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Mode éthique. Saturation et slow advertising

Mode éthique. Saturation et slow advertising

Everlane

Parler de mode éthique, c’est parler des conditions de production du vêtement, c’est parler des matériaux et des produits utilisés, des conditions des travailleurs, de l’environnement, comme mentionné dans l’article d’ouverture du dossier « Mode éthique » (Enfants exploités et milliers de morts, pourquoi nous n’avons rien compris à la mode éthique). Cependant il y a une autre dimension de l’éthique dans la mode sur laquelle nous pourrions nous pencher : c’est le rapport au consommateur, la façon dont le vêtement lui est vendu. Je parle bien ici du marketing, de la publicité, que dis-je, de l’advertisement pour être tout à fait correcte.

Fashion revolution
Production éthique

Surexposition publicitaire et autres pubs Zalando

La publicité, l’idée même de vendre/acheter s’est intégrée dans le paysage quotidien de tout un chacun. Chaque personne est littéralement bombardée d’invitations plus ou moins subtiles à acheter, à porter en étendard. Invitations jouant avec les codes, les psychologies, les sociologies de chacun avec une ribambelle d’outils. Prenez un individu lambda. Appelons-le Nathan. Nathan se lève le matin, l’alarme sur son portable a sonné. Naturellement, l’objet de type cellulaire étant à portée de main, il va checker ses mails, survolant les multiples publicités et autres promotions, les mêmes marques quotidiennes s’imprégnant dans sa rétine et par la même occasion, son cerveau. Il fait ensuite son petit tour sur les réseaux sociaux ou va lire quelques articles. Il s’y est habitué mais les mises en page de ces sites incluent plusieurs onglets de pub pour acheter des sneakers, des joggings, des cravates ou que sais-je encore. Il ne clique pas dessus mais elles sont cependant omniprésentes. Pendant que Nathan prend son petit déjeuner, il allume la télé. Inutile de dire qu’encore une fois, la publicité est là aussi, entre chaque émission, au milieu des dessins animés, entre deux reportages. Il sort, prend le bus pour aller en cours. Le bus dépasse plusieurs panneaux publicitaires. Il regarde un clip sur son portable, remarque les placements de produit peu discrets, pendant que son cerveau imprime la marque inconsciemment. Dans cette vie fictive de Nathan, il est à peine 9h du matin et il a déjà été exposé une dizaine de fois à des invitations à consommer, et ce ne sont que les plus évidentes. Selon iDMAa’s Middletown Media Study, nous sommes exposés à cela environ 11,7 heures par jour. Je parle ici de la consommation en général, mais dans le cadre de la mode éthique, contextualisons en nous concentrant sur l’advertisement du vêtement.

IOU Project
IOU Project

Le désir de suicide de la mode : une valeur sûre

En effet, l’advertisement du vêtement est particulier puisqu’il repose sur la mode. C’est le modèle du reste de l’advertisement, il joue sur les codes sociaux, sur les sentiments d’appartenance et d’exclusion, sur l’identité individuelle et globale, sur l’image, sur la communication. La mode, selon Marc-Alain Descamps, repose sur une subtile dynamique d’envie de distinction et d’exaltation de la ressemblance. Cependant, un autre phénomène est inhérent à la mode : son auto-destruction du fait de son mouvement de balancier entre l’individualisme et le conformisme. « Un désir de suicide ronge la mode » (König 1969). Pour toutes ces raisons, l’advertisement du vêtement s’infiltre partout, passe par mille outils explicites et implicites, et bombarde d’autant plus les individus. L’advertisement se doit de jouer de cet équilibre, sans arrêt puisque la mode est une valeur sûre tant elle est ancrée et symptomatique de l’humanité, et puisqu’elle offre tant de chances de se renouveler. Il n’y a donc pas que la nature productrice et les travailleurs qui sont monopolisés à l’extrême, lessivés, essorés par l’industrie de la mode. Lorsque l’on considère la capacité d’attention d’un être humain comme étant une ressource finie et partagée, est-ce éthique de la monopoliser ainsi à outrance ?

