Après la sortie de son premier EP Capital, le groupe MNNQNS trace sa route. Le joyeux bordel caractéristique du son du quatuor est toujours présent, mais mieux maîtrisé. Ils font bouger Rouen comme jamais. Du bon vieux rock qu’on a envie d’écouter en été, sur la route d’un festival, les fenêtres de la Twingo ouvertes aux quatre vents. Les influences anglo-saxonnes sont toujours là, délicieuses. La formation change et re-change, sans jamais nuire au projet, bien au contraire. Au détour de l’édition 2017 du Biches Festival, rencontre avec Grégoire, Félix, Vincent et Adrian, les jeunes hommes derrière le projet, pour une discussion estivale.
Manifesto XXI – Qu’est-ce qui a changé depuis la dernière interview ?
Adrian : Le son a un petit peu changé. C’est devenu un peu plus carré dans la façon de jouer, ne serait-ce que par l’arrivée de Greg.
Grégoire : On a repensé le son. Avant, MNNQNS, c’était plein de réverb, de gros boxon voulu. Là, on a essayé d’assécher, pour que le boxon soit plus présent quand il est là.
Adrian : Du bazar sec. Comme disait notre ami Arthur Lombard sur le fait qu’on ait tout asséché, dès qu’il y a une erreur, c’est comme si un objet tombait dans ta cuisine. Dès qu’un son arrive, différent de la formule standard, ça a beaucoup plus de présence et ça prend plus de sens. Alors qu’avant, c’était tout le temps le bordel à fond. Là, on joue plus sur les intensités, les choix, ce qui permet de donner plus de dynamique.
Grégoire : C’est une évolution. C’est comme si tu répétais le même mot tout le temps : au bout d’un moment, ça n’a plus aucun sens. D’un seul coup, tu dis une phrase, et cette phrase a le plus de sens au monde. MNNQNS, c’est la réponse à la question qui n’est pas posée. (rires)
Adrian : Après, en termes de tout ce qui se passe autour, là, on va bientôt signer avec un label anglais. On a joué trois fois en Angleterre. On se rend compte que notre musique a du sens là-bas.
Vous auriez voulu être dans une autre époque, peut-être ?
Vincent : C’est vrai que les influences du rock anglais, ça ressort à chaque fois.
Adrian : Pas mal de trucs des années 1970-1980, new-yorkais, nous influencent. Après, c’est une digestion de tous ces trucs-là, parce qu’on écoute beaucoup de choses : de la pop 60s, du mainstream à fond, du hip-hop super chelou, genre Death Grips, Shabazz Palaces.
Dans votre interview précédente, vous parliez de la scène à Rouen, ça crée une sorte d’émulsion pour vous ?
Adrian : Oui, c’est sûr. Il se passe tellement de trucs à Rouen depuis quatre-cinq ans. Dans le collectif auquel on appartient, qui s’appelle SOZA, il y a Greyfell, une sorte de doom psyché super étrange, qui jouent méga fort, même si on ressent qu’ils écoutent de la pop. On pourrait les rattacher au métal mais c’est tout sauf des clichés standards. Il y a SeRvo aussi, qui font des trucs plus rapides, mais toujours psyché et dans une démarche de répétition.
Ce qui est intéressant, c’est que c’est centré autour de certaines personnalités. Il y a beaucoup de trucs psyché à Rouen. Il y a aussi le collectif des Vibrants Défricheurs, ils ont The World qui fait de la synth pop ultra 1980 trop cool. Ils ont des trucs un peu expérimentaux, un peu éphémères. Ce qui est cool, c’est qu’il y a – pardonnez-moi le terme – une sorte d’interpénétration entre les projets.
Après, c’est aussi une question de lieu. À Rouen, il y a Le 106 qui est la SMAC, qui a permis de réunir tous les groupes. Il y a aussi un bar-concert qui s’appelle Le 3 Pièces, où tout le monde vient. La prog est vraiment très pointue. C’est important pour cette construction.
Grégoire : En tant que groupe, quand tu sais que ça se passe, ça te motive à fond, tu sais que tu n’es pas seul.
Adrian : Et puis il y a des initiatives. Là, on va sortir une compile qu’on a commencée il y a un an, un truc un peu débile basé sur une reprise de « Wicked Game » de Chris Isaak. C’est un délire parti du 3 Pièces, et en fait, il y a cinq groupes. Ça va sortir bientôt, malgré les galères des droits. Ça permet aussi d’identifier les acteurs de la scène, ça propose des approches très différentes. Et puis c’est fun de reprendre ce classique. Tu as nous, en mode un peu post-punk, tu as SerVo en psyché, Greyfell qui fait du Chris Isaak en doom, et des trucs d’électro-pop avec Lascow, ou encore Alma Alta. C’est important pour cristalliser une scène, ces initiatives un peu débiles.
Votre dernière sortie s’appelle Capital. Vous avez des choses capitales à dire avec cet EP ? Comment voyez-vous le texte ?
