les artistes ont disposé des affiches et des photographies illustrant leur travail, ainsi que leurs portfolios et les dessins disponibles en flash. Presque tous sont à l’œuvre, dermographe à la main. Près du stand d’un tatoueur spécialisé dans les motifs orientaux, s’appliquant sur le tatouage d’une divinité hindoue, une odeur d’encens flotte et crée une atmosphère particulière. À un autre endroit, par-dessus le grésillement de la machine à tatouer, on peut entendre Heroes de David Bowie s’échappant d’un poste qu’un artiste a placé près de lui pendant qu’il œuvre.

Au fur et à mesure de la déambulation, différents courants artistiques se détachent. Des tatouages asiatiques extrêmement colorés et denses, remplis d’animaux étranges et couvrant de larges parties du corps, côtoient de l’hyperréalisme appliqué à des portraits ou à des créatures fantastiques issues de l’imagination des tatoueurs ; non loin, les lignes courbes et les couleurs vives du old school parsèment les épidermes ; plus loin, des motifs géométriques sont rehaussés par des couleurs appliquées à la façon d’une aquarelle avec l’Imaginarium ; à un autre endroit, le style Art nouveau de Luis Orellana laisse courir ses lignes sur le bras d’un jeune homme afin de tracer le portrait d’un des nombreux personnages féminins fourmillant de détails imaginés par Alfons Mucha ; un peu plus loin, les vitraux de Mikaël de Poissy se construisent patiemment et se colorent sur l’épiderme ; ailleurs, les motifs maori s’entremêlent et s’organisent en formes géométriques ; plus loin encore, de fins réseaux de lignes et d’entrelacs se déploient en motifs s’apparentant à de la dentelle noire.

Parce qu’il y avait près de trois cent cinquante tatoueurs et que, même si tous méritent qu’on s’attarde sur leur travail et/ou qu’on leur donne carte blanche sur notre épiderme, il n’est pas possible de parler en détail de chacun, on ne vous en présentera que quelques-uns, et pas des moindres. Ceux qui ont le plus retenu notre attention et dont les œuvres attirent instinctivement l’œil, ceux qui ont provoqué un déferlement d’admiration et d’envie lorsque nos yeux se sont posés sur leurs créations, déjà réalisées ou en train d’être conçues, et qui font regretter de ne pas avoir un peu plus d’espace disponible sur notre épiderme pour se couvrir le corps de leurs œuvres. Finalement, ce que la réunion de ces trois cent cinquante artistes montre est la diversité infinie du tatouage et toutes ses possibilités, possibilités qui évoluent en permanence, avec la transposition dans le domaine du tatouage d’autres techniques artistiques, la naissance de nouveaux styles ou leur hybridation.

L'Imaginarium - Émilie B et Guillaume Smash
L’Imaginarium – Émilie B et Guillaume Smash

Émilie B et Guillaume Smash de l’Imaginarium, notamment, créent des tatouages atypiques mêlant de l’aquarelle, dont les couleurs, traitées en léger dégradé, semblent se diffuser dans la peau à la manière de l’eau sur le papier, des formes géométriques tracées très finement et des motifs rappelant les points Benday, comme issus d’une impression mécanique.

Dusty
Dusty

En mêlant des couleurs vives et des formes géométriques, Dusty crée pour sa part des tatouages très colorés, représentant pour certains des animaux dont les visages sont faits de traits géométriques délimitant des aplats de couleurs qui, en fonction de la couleur du remplissage et des dégradés, créent du volume et de la profondeur.

Luis Orellana
Luis Orellana

Luis Orellana quant à lui crée des tatouages selon l’esthétique Art nouveau, le « Jugendstil » des années 1900, dont Alfons Mucha est un des meilleurs représentants. De nombreuses œuvres de Luis Orellana, présentes dans son portfolio, sont des transpositions des lithographies en couleurs de Mucha réalisées dans le cadre de séries comme « Les Heures du Jour », « Les Pierres précieuses », « Les Arts », etc. Les tatouages reprennent les lignes épaisses et franches de l’Art nouveau, ainsi que ses courbes, ses couleurs vives et sa profusion de détails, davantage permise lorsque la surface allouée au tatouage est grande.

Mikaël de Poissy
Mikaël de Poissy

De la même manière, Mikaël de Poissy transpose la technique du vitrail au tatouage, créant sur de larges surfaces de peau d’immenses représentations de vitraux médiévaux, dont les motifs colorés figurant des personnages saints sont délimités par de larges traits noirs s’assimilant aux baguettes de plomb qui maintiennent les pièces de verre des vitraux.

Marco Manzo
Marco Manzo

Marco Manzo crée pour sa part des tatouages s’assimilant à de la dentelle, pour de larges pièces se déployant sur le dos ou le long de la jambe, avec des lignes très fines se croisant et s’entrelaçant jusqu’à créer des motifs denses et extrêmement détaillés, rappelant des formes végétales.

Daniel Di Mattia
Daniel Di Mattia

Enfin, Daniel Di Mattia réalise quant à lui des tatouages denses suivant, pour certains, la technique du dotwork, créant des motifs en dégradés de gris rappelant des formes végétales, organisés de façon symétrique et mêlés à des figures géométriques.

Alors, bien sûr, il s’agit ici d’une sélection subjective et non-exhaustive ; le travail de chacun des trois cent cinquante artistes tatoueurs présents au Mondial valait le coup d’œil, et il n’était pas inconcevable de perdre la notion du temps en contemplant un tatoueur en train de réaliser une pièce. Se perdre dans les différentes allées et dans les étages de la nef, une bière à la main, écoutant à la volée les conversations en différentes langues entre tatoueurs et tatoués et observant les tatoueurs venus du monde entier à l’œuvre, sur fond de musique rock et de grésillement de dermographes, c’est finalement une expérience qui se rapproche fortement de la définition de l’extase.

Il est tard lorsque vous partez, le dimanche soir. Sans que vous vous en soyez rendu compte, la nuit est tombée sur la Grande halle. Tandis que vous vous dirigez vers la bouche de métro, vous adressez un dernier regard au bâtiment qui pendant trois jours a été le sanctuaire du dixième art. Les lettres rouges flambent dans l’obscurité et baignent la façade du bâtiment d’une aura incarnate.

Suzy PIAT

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