Tragédie : l’advertising va droit dans le mur

Matthew Syrett a eu l’idée de transférer le modèle de la tragédie des biens communs de Hardin au concept de l’advertising, prédisant la fin de la publicité telle que nous la connaissons. Pour faire court sur la tragédie des biens communs, elle a été théorisée par Garett Hardin en 1968 et a entraîné de nombreux travaux au niveau du développement durable. Dans son livre Tragedy of the Commons, Hardin met en évidence une différence de gérance des ressources individuelles et des ressources communes. En effet, les biens communs, en raison de leur nature même, selon lui, courent droit dans le mur de l’auto-destruction en situation de laisser-faire. Pourquoi donc, vous demandez-vous ? Et bien en raison de la nature humaine elle-même : l’individu possède moins de raisons de s’investir dans le management d’une ressource commune plutôt qu’une ressource individuelle puisqu’il y a de fortes chances que cette ressource commune soit surexploitée et ne lui serve pas tant que cela. Ajoutez à cela le comportement du passager clandestin : pourquoi s’investir quand les autres peuvent le faire à notre place et donner le même résultat ? On possède alors les mêmes ressources que les autres sans avoir levé le petit doigt. Ainsi, ces comportements égoïstes intrinsèques à l’humain (pas de généralisations, on parle ici d’une simple théorie et l’évolution des tendances de consommation tend à prouver que cela change) finissent sur le long terme par auto-détruire ces ressources communes (ou du moins leur valeur). La règle : maximiser son profit personnel tout en minimisant son coût personnel.

Le lien avec la publicité semble ici un peu flou, et c’est bien normal, cette théorie concernant à l’origine les biens matériels. Prenons l’attention donnée du consommateur aux publicités comme une ressource commune. Aujourd’hui, l’environnement médiatique est graduellement peuplé de consommateurs saturés par la communication. Là où l’industrie de la mode, et l’advertisement en général, fait une erreur et où son comportement est non-éthique vis-à-vis du consommateur, c’est dans le fait de considérer que son attention est infatigable et insaturable. Les esprits à influencer (puisqu’en effet c’est le jeu du marketing) sont considérés comme des biens normaux. Or au-delà d’un certain point, les esprits sont saturés et l’attention est perdue : le but premier de l’advertisement est donc manqué en raison d’un « communication stress ». Les advertisers vont alors intensifier leur présence dans l’environnement publicitaire, ce qui dégrade encore plus celui-ci en augmentant la saturation, aucun d’entre eux n’ayant envie de prendre le risque de céder un pouce de terrain dans l’esprit des consommateurs. En prenant ce problème sous l’angle de la « tragédie des biens communs » de Harding : on va droit dans le mur et l’auto-destruction de l’advertisement, de l’esprit du consommateur et de la consommation.

Fashion revolution
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L’advertising éthique, bien plus qu’une passion, le futur

En plus d’être une situation de non-éthique totale vis-à-vis du consommateur dont la capacité d’attention est complètement saturée, surexploitée et essorée au nom de la vitesse et du cycle de consommation infini, au même titre que les matières premières, les travailleurs, etc., dans l’industrie, l’advertisement souligne la finitude d’une tendance du court terme dans un milieu où les marques veulent justement s’installer sur le long terme dans l’esprit du consommateur. L’advertisement de la mode n’a d’autre choix que de suivre le reste de la mode, qui encore une fois est symptomatique de notre société : l’éthique, le slow fashion, la responsabilité vis-à-vis du consommateur. Car c’est en effet le futur que de ralentir, que de stopper la saturation des esprits. Syrett, dans son article, n’est pas très optimiste quant à une auto-régulation par les advertisers puisqu’ils n’ont pas d’intérêt à céder de terrain à leurs concurrents, mais envisage plutôt la création de nouvelles règles par les chaînes de médias, celles-ci étant plus enclines au changement. Si le marketing et l’advertisement veulent suivre le système autonome qu’est la mode dans sa clairvoyance sur le ralentissement du monde, ils n’ont pas d’autre choix que de se mettre au slow advertising. Hardin le disait déjà en 1969 : « Un monde fini ne peut supporter qu’une population finie. »

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