Adrian : Le texte, c’est complexe. C’est hyper important, j’y passe un temps faramineux. Très souvent, ce sont des choses qui m’arrivent de façon un peu instantanée, et je vais me retrouver avec quinze lignes. Je vais retoucher tout ce que je vais écrire.
Il y a un peu une notion de stream of consciousness. J’écris les mélodies avant le texte, ce qui est peut-être un truc que je changerai plus tard. D’abord, je chante des parties que j’improvise, je fais une sorte de yaourt ; et dans le yaourt, il y a de vraies phrases, qui ne sont pas forcément inintéressantes, et que je vais garder. Je me sers d’une base de hasard pour choper un point de départ. Ce truc hasardeux, je le trouve plus intéressant que de se dire : « Je vais raconter une histoire. »
Pareil pour les clips, pas trop narratifs. Sans vouloir tomber dans les trucs fumeux. Il y a un entre-deux, et c’est là que je trouve ça intéressant, avec des mecs comme Alex Turner. Sa façon d’écrire est très descriptive, mais c’est servi par plein de métaphores, ce n’est pas rentre-dedans ou évident.
Tu parlais des clips. Ils sont assez contemplatifs. Il y a des films qui vous ont inspiré ?
Adrian : C’est Woods, notre ancien batteur, qui a réalisé nos clips. Après, on est hyper fans de David Lynch, de trucs un peu chelou. Ça nous fascine, et en même temps, c’est beau. Il y avait un article sur Vice, récemment, d’un mec qui partait en pèlerinage dans les bleds où Twin Peaks a été tourné. Il disait qu’il était un peu déçu parce que ce n’était pas si chelou, et qu’en même temps, il y avait une sorte de beauté de l’étrange. Par exemple, à l’hôtel, il est arrivé et il y avait une sorte de chien à deux pattes.
Ce sont des choses qui nous intéressent, même musicalement. Si on fait un parallèle avec de la musique, Sonic Youth, c’est super étrange mais c’est beau. Le fait qu’il y ait un truc vachement mélodique, et en même temps pas du tout. C’est abstrait. Il y a une vraie beauté.
Vincent : Même si parfois il y a des trucs fracassés. C’est un peu notre querelle constante entre le noise et la pop mélodique. Ce n’est pas un parti pris pour l’un ou pour l’autre, le but est de trouver un compromis.
En écoutant vos sons, il y a des nappes assez oniriques. Quelle importance le rêve a-t-il pour vous ?
Adrian : Il y a deux choses qui me parlent le plus dans la musique en général, ce sont le danger et le rêve. Quelque part, avec ce groupe, on essaie de trouver un mélange des deux. Ça peut aussi être une juxtaposition : avoir un couplet super dissonant et malsain, avec un refrain qui ouvre complètement et qui t’emporte ailleurs. Ce sont les deux notions que j’aime dans la musique, tous styles confondus.
Grégoire : Le danger, dans les morceaux de Britney Spears, est présent, mais d’une autre manière. Au final, quand je pense à elle, je pense à « Toxic ». Ceux qui écrivent ses morceaux ont probablement des cahiers des charges, et quand tu entends le gimmick arabisant, c’est quand même un choix, aller du côté du danger.
Sinon, je pensais à l’inverse. On a vu un groupe, l’autre fois, qui est censé être un groupe de rock, où tu sens des influences de Rage Against The Machine : par moments, ça se transformait en genre de Britney Spears, et ça, c’est du danger. Nous, dans le dernier morceau de notre set par exemple, il y a un moment où tout s’arrête et ce n’est plus qu’Adrian qui est seul, personne ne joue, il dit juste des mots, les gens pensent que c’est fini, c’est aussi une façon d’être dangereux.
Dans vos clips, d’ailleurs, tu es un peu torturé, Adrian. Ça vous plaît, la violence ?
Adrian : On est tous passés par des trucs un peu énervés, je viens du noise, hardcore. Je vais souvent à des trucs de hardcore où les gens vont se taper dessus dans le public. Je vais autant voir ces trucs-là que de la pop, il y a un truc très viscéral. Un exemple typique, c’était le dernier concert de Cavalry, qui était une apothéose de violence et de débilité dans une micro-cave, c’était génial. Ça me parle, ça. Autant que des trucs léchés.
Grégoire : Ce qui est sûr, c’est que dans cette violence, qui est presque de la fausse violence artistique, ce sont des moments cadrés. Même dans les trucs les plus énervés, une beauté s’en dégage à chaque fois. Dans la pop, la beauté est instantanée parce que c’est fait pour être joli. Dans le gros bordel, il se dégage différentes choses qui sont belles.
Adrian : Et il y a un truc de lâcher-prise que j’aime beaucoup aussi. Un moment où tu cesses d’être là. En particulier sur le dernier morceau du set, les jours où il se passe un truc avec le public, je cesse d’être moi.